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Le logement devenu une spéculation ! Merci qui ?

Jour après jour, dans une ambiance crépusculaire, Marseille s’enfonce dans la forme la plus violente des crises du logement, celle où l’incurie et la cupidité ont fait naître un monde où les bâtiments s’effondrent ou menacent de mort les habitants qui les occupent.

Sur le terrain, les équipes d’insoumis font du mieux qu’ils peuvent pour se rendre utiles. Ma permanence, les écrivains publics, tout est mobilisé car c’est là que viennent nombre de personnes dont on découvre qu’elles sont purement et simplement livrés à elles-mêmes. Car au moment où on penserait que les moyens d’accueil, d’écoute, d’entraide et de secours seraient en fonctionnement à plein régime, la situation est au contraire aussi incertaine qu’aux premières heures de la catastrophe rue d’Aubagne. Pourtant, plus de mille personnes sont déplacées de leurs domiciles à mesure que les arrêtés de péril tombent.

En responsabilité, je n’entre pas davantage dans le récit pour cette fois, compte tenu des circonstances particulièrement tendues qui prévalent sur place. J’ai surtout le souci de respecter la primauté de parole qui revient à ceux qui représentent l’action citoyenne dans les secteurs de la ville qui sont concernés. Mais je crois que le moment exige aussi des grilles de lecture politique sur le fond. Je propose donc un coup d’œil pour analyser et comprendre.

Depuis le début des années 2000, le logement est pleinement entré dans l’économie financière. Un tribut de plus en plus lourd est prélevé sur ce secteur sans qu’il ne corresponde à aucune valeur d’usage réelle. Depuis 1996, les prix de l’immobilier ont augmenté 5 fois plus vite que le pouvoir d’achat des ménages. À Paris, ils ont même explosé de 350%. Tout cela au prix d’un endettement des ménages qui a doublé depuis 2000. Le logement a été transformé en produit financier spéculatif.

Dans cette optique, il est normal que le logement social dérange. En effet, il sort du marché privé de l’immobilier une fraction importante de la population. Il propose de subvenir au besoin en logement en dehors des mécanismes capitalistes. Du point de vue des libéraux, les 4,5 millions de HLM en France sont des actifs qui dorment, qui ne sont pas valorisés. C’est pourquoi ils portent une vision dite « résiduelle » du logement social. Cela signifie que ces logements ne devraient être réservés qu’aux plus pauvres. L’objectif étant que de plus en plus de personnes dépendent du marché pour se loger. C’est ce mécanisme qui est à l’œuvre quand on découvre dans des quartiers pauvres autant de loyers incroyablement élevés. Eliminés de l’accès au logement social par pénurie ou par les exigences trop élevées des bailleurs, des masses de gens doivent accepter n’importe quelle location, à n’importe quel prix pour ne pas être sans toit. Cette réalité ne tombe pas du ciel. Une fois de plus l’Union européenne joue son rôle négatif habituel. Voyez cela.

Alors que les politiques du logement sont censées être une compétence exclusive des États membres, la Commission a trouvé le moyen d’attaquer les systèmes de logements sociaux des États. La manœuvre a commencé en 2005. Cette année-là, la Commission européenne signale aux Pays-Bas que les subventions qu’ils versent aux organismes de logements sociaux sont contraires au droit de la concurrence. En effet, 34% de la population néerlandaise est alors logée en logement social. Trop pour la Commission européenne qui y voit une distorsion de concurrence avec le marché immobilier privé. Les Pays-Bas seront finalement contraints de changer leur législation pour réserver l’entrée en logement social aux seuls plus pauvres. La Suède a subi les mêmes reproches. Depuis, elle ne subventionne plus du tout les logements sociaux communaux. La France n’a pas été sanctionnée par la Commission européenne. Mais pour cela elle a dû, de son initiative, restreindre l’accès aux HLM en 2009.

Macron approfondit cette œuvre en France en passant en force, une fois de plus. Le logement social en prend pour son grade. Le but est bien de créer un marché du logement spécialisé pour les pauvres. Dans son premier budget, il a coupé sec dans les budgets des offices HLM : 1,5 milliards d’euros en moins chaque année. Puis est venue la loi ELAN. L’évènement est passé sous les radars médiatiques comme tout sujet qui comporte une dimension technique et de la complexité. Pourtant, c’est une bombe que cette loi. Elle a fixé à 40 000 le nombre de logements sociaux qui devront être vendus par an. C’est-à-dire un rythme de vente cinq fois supérieur à celui atteint actuellement. Ces logements pourront être vendus à la découpe à leurs occupants ou en bloc à des investisseurs privés. Certes, il y aura d’honnêtes « investisseurs ». Mais on comprend qu’il y en aura d’autres qui ne le seront guère. Là encore, l’exemple marseillais est parlant. Des appartements achetés à vil prix en copropriétés dégradées sont ensuite loués à prix forts tout en étant purement et simplement abandonné quant à l’entretien. La loi ELAN va donc avoir pour effet de transformer une partie des logements sociaux en logements insalubres. Évidemment, l’effet de ces mesures va être d’accroître la pénurie de logements sociaux.

Précisons encore un point qui éclaire le mécanisme d’expulsion du logement social que cette loi prévoit. En effet la loi ELAN prévoit aussi un « examen » de la situation des locataires HLM tous les trois ans afin de les faire partir s’ils sont considérés comme « trop riches » pour vivre là. Mais d’ores et déjà, deux millions de personnes sont sur liste d’attente pour obtenir une HLM. Lorsqu’il y aura moins de logements sociaux pour les loger, les demandeurs ou les expulsés devront trouver une autre solution. Et celle-ci, ils la trouveront probablement dans les marchands de sommeil, qui ne demandent pas les mêmes dépôts de garantie, les mêmes revenus et conditions d’emploi pour louer des logements.

Par ailleurs, la loi ELAN va accroître la « ségrégation spatiale ». Cette spécialisation sociale de l’espace s’est d’abord faite par le haut : les riches se sont enfermés dans des ghettos desquels ils ont refusé, avec constance et contre la loi, l’installation de logements pour d’autres catégories du peuple. Elle va désormais continuer par le bas : en créant des quartiers de logements sociaux réservés à la plus grande pauvreté. Au total, des situations extrêmes s’observent dorénavant non seulement à Marseille mais dans d’autres villes au fur et à mesure des sinistres qui s’y déroulent. Mais aucune ne surgit par malchance ou mauvais sort. Tout est en continuité d’un ensemble de faits qui rendent tout cela possible et même inéluctable. En entrant dans le secteur de la financiarisation le logement est devenu une marchandise rare comme le capitalisme en a besoin pour créer à la fois un marché et un moyen d’accumulation rapide.

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