proces melenchon

22.09.2019

Le procès de longue durée

C’était un épisode dans un feuilleton de longue durée programmé par Belloubet et son réseau judiciaire. Je n’en tire pour l’instant que trois leçons. Mais avant cela, me voici musardant sur l’entrée du sujet.

Le procès se déroulait dans le prétoire, mais aussi sur le parvis, sur les réseaux sociaux et sur les plateaux de télé. Autant de réalités si différentes ! Quel genre de description globale pourrait en rendre compte ? Un coup d’œil de littéraire ? Il raconterait la comédie humaine, les personnages qui siègent comme les santons dans une crèche, chacun mis en demeure de jouer son rôle ? Pourquoi pas. Un tableau politique ? Sans doute est-ce ce que l’on attend de moi. J’ai bien vu comment je suis devenu un « prévenu » après avoir été un « accusé ». L’euphémisation signait une défaite de l’assaillant. Et les réquisitions du parquet ont résumé la déroute de la bande à Belloubet. À moins que ce soit une des expressions de la lassitude qui semblait accabler tous ceux qui prenaient conscience de la situation grotesque dans laquelle l’instrumentalisation politique de la justice plonge son fonctionnement et ceux qui l’incarnent.

Une question courait les divers bancs : « mais qu’est-ce qu’on fait ici » ? Car rappelons tout de suite que le rôle de toute cette vaste machinerie est voué aux délinquants, aux criminels, aux fraudeurs, aux corrompus et aux corrupteurs. Pas aux militants politiques. Juges, policiers, avocats tout le monde est à contre-emploi dans un procès politique.

Dans ce moment pitoyable je notais, j’observais, j’évaluais. Tout le monde m’a semblé fuir, du côté de l’accusation. Comme si le malaise était le plus fort. La disproportion des moyens déployés contre nous, y compris en ce jour, s’étalait sur tous comme une tache d’huile. Après les réquisitions, on aurait dit une salle des fêtes après la fête. Gueule de bois généralisée. Je ne compte plus les fois où il a été dit « on peut vous comprendre quand vous dites que… » et les mises à distance de toutes sortes qui émaillaient les plaidoiries adverses. J’ai des années de polémiques et de débats contradictoires dans les bottes. Ces choses-là ne pouvaient nous échapper. Le seul qui tira l’épingle de son jeu fut le président du tribunal. Car au bout du compte les fauves sont passés par les cerceaux enflammés sans trop faire d’histoires et le spectacle a pris fin à une heure plus que raisonnable le vendredi, avant l’heure du dîner. En 22 heures quatorze avocats, deux procureurs, treize parties civiles, sans oublier les interventions finales des « prévenus » et la projection loqueteuse d’images tantôt muettes tantôt hurlantes. On fait moins bien au Parlement. Un exploit compte tenu du nombre des prises de parole.  

Donc il y avait le dedans. La salle du jugement. Celle des assises. Du peu qu’il pouvait y avoir de dispositif cohérent en face, tout fur emporté au premier choc avec le rejet de la demande de renvoi du procès par le procureur. Comment ceux qui avaient déclenché et programmé le procès osaient-ils en demander le report ? Une provocation qui tourna court. Coup de tonnerre. Le parquet entre aussitôt en PLS. Le rapport d’entrée enfonça un clou de plus : la rétractation de la policière accusant Muriel Rosenfeld de l’avoir ceinturée. Depuis la publication de la totalité des images de Quotidien, on savait que cela était impossible. Donc, après le report demandé par Belloubet c’étaient les surenchères de la partie civile qui allaient au tapis.

Puis vint le tour des auditions et l’on commença par moi. Dupont-Moretti se précipita. Il n’avait visiblement pas bossé son dossier. Il en resta donc à des provocations et borborygmes cousus de fil blanc et auxquels je m’attendais. Je l’expédiais.  J’ai vu dans ses yeux le moment où il dévissa. Et ce fut en quelque sorte terminé pour ce qui concerne le rapport de force politique et moral. La suite fut un long chemin où nous avons vu les accusateurs trébucher à chaque pas, d’erreurs les plus diverses aux lapsus les plus calamiteux. L’audition des nôtres forçait le respect jusque dans le regard des accusateurs. Au moment des réquisitions, sur notre banc, ce fut la stupeur puis le soulagement, puis une explosion de joie et nous avons bien du mal à le masquer (pas question de transformer la salle en meeting). Tout s’éclairait en un instant : la machine trébuche et refuse d’endosser les injonctions folles de l’État major Belloubet. Le rapport de force politique est de notre côté.

