europe france

22.10.2017

Les identités assignées

Le plus pénible des jours en cours n’est pas tant d’exposer nos idées, ni de polémiquer avec ceux qui les contredisent. Le plus pénible est de devoir passer son temps à se défaire des assignations identitaires auxquelles nous condamnent ici et là les petits procureurs de la vie médiatique et leurs divers répétiteurs automatiques. Et le plus pénible dans ce domaine est le niveau d’ignorance et de grossièreté intellectuelle de ceux qui s’expriment contre nous. La polémique sur le rôle de la rue dans la lutte contre les nazis a débouché sur une révision générale de l’Histoire par des gens qui n’en connaissent ni le premier mot ni les enjeux. Dire que la rue a fait les nazis est un contresens historique total. Les nazis n’ont jamais gagné de majorité électorale en Allemagne. En France non plus, car les ligues fascistes ont été dissoutes en 1934 et il aura fallu la défaite de 1940 pour que soit imposée au peuple français la « révolution nationale ». Si le peuple français ne joue aucun rôle dans sa libération et que tout est dû à l’action des alliés anglo-saxons, on comprend la suite. L’armée rouge ne joue aucun rôle, la résistance populaire n’existe pas, le général de Gaulle a eu tort de s’opposer à l’installation de l’administration américaine qui était prévue, et la France n’avait pas sa place à la table des vainqueurs.

On connaît cette thèse. On sait qui la portait autrefois en France… Elle a dorénavant gagné assez de terrain pour qu’il n’y ait pas une seule protestation quand l’action populaire dans la libération du pays face aux nazis est ramenée par le journal « Charlie » à une caricature qui me représente avec un brassard FFI en train de tondre une femme. La résistance tondait les femmes en tant qu’activité principale ? Elle se faisait fusiller et torturer en tant que second job ? Elle ouvrait les combats libérateurs à Paris et Marseille pour se distraire ? Les plaques dans toutes les rues de Paris à la mémoire des combattant du 19 août 1944 sont le street-art de l’époque ? Le discours de de Gaulle à l’hôtel de ville de Paris a un rapport avec la cigarette que fumait le général ? Bref, dans la mesure où il s’agit de nous traîner dans la boue, tout est bon y compris le renoncement à un des fondamentaux du récit des vainqueurs français de 1945.

Après cela est venu l’épisode misérable contre Danièle Obono et Clémentine Autain à propos de laïcité. La charge contre « la France insoumise » est tout de même parue ridicule à certains des commentateurs qui suivent l’action politique de nombre d’entre nous depuis plus de 20 ans sur le sujet. Ils ont donc cru habile de chercher à opposer les uns aux autres. Et cela jusqu’au point de pouvoir titrer en « une » de Marianne que la question « déchire les insoumis » à la faveur d’un échange avec un inconnu sur Facebook (ça m’appendra à répondre sans connaître). On ne saurait aller plus loin dans l’invention de l’actualité. La vérité est terrible. Il n’y a pas eu une seconde de débat collectif ou singulier ni au groupe parlementaire la « France insoumise », ni dans « l’espace politique » du mouvement, ni dans aucune de nos instances avant, pendant ou après les épisodes montrés du doigt. Vous me lisez bien ? Pas une minute. Mais cela n’empêche pas tel ou tel média d’inventer de toutes pièces un « déchirement » entre nous. Il n’y en a pas. Il n’y en aura pas. Jamais. La ligne du mouvement « la France insoumise » concernant la laïcité dans tous ses aspects est contenue dans le livret programmatique sur le sujet.

Ce livret, comme les 39 autres, est signé à la dernière page par les deux coordinateurs de ces livrets : Laurent levard et… Danièle Obono. Cela ne peut donc pas être plus clair ! Tout ce qui précède ce texte, ou l’environne, est du domaine de la liberté individuelle de chacun d’entre nous. Tel est le mouvement. Ce qui compte c’est le programme. Quant à nos inquisiteurs, leur biographie ne plaide pas toujours pour la sincérité de leurs questionnements. Ce sont le plus souvent des obsédés de la haine des musulmans qui s’avancent sous divers déguisements et prétextes. Ils n’ont rien de laïques. Un drapeau européen confessionnel chrétien ne les gêne pas. C’est de la « politique infantile » selon le sénile Libération. Le concordat d’Alsace-Moselle, quand nous le dénonçons, nous fait montrer du doigt. Et ainsi de suite.

De notre côté, nous n’avons pas de laïcité à géométrie variable. Nous défendons les chrétiens d’Orient contre les persécutions musulmanes, les musulmans birmans contre les persécutions bouddhistes, nous luttons contre l’antisémitisme, nous n’avons jamais manqué un rendez-vous contre le racisme, et ainsi de suite. Nous nous efforçons de tenir les deux bouts de la chaîne qui, seule, peut unir notre peuple. Car nous faisons partie de ceux qui n’ont qu’une patrie : la République. Pas de religion en politique ! Pour cela nous ne voulons participer, de près ni de loin, à aucune stigmatisation des musulmans. Pas davantage que des juifs, des chrétiens, des protestants etc. Nous voulons incarner la bienveillance et la tolérance des 60 % de Français qui affirment n’avoir aucune religion mais acceptent que les autres en aient une à la condition qu’elle ne cherche pas à dominer ou imposer ses vues. Pour nous, la laïcité est une protection de la liberté de conscience. Pas un manuel d’inquisition.

