hareng de bismarck pablo iglesias

03.09.2015

Préface de Pablo Iglesias à l’édition espagnole du « Hareng de Bismarck »

L’édition espagnole du Hareng de Bismarck sera publiée le 20 septembre 2015 aux éditions « El Viejo Topo ».

Je me souviens de mon admiration pour Jean-Luc Mélenchon quand on parlait politique française sur les ondes de La Tuerka [émission de Pablo Iglesias] il y a quelques années. Je n’étais alors pas encore dirigeant politique et je me consacrais, depuis notre modeste programme de télévision et l’université, avec de nombreuses personnes qui plus tard sont devenues des dirigeant-e-s de Podemos, à la recherche des possibilités d’une politique différente de celle qu’offrait la gauche existante. Jean-Luc était un véritable socialiste qui avait quitté un parti qui, à l’instar du SPD de Schröder, du Parti Travailliste de Blair ou du PSOE de González, avait cessé de représenter les classes populaires et de garantir dans une certaine mesure les droits sociaux, pour devenir un parti de la finance, porteur de modèles économiques inefficaces (preuve en est la crise européenne) qui les distinguent à peine des partis conservateurs en termes de compréhension de l’économie et de la gouvernance européenne.

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Comme dirigeant du Parti de Gauche, Mélenchon pourrait n’être qu’un dirigeant de plus de la gauche européenne, n’aspirant, comme bien d’autres, qu’à gouverner à la remorque des socialistes. La svolta / le harakiri du PCI avait implanté l’idée que c’était là le seul rôle des forces politiques situées « à la gauche de ». Mais non. Mélenchon, c’était autre chose, il avait un style qui détonnait, que ce soit par rapport au conservatisme ou à l’extrémisme propres à la tradition des gauches françaises situées « à la gauche de ». Mélenchon brisait les tabous de la gauche et parlait de patrie, il clamait haut et fort son admiration pour les processus de reconquête de la souveraineté en Amérique Latine et il assumait l’incorrection politique. Dans la campagne présidentielle de 2012, il déclara que s’il était élu président de la République, il ferait défiler les forces armées sur les Champs-Elysées, pour que les pouvoirs financiers n’oublient pas que, dans une démocratie, il n’y a rien au-dessus du pouvoir civil.

J’ai ensuite été élu député européen et j’ai pu rencontrer personnellement Jean-Luc à Bruxelles. Avec les eurodéputés de Syriza et du Bloco portugais, il fut l’un des parlementaires qui nous reçut avec le plus d’enthousiasme au sein de notre groupe parlementaire. Nous parlions la même langue. Je me souviens du jour où il m’a invité à Paris ; alors que nous marchions côte-à-côte dans la rue, j’ai vu des dizaines de personnes s’approcher et l’aborder pour le saluer et discuter avec lui. J’ai été impressionné par la proximité qu’il avait avec les gens. Jean-Luc est aussi fort au corps à corps qu’il est habile dans le maniement du fleuret propre au débat télévisé. Il est l’un des rares dirigeants à avoir compris l’importance de communiquer dans un langage direct et clair pour les gens. Ce jour-là à Paris nous avons longuement discuté, et depuis ce jour nous travaillons ensemble à Bruxelles et Strasbourg.

Dans ce livre, Jean-Luc se montre tel qu’il est, provocateur et irrévérencieux, politiquement incorrect, pour dire des vérités d’envergure, et montrer que l’Union Européenne que nous connaissons a été construite à la mesure des intérêts du capital financier allemand, avec la collaboration active des élites des autres pays. Ces élites, que nous connaissons bien chez nous, n’ont pas hésité à renoncer à notre souveraineté lorsqu’ils acceptèrent pour l’Europe une division du travail et une répartition des pouvoirs clairement favorables au gouvernement allemand, condamnant les populations européennes à se soumettre à des institutions qu’elles n’ont pas élues.

