Emmanuel Macron vient d’inventer l’eau chaude et peut-être aussi le fil a couper le beurre. La décision du Conseil européen, contre la position française de renouveler l’autorisation de commercialisation du glyphosate dans l’Union européenne pour 5 années supplémentaires a ouvert une séquence excitante de la vie de l’Union européenne. Les deux grandes puissances économiques de l’Europe, la France et l’Allemagne, viennent de se prendre les pieds dans le tapis de leur errances.
Commençons par les Allemands. En effet, c’est le vote de l’Allemagne qui a fait pencher la balance en faveur de cette nouvelle autorisation. Cela au prix d’une nouvelle crise dans la crise pour constituer une nouvelle majorité. La ministre du commerce a voté « RoundUp » quand celle de l’écologie votait contre. Le caractère décisif de ce vote des Allemands montre de façon spectaculaire la thèse que je développais dans mon livre Le Hareng de Bismarck. En Europe prévalent d’abord les intérêts de l’oligarchie allemande. Les préoccupations écologiques et sociales des peuples européens viennent ensuite. C’est les intérêts du géant allemand de la chimie Bayer qui ont ici fait la loi. Il est en effet en ce moment en train de racheter Monsanto, la firme qui commercialise le « RoundUp ».
Cette décision montre aussi le peu de conséquences qu’ont les votes du Parlement européen. Celui-ci s’était en effet prononcé pour une interdiction ferme du glyphosate d’ici 5 ans. Or, la décision du conseil n’implique aucune une sortie du glyphosate. Dans 5 ans, la question du renouvellement de son autorisation se posera dans les mêmes termes. C’est donc la proposition de la Commission, organe non élu, qui a prévalu sur celle du Parlement, ainsi que c’est toujours le cas. Le fait que ce que vote un parlement démocratiquement élu puisse avoir aussi peu d’incidence pose question sur le contenu réel de la « souveraineté européenne » qu’Emmanuel Macron encense à longueur de discours.
Le président de la République a donc annoncé que la France sortirait seule du glyphosate d’ici trois ans. Le lendemain, son ministre de l’agriculture se félicitait pourtant de la décision du Conseil à l’Assemblée nationale lors de la séance de questions au gouvernement. Puis, c’est le Premier ministre qui a contredit le Président auprès de la délégation de « la France insoumise » qui venait le voir pour discuter des élections européennes. Pour l’instant, la confusion règne donc. Le plan A, l’interdiction de ce produit au niveau européen a échoué. La question est donc : Emmanuel Macron a-t-il un plan B ? Est-ce vraiment la désobéissance comme il l’annonce ?
Le problème de l’interdiction d’un produit agricole dangereux pour la santé humaine s’est déjà posé dans un passé récent à propos d’un insecticide utilisé dans la culture des cerises : le diméthoate. En février 2016, cet insecticide a été classé comme dangereux par l’Agence nationale de sécurité sanitaire. La France a donc demandé au niveau européen l’interdiction du produit. Face à l’absence de réaction coordonnée de la part de l’Europe, le ministère de l’agriculture français a interdit la commercialisation du diméthoate sur le territoire français et interdit l’importation de cerises traitées avec cet insecticide. Depuis, les importations de cerises en provenance des États-Unis, du Canada et de Turquie sont entièrement interdites. Pour les autres pays à l’extérieur de l’Union européenne, un certificat attestant de la non-utilisation de l’insecticide doit être produit. Cependant, les règles de fonctionnement de l’Union européenne rendent cette interdiction inopérante. En effet, impossible de contrôler les cerises en provenance d’autres États de l’Union.
À l’intérieur du marché unique, les États n’ont pas de compétence douanières. Les marchandises circulent librement, sans déclaration à l’importation ni d’arrêt pour les contrôler. L’Autriche, la Bulgarie, la Croatie, le Luxembourg, la Roumanie et la République tchèque utilisent du diméthoate sur leurs cerises. Et pour les autres États, il est facile de passer par État membre de l’Union pour ensuite exporter leurs cerises en France. Ainsi, alors que notre agence d’experts et notre gouvernement considèrent que ce produit devrait être interdit, il est impossible de contrôler qu’il n’entre pas en France. Les perdants sont les consommateurs et les agriculteurs français. Les uns parce qu’ils consomment des cerises dangereuses pour leur santé et les seconds parce qu’ils sont exposés à une concurrence déloyale.
Ce problème se reposera de manière amplifiée si la France décide effectivement d’interdire le glyphosate dans 3 ans. Il faudra alors bien interdire les importations de produits agricoles glyphosatés et se donner les moyens de contrôler cette interdiction. Sans cela, impossible pour le monde agricole français de passer à une autre manière de produire : ils seront écrasés par la concurrence. Cela suppose concrètement de désobéir aux traités européens. Et de vérifier qu’on a les moyens matériels de le faire. Comment ? 5000 postes de douaniers ont été supprimés depuis 2007. Donc il faut avoir un solide « Plan B » qui permette de ne pas être impuissant face aux décisions anti-écologiques ou anti-sociales de l’Union européenne. Lequel ? On va voir. En attendant, réjouissons-nous de voir Macron installé sur le tapis roulant des raisons qui conduisent jusqu’à notre proposition de Plan B combiné au protectionnisme solidaire. La FNSEA a déjà ressorti le rayon paralysant traditionnel : elle a accusé Macron de… nationalisme. Je pressens que la suite va être captivante.