Dans l’entretien qu’Emmanuel Macron a donné au journal Le Point le 31 août dernier, il confirme que son gouvernement s’apprête à réduire l’impôt sur le capital de deux façons. D’abord, il compte mettre en place un prélèvement forfaitaire unique à 30% sur l’ensemble des revenus du capital. Actuellement, les revenus que procurent un capital, qu’ils soient loyers, dividendes ou plus-values sont imposés au titre de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux qui financent la sécurité sociale (CSG et CRDS). Mais ils profitent déjà de barèmes dérogatoires plus favorables par rapport à celui qui existe pour les revenus du travail. On leur accorde également de nombreux abattements. C’est ainsi que les rentes sont en général moins taxées que les salaires.
La réforme de Macron va aller beaucoup plus loin dans cette inégalité. Quel que soit le montant du revenu qu’un foyer tire de ses rentes, d’intérêts, de loyers, de dividendes ou de plus-values, il sera imposé à 30%. Seulement. Et ce pourcentage inclura non seulement l’impôt sur le revenu mais aussi les prélèvements sociaux habituels que tout le monde est censé payer. C’est encore un coup de force qui va contre le cœur de la tradition fiscale républicaine. En effet c’est, au bénéfice de la caste, la fin du principe de progressivité de l’impôt. Il est en vigueur en France depuis 1914 ! Jusqu’à présent le taux d’imposition augmente à mesure que le revenu augmente. Ce n’est plus le cas dorénavant.
Pour illustrer ce qu’est la nouvelle situation, je vais donner un exemple. C’est celui de Madame Muriel Pénicaud, ci-devant ministre du travail ! Le journal l’Humanité nous en a appris de belles à son sujet dans son édition du 27 juillet ! Comme vous le savez dorénavant, alors qu’elle était DRH de Danone, elle avait réalisé un gain de 1,13 millions d’euros sur des stock-options. Il s’agit d’actions qui restent à la disposition d’un bénéficiaire à qui elles sont attribuées gratuitement à un prix convenu et qu’ils achètent pour les revendre au moment qui paraît le plus opportun. Acheter quelque chose sans débourser un centime pour le revendre au moment où il vaut le plus cher, c’est évidemment une opération qui ne demande pas beaucoup d’efforts et peut rapporter gros. Très gros. Ainsi madame Pénicaud a réalisé cette opération au moment même où elle était en charge d’un plan social concernant 900 personnes. À l’annonce de ce licenciement, les marchés financiers se frottaient les mains et la valeur des actions Danone a fortement progressé. Madame Pénicaud a donc gagné sans faire le moindre effort et sur le malheur de 900 personnes une somme considérable : 1 130 000 €.
Que devient cette somme devant l’impôt ? Je suis parti de l’hypothèse où ce serait son seul revenu de l’année. Bien sûr, ce n’est pas le cas, car elle en avait bien d’autres et notamment son salaire… Le barème d’imposition s’appliquant à ce genre de revenus en 2013 était progressif. Il aurait conduit madame Pénicaud à payer 30% d’impôt sur le revenu au titre des 152 000 premiers euros et 41% au titre des 978 000 suivants. Ce à quoi il aurait fallu encore ajouter 15,5% au titre des prélèvement sociaux. Dans ces conditions, au total elle aurait dû payer : 616 125 euros d’impôts. Mais si la réforme prévue par Macron s’était appliquée à l’époque, la situation aurait été totalement différente pour Madame Pénicaud. Elle n’aurait été imposée qu’à 30% sur l’ensemble de la somme, soit 333 900 euros d’impôts. Cela représente une économie de 278 235 € par rapport à ce qu’elle aurait dû payer dans l’ancien système ! Dorénavant, ce sera la règle. On peut dire qu’il s’agit d’une faveur incroyable accordée à ceux qui ont déjà le plus ! L’ensemble de ceux qui perçoivent la majorité de leur revenu en rentes profiteront donc de ce prélèvement unique très favorable. Il s’agit ici de la catégorie des plus riches en France. L’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a calculé que les 1% les plus riches gagneraient en moyenne 4500 euros chacun grâce à cette évolution et les autres pratiquement rien.
Mais ce n’est pas tout ! Emmanuel Macron a encore prévu une autre faveur pour les plus riches. Il a décidé de supprimer l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour les patrimoines financiers. Toute la partie de la fortune d’un particulier constitué en actions ou titres financiers ne sera plus comptée dans l’évaluation de sa fortune pour y appliquer l’impôt de solidarité. Dorénavant on ne prendra en compte que le patrimoine immobilier. Pourtant, c’est le capital financier qui constitue l’essentiel des plus grandes fortunes. Cela représente les neuf-dixième de la fortune des 3 500 plus importants contribuables. Les 0,1% les plus riches de la population française ont en moyenne un portefeuille financier qui atteint 14 millions d’euros. Pour eux, la suppression de l’ISF sur cette partie de leur capital sera l’équivalent d’une réduction d’impôt annuelle de 170 000 euros.
Le montant de ces cadeaux donne le vertige ! Quand on fait le total, c’est encore plus impressionnant. Il y en a pour environ 7 milliards d’euros par an ! Cet incroyable manque à gagner pour l’État n’a aucune justification autre que de vouloir satisfaire le milieu social qui a organisé la promotion, le verrouillage de la situation et pour finir l’élection d’Emmanuel Macron. La taxation des revenus financiers, la structure de l’impôt sur la fortune, ce sont des questions qui touchent très peu de monde. Quand, où, sous quelle forme ces gens-là ont-ils présenté leurs revendications ? Ont-ils fait des cortèges, des pétitions, des manifestations ? Non. Le président et les riches se connaissent assez pour savoir exactement quoi faire et quand !
Mais il faut prendre la pleine signification de ce que le retrait de telles sommes des caisses de l’État signifie. Ces 7 milliards d’euros par an permettraient de financer l’embauche de 60 000 enseignants et l’ouverture de 115 000 places en crèche… Ou bien celle de 3000 centres de santé et la construction de 25 000 logements HLM. Tel est l’immoralité absolue qui se cache derrière les grands mots des prétendues doctrines économiques que les libéraux psalmodient.
Le gouvernement et ses porte-paroles savent que personne ne peut accepter une telle indécence. C’est pourquoi ils font miroiter aux yeux du grand nombre les bienfaits de la suppression des cotisations salariales pour le chômage et la maladie. Ou bien la suppression de la taxe d’habitation. Pendant ce temps, personne ne regarde de l’autre côté, là ou les poches remplissent par centaines de milliers d’euros. Quant aux bas salaires, inutile de dire que les gains promis seront en réalité très réduits ! En effet la baisse des cotisations sera étalée sur l’ensemble de l’année prochaine mais la hausse de la CSG se produira entièrement à partir du 1er janvier. Bilan pour un SMIC : une hausse de 5 euros. Juste la somme correspondant à la baisse des APL.
Mais au passage, ce n’est plus le capital qui paye les cotisations sociales qui sont pourtant une part du salaire réel. Le « salaire brut », c’est du salaire ! Dorénavant il sera payé par les contribuables qui devront compenser à l’euro près l’exonération de cotisations sociales décidées par Macron. Autrement dit : le salaire payé par l’employeur sera baissé et l’impôt sur le contribuable salarié sera augmenté pour payer cette baisse. D’un autre côté, les retraités qui ont des pensions de 1200 euros seront perdants : ils subiront la hausse de la CSG sans aucune compensation. Au final, l’étude de l’OFCE le confirme, les baisses d’impôts concerneront surtout les plus fortunés : 46% de ces baisses iront aux 10% les plus riches. On dit merci à qui ?