Le fameux prétendu « modèle allemand » est entré dans la phase que connaissent toujours les vieilles chaussettes : les trous deviennent visibles. L’économie allemande est mal en point. Fin 2018, elle a frôlé la récession. Au troisième trimestre de l’année 2018, le PIB a reculé de 0,2%. Au quatrième trimestre, il a tout juste stagné. Le champion allemand croît désormais moins vite que la moyenne de la zone euro. Pour l’année 2019, les prévisions ne sont pas meilleures : un petit 0,7% selon l’OCDE ; à peine plus, 0,9%, pour la chambre de commerce et d’industrie allemande. Le modèle allemand tant célébré pendant des années par les libéraux français ne fonctionne plus. Alors qu’on nous vantait son industrie indestructible et ses excédents infinis, il vacille. En fait, cette difficulté pour l’économie outre-Rhin était prévisible. Les causes sont présentes depuis longtemps. Je les ai exposées depuis des années et notamment en 2014 dans mon livre « Le Hareng de Bismarck ».
D’abord, l’économie allemande pâtit de sa mono-industrie. Sa puissance industrielle était en grande partie une illusion dans la mesure où elle ne reposait sur un unique secteur : l’automobile. Les voitures représentent 20% de tout ce que les Allemands produisent sur le plan industriel. Et les trois-quarts de leurs véhicules sont destinés à l’export. Ses premiers clients ne sont plus ses voisins européens mais la Chine et les États-Unis. La moitié de son commerce extérieur se fait hors zone euro. Du côté de la Chine, pour la première fois depuis 20 ans, le nombre d’immatriculations a baissé en 2018. Aux États-Unis, Trump a décidé de reconstituer une base industrielle au moyen de mesures protectionnistes, y compris, a-t-il menacé, contre les voitures allemandes. En tout cas, sur un an, les exportations automobiles allemandes aux États-Unis ont baissé de 3,9%. Globalement, la demande extérieure pour les véhicules allemands est en recul sur un an de 3,6%. Comme toute l’économie dépend du dynamisme de ses constructeurs automobiles, les conséquences sont démultipliées. Ce que je pointais dans « Le Hareng de Bismark » dans un style pamphlétaire en comparant cette caractéristique allemande avec une « économie bananière ».
Par ailleurs, le type de voitures sur lesquels sont spécialisés les Allemands commence à devenir un défaut pour leur bonne santé économique. Ils produisent essentiellement des berlines diesel. Le scandale du « dieselgate » a révélé comment Volkswagen a triché pendant des années et menti sur le niveau réel de pollution de ses véhicules. L’industrie allemande n’a pas préparé le futur, la bifurcation écologique inévitable. Elle vit toujours sur la rente de l’économie hyper-carbonée. Ainsi, parmi les 20 voitures électriques qui se vendent le plus dans le monde, aucune n’est allemande. Les constructeurs automobiles se sont trop longtemps accrochés à un modèle pollueur appelé, espérons-le, à disparaître.
Si certains en Allemagne, dans le secteur, commencent à s’inquiéter de ce retard et à réfléchir à le rattraper, ils butent sur un autre problème majeur. C’est celui de la démographie. Le vieillissement de la population allemande entraine une pénurie de la main d’œuvre. C’est pourquoi son industrie a plus tendance à vivre sur la rente que sur l’investissement et l’innovation. En réalité, pour maintenir la main d’œuvre à un niveau suffisant, il faudrait une immigration de travail de 260 000 personnes par an pour les quarante prochaines années. Ingérable !
La baisse de la croissance allemande est aussi le résultat du mauvais état de ses infrastructures. On nous a souvent vanté, de ce côté du Rhin, les excédents budgétaires allemands. Encore 58 milliards d’euros cette année. Mais ils ont été construits au prix d’un sous-investissement chronique de l’État et des landers. Résultat, aujourd’hui, les infrastructures sont en ruine. 20% des autoroutes, 41% des routes nationales et 46% des ponts sont vétustes. D’après la banque publique allemande KfW, les besoins d’investissements pour remettre les infrastructures d’aplomb se chiffrent à 159 milliards d’euros. L’été dernier, la chute du niveau du Rhin a provoqué une baisse du PIB ! Normal. Les marchandises qui n’ont pas pu transiter par le fleuve n’avaient pas d’alternative suffisante.
Finalement, la réussite insolente de l’Allemagne était une illusion. Tous ses soi-disant points forts étaient des points faibles. Tout cela n’était pas difficile à voir pour qui regardait. La chaussette est trouée, il faut en changer.