À présent, voici que surgit une nouvelle tentative d’assignation identitaire. Je serai parcouru d’une « tentation souverainiste ». La tentation dans le vocabulaire religieux est le risque du péché. Le péché c’est le mal. Le mal est le contraire du bien. Donc le souverainisme c’est le mal. Mais le bien ? Où est-il ? Devinez ! On voit dans quelle alternative étroite est installée le débat en deux mots « tentation souverainiste ». Comme depuis 2005 il y a le camp du vrai, du bon, du juste, du beau, du noble, de l’intelligent. C’est le « oui, oui, oui ». L’Europe qui nous protège, l’Europe des pères fondateurs, du pragmatisme, de la modernité et blablabla. Toute critique est une marque instantanée d’appartenance au camp du mal, du « non », du « repli national », de l’égoïsme cocardier, du chauvinisme, de la xénophobie. Un mot désigne donc dorénavant ces nouvelles gémonies : le souverainisme. Qu’il s’agisse de souveraineté nationale, de souveraineté populaire, peu importe.

Macron peut parler de « souveraineté européenne » et utiliser 18 fois le mot dans un discours, sans le définir une seule fois, il ne peut pas être considéré comme « souverainiste » car il est dans le camp du bien. Nous pouvons utiliser plusieurs dizaines de fois le mot « indépendantisme français » ou bien « universalisme républicain » pour nommer notre position, peu importe. Nous sommes nécessairement des « souverainistes » donc détestables. Nous sommes dans le camp du mal qui ne veut ni de défense européenne, ni d’indépendance de la banque centrale, ni d’Europe allemande, comme l’exige sans discussion possible l’appartenance au camp du bien. À vos risques et périls messeigneurs et gentes dames les médiacrates. Mais vous y viendrez. Quand j’ai commencé à critiquer le statut de travailleur détaché, ce fut une pluie d’injures sur ma xénophobie, le « flou » et donc « le loup » que contenait ma position selon quelques bonnes âmes spécialisées dans l’indignation et le sursaut à chacune de nos paroles. Dorénavant tout le monde est d’accord avec moi : le problème existe ! Et le président Macron est obligé lui aussi de faire semblant, même si ce qu’il propose n’a strictement rien à voir avec ce que je dénonce puisqu’il ne veut pas toucher à la cotisation sociale dans le pays d’origine du travailleur détaché. De même pour la manière de régler le problème de la guerre en Syrie et ainsi de suite.

Nous voici en route vers les élections européennes. Les vieux disques rayés de la politique française jouent sans discontinuer les refrains perdants de 2005. Macron est moins bête qu’eux. Il a enfourché le cheval de la « souveraineté », lui aussi, dans ses trois discours sur le sujet. La souveraineté européenne. Les fainéants des plateaux de commentaires n’ont rien noté. Ils ont bêlé en cadence leur admiration européiste. Seul « Le Monde », dans son cahier spécialisé, a montré que la « souveraineté européenne » se substituait dorénavant à la « souveraineté nationale » dans le vocabulaire du chef de l’État. Ce débat n’est pas médiocre. Il est même décisif. Il n’a rien à voir avec le souci qui m’est prêté à cette occasion de « vouloir occuper la première place face à Macron » sur le sujet. Comme si c’était à faire ! Ou de reprendre l’espace de « l’euroscepticisme », notion gélatineuse grotesque pour salle de rédaction fatiguée.

Nous avons le droit au débat politique. Nous avons le droit de proposer des sujets, sans être rabougris instantanément aux pauvres cases préconçues qui fixent les limites de l’intelligence médiatique officielle actuelle. Si le débat des européennes doit se limiter à la caricature de 2005 ce serait un drame moral. Nous nous en tirerons bien de toute façon. Les euro-bêlants et les euro-rêveurs ne motivent plus grand monde. Je partage l’avis d’Emmanuel Macron qui veut faire de cette élection le moment d’un vrai choix. Un choix libre. C’est-à-dire le choix entre les options réellement présentes et non pas celles qui ont été fantasmées par les répondeurs automatiques médiatiques en poste à Bruxelles avec bureaux et activités cloisonnées depuis plus d’une décennie.

Bien sûr il nous faut encore tracer notre chemin. Ce tableau est-il mis en place par sottise et ignorance ou par volonté de manipulation ? Comme il est impossible de modifier quoi que ce soit d’un refrain médiatique quand il est lancé, comment pouvons-nous utiliser le plus efficacement possible cette situation ? Je parle évidemment ici la façon de faire campagne. Parce que pour le reste tout est déjà en place. La ligne stratégique est décrite dans le programme L’Avenir en commun. Le regroupement transnational qui correspond est le fameux « forum du plan B » qui vient de tenir sa cinquième session à Lisbonne. La variété des listes de la vieille gauche pour « refonder », « changer », « améliorer », « relancer » l’Europe et autres songe-creux est aussi une opportunité tactique pour nous. Surtout si tout ce petit monde a le bon goût de faire liste commune pour terminer le tableau de l’angélisme européiste de la vieille gauche.

DERNIERS ARTICLES

Bruno ! Bruno Le Maire ! Bruno Pinocchio ! Pinocchio ! Dans l’enfer des menteurs, le diable se réjouit déjà de pouvoir vous assaisonner avant de vous cuire ! Bruno,…
Rechercher