Dehors sur le parvis et jusque dans l’entrée de la salle d’audience, les camarades et les amis nous faisaient un cocon de fraternité active. Cris, pancartes, applaudissement. Pas un instant nous ne nous sommes sentis seuls. Tout le temps nous étions en quelques sortes invités à être à la hauteur de la confiance et de l’affection placées en nous.   

Pendant ce temps sur les plateaux de télé, la bave coulait à flots. Là, c’était la curée. Tous les registres des éléments de langage repérés dans la semaine se répétaient en boucle. Les parades préparées à l’avance n’avaient donc plus qu’à être tirées l’une après l’autre en rythme pour éviter la thrombose. Depuis le siège du mouvement, les artilleurs tirèrent sans relâche pendant deux jours. Les télé-troncs les plus habituellement orduriers s’abandonnèrent à leur pente : me bestialiser, psychologiser toute la polémique politique. Mes proches et amis sont écœurés. Pas moi. Mais il est vrai que je ne regarde ni n’écoute plus rien de tout cela depuis quelques temps déjà. Mais vu de loin, je crois tout cela très utile dans la durée. Il faut donc de la patience. Nous n’avons aucune contrainte de calendrier.

Regardez bien la situation réelle. L’excès, l’unanimité, le feu roulant médiatique sont désormais des méthodes repérées par le public. Les adversaires reçoivent certes une piqûre de rappel mais elle les lasse. Les amis encaissent une dose de coups supplémentaires mais elle affine leur perception et soude leurs rangs. Les indifférents eux-mêmes se mettent à l’écart car ils supportent rarement ces numéros de curée. Au total, tout le monde méprise davantage ce monde de répondeurs automatiques et cela fait notre affaire. On reconstruira d’autant plus profondément et plus surement un système médiatique pluraliste qu’ils auront discrédité celui-ci auparavant.

L’idée même de Révolution Citoyenne repose sur la disqualification du système en place. L’édito du Monde contre nous le ramène à ses racines historiques d’adhésion sans recul à n’importe quelle forme de pouvoir officiel. Lui qui a reproduit toutes les calomnies contre Lula joue contre nous ? Et alors ? Signe de dépendance pour complaire à ses informateurs qui violent la loi à son profit toute l’année en publiant des pièces couvertes par le secret de l’instruction. Quelle importance ? Qui cela convainc-il ? Même pas ses lecteurs qui rechignent à signer la pétition pour la prétendue « indépendance » de ce journal. Pour moi dans ce cas, il s’agit seulement du droit pour eux de ne respecter aucun pluralisme d’expression ni dans la rédaction ni dans la publication.  Ce journal dit que nous n’avons « aucun moyen de prouver la réalité du procès politique ». C’était un des éléments de langage ritournelle distribué par la macronie judiciaire. Comme si la négation répétée suffisait à faire démonstration. Lula aussi n’avait que des arguments contre l’accusation absurde qui le frappait. Jusqu’à ce que des hackers prouvent le complot. C’est ce que voudrait Le Monde ? Il y a des raisons de penser que ce ne serait pas si glorieux pour beaucoup.

Trois leçons ai-je dit. La première : sans « Quotidien » il n’y a pas de procès possible contre nous. Seules les images montées et accommodées que l’émission a publiées il y a bientôt un an servent d’arguments et de « preuves ». Ce fut une ritournelle : « les images de Quotidien prouvent », « on voit sur les images de Quotidien sans discussion possible » et même « sans le son, les images de Quotidien sont encore plus parlantes ».

L’unique argument des parties civiles pour argumenter leurs souffrances psychologiques fut de se voir dans ces images. Les plaignants le disent tous. Comme ils n’ont jamais demandé ni le retrait ni le floutage, on comprend ce que ce genre de déclarations a de suspect. Mais elles restent. C’est donc un nouvel âge de la vie judiciaire qui commence pour les militants. Toute scène filmée peut les envoyer dans le prétoire et servir de matière première à leur mise en accusation. Tenez-vous le pour dit. Les caméras sont à double tranchant. Il est utile de se demander si les bénéfices sont supérieurs aux coûts. Pour ma part en dix ans d’expérience de cette émission dites de « divertissement », j’ai fait mon expérience. Je ne veux plus que cette émission soit accréditée à mes réunions ni à aucun de mes déplacements. Que la police assume sa surveillance avec ses propres moyens ! Attention, le parti médiatique est une composante clé du processus de la guerre judiciaire : il intervient en amont pour déclencher les enquêtes, faire les signalements, harceler l’opinion et les harcèlements et en fin de parcours pour la propagande de mise à mort. 

