Cette quinzaine, la campagne de dénigrement permanent contre « la France Insoumise » (et naturellement contre moi) a changé de centre de gravité. Il est question dorénavant d’une supposée convergence entre les insoumis et les lepénistes. N’importe qui est capable de se rendre compte de l’absurdité de cette affirmation. Pourtant, elle a fourni la matière première d’amples bavardages médiatiques. La « une » de l’hebdomadaire Macroniste Le JDD sur ma « dérive inquiétante », déclinée ici et là et relayée maintes fois, souligne l’emprise des propriétaires macronistes sur leurs journaux quand il s’agit de relayer un mot d’ordre. La prochaine offensive en préparation à L’Obs confirmera la participation à cette campagne du très macroniste patron de ce journal. L’homme assume ses convictions et rentabilise son investissement politique dans les médias. Il a déjà viré un rédac chef et gourmandé le suivant à plusieurs reprises pour crime de lèse-macronisme. Une première fois pour avoir montré Macron en « une » dans les barbelés des camps de rétention : rédacteur en chef viré, zéro protestation dans la corporation. Une autre fois pour avoir fait la « une » en gilet jaune.
Tout cela est banal et conforme à l’état du marché médiatique. Qui paie commande et dirige les porte-plumes et les micros. Mais il devrait en aller tout autrement de L’AFP, agence publique payée par les impôts de tous, y compris les 77 % d’électeurs qui n’ont pas voté Macron en 2017. On comprend parfaitement que l’agence ait soin de ne pas trop contrarier le pouvoir. On sait pourquoi. Mais il n’est pas acceptable qu’elle se fasse le relais des campagnes politiciennes du pouvoir. Ainsi à propos de cette soi-disant convergence du FN avec les insoumis. Pourtant c’est ce qu’elle a fait de façon très décevante de la part d’un organe de service public. Les conséquences sont graves car la presse, et en particulier la presse régionale, utilise beaucoup la ressource AFP pour s’alimenter en information réputée sûres, c’est-à-dire non biaisées. Voyez cela.
L’AFP a diffusé une dépêche à la suite à une interview donnée par Madame Le Pen au journal Le Temps. Cette interview de plus 7500 signes est titrée par Le Temps « Converger autant avec l’Allemagne, c’est une trahison ». Pourtant, l’AFP a délibérément choisi de s’en tenir aux extraits où elle est interrogée sur les Insoumis. Au point de titrer cette dépêche : « Marine Le Pen souligne plusieurs convergences avec Mélenchon ». Grossier montage. Mais ce n’était pas le premier. En moins de quinze jours, l’AFP a édité quatre dépêches associant les noms « Mélenchon » et « Le Pen ». Le 9 janvier : «Les « gilets jaunes » ont « souligné certaines convergences » entre LFI et RN (MLP) ». Le 10 janvier : « Pour Mélenchon, « les divergences se sont creusées » avec Marine Le Pen ». Le 13 janvier : « Une alliance LFI-RN – « gilets jaunes » ni probable ni souhaitable ». C’est un feuilleton qui donne le sentiment que le sujet existe, qu’il y a un débat. Et tout cela au moment où l’agence promeut les outils qu’elle met en place pour traquer les Fakes News.
Il est vrai que le coup est parti de madame Le Pen elle-même. Mais est-ce une raison pour se prêter à son jeu sans aucune analyse critique ? D’autant qu’elle varie souvent sur ce sujet. Une fois elle note des convergences. Une autre elle le dément formellement sur « France 2 » quand apporte son soutien aux partants de la France insoumise en prétendant rejoindre leurs critiques contre l’islamo-gauchisme qui désormais caractériserait notre mouvement. Certes, on a pu observer dans la presse de nombreux commentateurs pour pointer l’absurdité du parallèle. Nous avons donc protesté auprès de l’agence. Laquelle a donné suite, pense-t-elle. Vous allez voir comment. Ce fut un titre qui renvoyait au contenu de mon précédent post ici même : « Mélenchon en revient au combat frontal contre le Pen ». Mes lecteurs apprécieront le sous-entendu. Et l’agence d’en fournir une explication : nous le ferions pour enrayer la fuite de nos électeurs présents sur les ronds-points vers le Front national. Restons optimistes : on doit pouvoir faire plus malhonnête.