Il fallait qu’un socialiste dise haut et fort que le SPD est devenu une annexe de la CDU de Merkel. Il fallait qu’un socialiste dise que François Hollande s’est laissé planter l’arête du hareng de Bismarck dans la gorge, piétinant la dignité de la France, qui reste le pays le mieux placé pour équilibrer le rapport de forces dans cette Europe dominée par l’Allemagne. Il fallait qu’un socialiste dénonce les tentatives du gouvernement allemand, qui vont se poursuivre, de renverser le gouvernement grec de Syriza et son président.

Ces derniers mois de 2015 nous ont beaucoup appris sur la realpolitik chère à Merkel ; la peur des dirigeants des autres pays européens a permis à Merkel de démontrer ouvertement, dans son attitude envers la Grèce, que le pouvoir n’a pas grand-chose à voir avec le fait de remporter des élections. Certaines personnes reconnaissent clairement cette absence de démocratie quand ils nous demandent : « si Podemos gagnait les élections, pourriez-vous dire non à l’Allemagne ? ». La question elle-même met au jour l’un des principaux problèmes de la démocratie en Europe : le gouvernement allemand.

Bien loin d’avoir honte de cette réalité où l’Allemagne impose ses intérêts à tout le monde, les élites germanophiles européennes célèbrent cette absence de démocratie comme les bons courtisans qu’ils sont. En Espagne, nous avons assisté ces derniers mois au honteux spectacle des réjouissances des dirigeants du PP, de Ciudadanos et du PSOE, ainsi que de leurs perroquets dans les médias, chaque fois que l’Allemagne parvenait à imposer quelque chose au gouvernement grec. « C’est impossible, il n’y a pas d’alternative », criaient-ils, le coeur gonflé de joie, satisfaits de l’impossibilité de s’opposer politiquement à l’Allemagne, satisfaits de se voir eux-mêmes comme les meilleurs serviteurs du nouveau pouvoir colonial. Le parti du « c’est impossible » où militent nos élites (que la carte d’adhésion dans leur portefeuille soit bleue ou rose) n’est rien ne plus ni rien de moins que le parti qui s’oppose à la démocratie et à la nécessité du changement face à un modèle de gouvernance économique et politique européen qui a prouvé son inefficacité.

Cependant, la réalité de l’Europe allemande démontre que l’autre face de la liesse de certaines élites qui nient à leurs populations le droit d’avoir les mêmes salaires et les mêmes plans de retraite qu’eux, c’est le démantèlement des droits sociaux en Europe et la destruction du projet européen lui-même. Le chômage, les bas salaires, l’émigration, les privatisations des services publics et la précarisation des conditions de travail sont le pain quotidien des populations européennes, particulièrement dans les pays périphériques du sud et de l’est.

C’est pour cela que nous avons besoin de socialistes comme Mélenchon, patriotes, pro-européens et dont la mémoire historique leur permet de savoir que défendre l’Europe et la démocratie aujourd’hui, c’est s’unir pour s’affronter au gouvernement allemand.

L’Allemagne est bien plus que son gouvernement et ses élites financières ; l’Allemagne, c’est l’histoire du plus grand mouvement ouvrier d’Europe, d’un sentiment populaire antifasciste responsable et préservant une mémoire, d’une conscience écologique exemplaire, du pacifisme, de tout ce que Merkel et ses caciques sont en train de discréditer. La critique de leur gouvernement et de leurs élites économiques n’est pas incompatible avec le respect et l’admiration que nous, démocrates européens, avons pour le peuple allemand, dont le concours est indispensable pour construire une Europe sociale et démocratique. Mais aujourd’hui, défendre la démocratie en Europe veut dire défendre la souveraineté et les droits sociaux face à ce qu’impose l’Allemagne et face aux valets du parti du « c’est impossible ».

Lisez ce livre ; vous y reconnaîtrez un véritable socialiste français qui montre la bonne voie pour construire tous ensemble une Europe digne.

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