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Le Grand Débat et son impasse

Le grand bavardage macronien, connu sous son appellation officielle « grand débat », s’achève le 16 mars. On peut donc en faire le bilan. Ce que nous avions dit au moment de son lancement est confirmé : cette opération a été une perte de temps pour ceux qui y ont participé. Depuis le début, le prétendu débat est faussé. Le gouvernement avait bien fait semblant de confier son organisation à la commission nationale du débat public. Las, celle-ci avait bien dû se rendre à l’évidence et jeter l’éponge faute de garanties suffisantes d’indépendante. Finalement, toute l’organisation et la synthèse ont été confié à deux membres du gouvernement : Emmanuelle Wargon et Sebastien Lecornu. Les questionnaires mis en ligne sont si biaisés qu’ils provoquent davantage un éclat de rire qu’autre chose. Les questions ne reprennent que la feuille de route du gouvernement. On y a le choix, par exemple, entre « reculer l’âge de la retraite », « augmenter le temps de travail » ou « revoir les conditions d’attribution de certaines aides sociales ».

Au fur et à mesure que les semaines avançaient, il est devenu de plus en plus clair que le but de cette agitation était à la fois de tenter de diluer le mouvement populaire dans le bavardage mais aussi de fournir un support gratuit pour la campagne d’En Marche aux élections européennes. Le 3 février 2019 à Trappes, lors d’une réunion publique « grand débat », la ministre Agnès Buzyn trahit le véritable but de la manœuvre en clamant vouloir « gagner ces élections européennes ». Le « Macron tour » a donné lieu à de fastidieux monologues du Président, des heures durant. Tout cela étant diffusé en direct, sans interruption ni contradiction par toutes les chaînes d’information du pays, parfois pendant sept heures d’affilé. Ces chaines, bien sûr, ne se sont pas demandées si un tel monopole du temps de parole télévisé par le chef de l’État pouvait poser un problème pour le pluralisme minimum dont doit jouir une démocratie normale. Le député Insoumis de l’Ariège, Michel Larrive a saisi le CSA pour que les discours fleuves de Macron soient décomptés du temps de parole de LREM dans le cadre des élections européennes.

Le traitement des données recueillies est lui aussi problématique. Il témoigne à la fois d’un amateurisme et d’une volonté de biaiser les résultats. L’analyse des réponses sur le site internet a été confié à une entreprise privée du secteur sans qu’on soit assuré qu’il soit bien le plus fiable, rigoureux et honnête qui soit. Il s’agit d’une entreprise de sondage : OpinionWay. Il utilisera un logiciel de traitement automatique de données. Mais comment analyser ses biais ? On ne le saura pas.  Par ailleurs, un bon nombre de contributions faites en dehors du site ne pourront tout simplement pas être traitées car il n’y aura pas le temps de la numériser. Enfin, concernant les comptes-rendus de réunions, le gouvernement en a imposé le format. Des organisateurs locaux de « grand débat » ont fait connaitre leur réticence à ce genre de méthodes.

Du coup on sent que le contenu réel des contributions compte peu. Macron connait d’avance le résultat. Il n’a jamais été question pour le pouvoir de remettre en cause son orientation en faveur des riches et de la compétition partout. Le grand débat avait commencé avec Benjamin Griveaux disant qu’il n’était pas question « de rejouer l’élection présidentielle de 2017 ». Il s’achève avec les inquiétudes du Premier ministre devant les parlementaires de sa majorité estimant qu’il « faut préparer nos concitoyens à ce que les propositions à la sortie du Grand débat national ne seront pas les réponses à toutes les remontées du grand débat ». Entre temps, on aura pu entendre Macron dire tout le bien qu’il pensait de l’ISF et tout le mal des référendums.

Mais maintenant on peut aussi le dire : pour le régime, c’est un échec cuisant. Car c’est d’abord un flop populaire de première grandeur. Au 9 mars, on comptait 160 000 internautes ayant rempli un ou plusieurs formulaires pour un total de 334 000 contributions. 160 000 personnes ont participé au Grand Débat National sur internet, soit 0,35% de l’électorat. D’après Jérôme Fourquet, directeur du Département opinion publique à l’Ifop, c’est une France urbaine, socialement favorisée et retraitée qui s’est exprimée, du moins sur Internet. Rien d’étonnant donc à ce que la plupart de ceux ayant répondu estime « avoir accès aux services publics dont ils ont besoin » ou qu’une courte majorité des sondés demandent l’instauration de contreparties aux différentes allocations de solidarité. C’est à Paris que l’on trouve le plus de contributeurs relativement au nombre d’habitants. A l’inverse, les deux départements pour lesquels le ratio est plus faible sont la Seine-Saint Denis et le Pas-de-Calais, parmi les plus pauvres du pays.

Le but de Macron en lançant cet objet bizarre était de diluer le mouvement des gilets jaunes dans sa propre parole. Cela ne s’est pas produit. Il est donc attendu au tournant. Les premières fuites et ballons d’essai nous permettent de savoir que le bricolage institutionnel y aura sa part. Au prix du ridicule, on le verra bientôt. Il n’empêchera plus l’idée qu’une Assemblée citoyenne constituante serait plus conforme à ce que le mouvement a cherché à dire quand il réclame le RIC (referendum d’initiative citoyenne).

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