Naturellement tout cela n’a pas la moindre influence sur qui que ce soit sinon dans les salles de rédaction dont on connaît la composition politique. Mais cela est un signe de plus de la nature du système qui se met en place sous la présidence de Macron. La boucle médias – justice – parti au pouvoir – cabinet élyséen se conforte d’un abus impuni à l’autre. La dérive autoritaire se loge dans cette mainmise de tous les instants sur tous les canaux qui pourtant devraient alimenter le pluralisme et la pensée critique qui sont le propre des régimes démocratiques. Quand on constate dans un sondage que seuls 3% des sondés pensent que les chose se passent comme le disent les médias, on voit la profondeur du malaise.
Bien sûr, ce discrédit total atteste de la lucidité des citoyens. Mais la crise qu’il montre et l’état des lieux qu’il pointe signalent la profondeur de la frustration. Une vieille démocratie comme la nôtre mérite mieux que cette situation digne des républiques bananières. On a pu noter un moment de volonté d’autocritique dans les rédactions à la suite du traitement médiatique de la séquence gilets jaunes. Mais elle n’a eu aucune conséquences concrète. Au point qu’on peut plutôt penser à une sorte de mise en scène destinée à purger le malaise du discrédit avéré.
Quoi qu’il en soit et pour en revenir à Le Pen, notre objectif reste de reconquérir les « fâchés pas fachos » dans tous les secteurs de la société. Nous sommes donc aux antipodes de la logique de classe qui anime actuellement la bonne société du centre-gauche et du centre-droit. Notre méthode dans ce domaine n’est pas de prendre à notre compte les accents du mépris du peuple et de sa culpabilisation qui dominent ce secteur. Nous menons la bataille à partir des faits. Nous montrons preuve en main comment Le Pen ment quand elle se dit du côté des gilets jaunes puisqu’elle se prononce contre pratiquement toutes leurs revendications. Sur les ronds-points, les insoumis discutent avec tout le monde, comme tout le monde le fait d’ailleurs. Ils n’ont pas besoin de consignes pour le faire. Mais ils ont besoin d’argumentaires. Le Mouvement les leur donne. Et ces discussions sont autant d’enjeu. Nous ne procédons donc ni par la diabolisation ni par les injures. Nous argumentons dans le but de convaincre ceux à qui nous nous adressons. Notre objectif n’est pas le leadership sur les convaincus. Ni la compétition avec le méta-discours « face à Le Pen, il faut telle ou telle posture ». Notre objectif est la conquête des esprits perdus qui se trompent de colère. Cela veut dire une grande acuité pour discerner les failles de l’imposture lepéniste, ses contradictions, ses enfumages. C’est du travail, de la vigilance, de la mise au point permanente des outils de combat.
Nous avons ainsi choisi une autre méthode que la stratégie du « harcèlement démocratique » autrefois théorisée au PS qui visait à rendre impossible les réunions du FN. Et nous ne nous embourbons pas dans le prêchi-prêcha des bonnes consciences paresseuses qui amènent toute discussion au point Godwin. Notre difficulté aujourd’hui est plus grande que par le passé. Le lepénisme médiatique, qui a construit de longue main le deuxième tour de 2017, a permis au Front national d’acquérir une puissance considérable et indéniable. D’amples secteurs de la droite glissent depuis de ce côté comme on le voit partout en Europe. Et un vrai secteur d’ultra-droite s’est déployé sur le terrain que les anti-fa sont bien seuls à affronter. Mais surtout, l’instrumentalisation de l’extrême droite a repris de plus belle dans les médias et à l’Élysée à l’horizon de l’élection européenne. Enfin, la tentative pour nous détruire judiciairement avec la comédie des perquisitions sur la base dénonciations fantaisistes est dans ce registre de la terre brûlée autour de lui qui est le propre de la stratégie macroniste. Le feuilleton judiciaire auquel nous allons être soumis avant chaque élection en est un des instruments aussi.
Pour autant tout cela ne peut avoir qu’un résultat : la montée des tensions politiques dans la société. Et cela n’est un terrain de jeu pour les macronistes que si la police et les diverses institutions de violence légale tiennent le coup aux côtés du régime. Et tant que nous sommes cohérents dans notre volonté de conduire les évènements vers leur issue positive dans l’avènement de la 6ème République, l’énergie de nos adversaires peut être retournée contre eux. Cela s’appelle mener un combat politique.