Deuxième leçon. Un procès politique est un procès dont l’objet et la méthode sont politiques et non purement judiciaires. Dans la lutte politique il faut assumer la politique. Les discours juridiques restent dans les prétoires. La politique reste aux commandes partout ailleurs. Il faut étudier la tactique de l’ennemi, ses objectif et ses moyens. Et il faut les lui appliquer à son tour, un a un, avec l’avantage pour nous de la souplesse de nos dispositifs. Pour eux nous ne sommes pas des êtres de raison qui agissent par idéal politique. Nous sommes des bêtes violentes et sans rationalité qu’il faut rendre suspectes de toutes les turpitudes.

Cette façon de nous flétrir a son répondant. Nos accusateurs ne sont pas des gens épris de justice et de respect des libertés individuelles et collectives. Ce sont des militants politiques défroqués qui agissent en réseau entre eux et avec les pires manipulateurs de la justice du type du juge Moro au service de Bolsonaro. D’où l’importance de bien diffuser nos preuves à ce sujet comme la photo du procureur Perruaux avec le juge brésilien Moro en réunion « d’échange des bonnes pratiques » ou le décryptage de « Libération » a propos de la juge qui like la seule page des amis de Macron. En attendant la suite. Car aussi longtemps que ce cirque judiciaire n’aura pas cessé, nous ne devons plus avoir la naïveté de croire qu’ils soient capables de s’arrêter de lui-même par pudeur ou par décence. 

Troisième lecon : les peines réclamées contre nous nous en disent plus long qu’elles n’en ont l’air. D’une part de l’argent. Beaucoup d’argent pour nous épuiser financièrement et caresser dans le sens du poil tout et n’importe quoi. Quelqu’un finira par parler aussi parmi ces parties civiles qui nous demandent jusqu’à 10 000 euros pour prix de leur « souffrances » psychologiques. Je veux dire ici à ce sujet que nous avons décidés solidairement de ne pas utiliser les portraits psychologiques des intéressés, fourni par l’expertise des médecins qu’eux-mêmes avaient sollicitée. Nous nous en sommes abstenus dans le seul but de ménager leur personne pour leur prouver, à eux qui savent à quoi s’en tenir, que nous ne voulons pas leur humiliation si peu que ce soit. 

En ce qui concerne la peine de prison demandée contre moi. Le sursis qui va avec aggrave son infamie. De la prison parce que j’ai crié sur mon palier ? De la prison parce que je me suis « rebellé » ? Certes il y a des condamnations qu’on porte comme des décorations. Mais il ne faut pas perdre de vue ce que cela signifie dans ce cas. Pour tout nouvel acte de rébellion, estimé sur des critères aussi fallacieux que dans ce cas où je résistais à un abus de pouvoir, je pourrai être expédié en prison par un autre juge ? C’est cela le sens de cette demande. Certes, c’est passer la patate chaude au suivant juge. Mais politiquement c’est le régime du chantage et de la menace contre ma liberté de parole et d’action. Politiquement c’est une sanction qui nie mon rôle et ma qualité de député du peuple.

Le parquet a osé la demander pour tester les réactions. Maintenant il se sait assuré du soutien de la presse pour aller plus loin. Belloubet ne va jusque-là que pour aller plus loin. Nous ferons le bilan avant de mener la suite de la campagne contre le « lawfare » la guerre judiciaire. Car évidemment ils ne s’arrêtent pas. Et nous non plus. Et c’est ça la troisième leçon. Ce qui nous arrive ne doit pas être séparé du reste de la situation de la violence policière et judiciaire qui se déploie contre les mouvements écolo et sociaux. La crise morale de la justice que cette situation met à nu est en lien avec toutes celles qui traverse la société dans son ensemble. Mais en particulier les milieux des classes moyennes sachantes et intégrées. Elles se découvre  devant la décomposition de la légitimité d’un pouvoir reclus dans le « maintien de l’ordre » au prix du désordre social, moral, écologique et démocratique. 

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