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Pas d’accord avec la déclaration des syndicats

Le 20 mai, est paru dans Le Monde un texte signé par les cinq grandes centrales syndicales françaises, CFDT, CGT, FO, CFTC et Unsa et la principale confédération syndicale allemande, la DGB. L’importance des signataires de cette tribune est considérable. Les signataires sont de premier niveau. Et il s’agit de la majorité des organisations syndicales des deux premières économies de l’Union européenne. Tout cela exige que l’on prenne en considération ce texte puisqu’il est la principale réponse sociale au plan du condominium germano-français.

Pour ce qui me concerne, je voudrais exposer les raisons de mon désaccord avec son contenu. En effet, cette tribune affiche son soutien à la proposition de Macron et Merkel concernant le mal-nommé « fond de relance » européen. « Nous ne pouvons que nous en féliciter » écrivent les représentants de ces six syndicats français et allemands. Selon moi, il n’y a aucune raison de se féliciter de quoi que ce soit. Au demeurant, le mouvement syndical n’ayant pas été consulté avant la publication de ce plan ni depuis dans quelque Parlement que ce soit, il est risqué de donner des satisfecit à de tels exercices solitaires des pouvoirs dans de tels domaines.

Au cas précis, pourquoi se réjouirait-on d’un plan qui valide les règles de traités européens dont la vie a prouvé tout à la fois l’obsolescence et la dangerosité ? D’autant que tous les syndicats signataires ont déjà largement pris position dans les textes et dans l’action contre l’austérité à perpétuité, la concurrence sauvage et le rétrécissement des assurances sociales organisés par ces règles. Ils le font d’ailleurs de nouveau dans ce texte : « la relance économique doit être solidaire et sociale (…) rompant finalement avec les politiques d’austérité ».

Hélas ! L’accord entre les gouvernements français et allemand dit l’inverse. Lors de la conférence de presse commune des deux chefs d’État, Angela Merkel a tenu à préciser que l’argent accordé dans le cadre de ce plan devrait être « en accord avec les traités européens et les règles budgétaires ». Le document écrit est lui aussi tout à fait clair. Les aides seront soumises à des conditions. En l’occurrence « des politiques économiques saines et un programme de réformes ambitieux ». Quiconque a suivi les épisodes précédents des dix dernières années en Europe comprend ce que signifie cette langue de bois : coupes dans les services publics, destruction des protections des travailleurs, privatisation des biens communs.

C’est la première erreur des auteurs de ce texte. Il y en a une autre. Ils ne voient pas que la proposition de Macron et Merkel ne règlera absolument pas le problème de la dette publique. Il va même l’aggraver. Pour le texte syndical, le mécanisme proposé permettrait « d’éviter de faire payer la dette aux salariés ». Mais en quoi consiste ce mécanisme ? La Commission européenne va emprunter 500 milliards d’euros sur les marchés financiers. Cette dette sera contractée auprès de prêteurs privés, avec des échéances de remboursement à court terme et des taux d’intérêts déterminés par le marché.

C’est un autre point sur lequel Angela Merkel a voulu insister lors de la conférence de presse commune : « cette dette devra être remboursée ». Par qui ? Par le budget européen, c’est-à-dire par les États membres, puisque ce sont eux qui l’abondent. On remboursera à proportion de sa contribution au budget commun. Or la France, l’Italie et l’Espagne sont respectivement 2ème, 3ème et 4ème contributeurs. La dette contractée sera donc remboursée en majorité par l’Europe du Sud. L’initiative Macron / Merkel vient donc ajouter plus de dette à la montagne déjà accumulée du passé. Il existe une proposition alternative : transformer la dette détenue par la banque centrale européenne en dette perpétuelle à taux nul. De plus en plus de personnes soutiennent cette idée en Europe jusqu’à l’ancien président de la banque centrale Mario Draghi. Dans l’immédiat, les deux co-présidents français et allemand et groupe Gauche Unitaire Européenne au Parlement européen soutiennent eux aussi ce projet ! Le renfort du mouvement syndical devrait aller de soi. Car les salariés sont aussi des citoyens. Et comme tels c’est eux qui paieront par leurs impôts et les destructions de services publics les conséquences du plan Merkel-Macron. La dette en plus sera de la commande publique et des salaires en moins. Les salariés paieront donc par de l’activité et des rémunérations en moins.

Je comprends pourquoi les syndicats français et allemands ont pris cette position commune. D’abord, elle est un point de compromis entre des visions différentes du syndicalisme et de la société entre syndicalistes français et allemands et à l’intérieur de chaque pays. Ensuite, elle vient surtout contrer l’offensive des pays égoïstes comme l’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark et la Suède. Ceux-ci ont présenté un contre-plan visant à mettre sous tutelle libérale l’Europe du Sud. C’est surtout contre cela que les syndicats français et allemands sortent du bois. Soit. Mais quitte à soutenir une initiative européenne, il y en avait d’autres. Ils auraient pu apporter un soutien à l’initiative du gouvernement espagnol qui propose l’émission de dette perpétuelle et la souveraineté des Parlements nationaux dans l’allocation des dépenses. Ils auraient pu soutenir le Parlement européen qui demandait dans une résolution un plan de relance de 2000 milliards d’euros et non 500 comme Macron et Merkel. Le Commissaire européen français Thierry Breton, défendait aussi cette position.

Tout le monde connaît les convergences de vues sur de nombreux sujets entre la France Insoumise et plusieurs syndicats ou fédérations syndicales dans tout l’arc syndical français. Dans notre conception, les syndicats jouent un rôle de premier plan dans le processus de construction du rapport de force social sans lequel le programme « L’Avenir en commun » est tout simplement impossible à envisager. Pour autant, nos relations avec les syndicats et le mouvement syndical sont placés sous les sceaux de l’indépendance. Ils sont indépendants des partis politiques, nous sommes indépendants des syndicats. Ils n’ont jamais manqué une occasion de s’exprimer quand notre action leur posait un problème comme ce fut le cas au moment de nos mobilisations contre la destruction du code du travail. Mais cela n’a jamais empêché l’action commune, comme on l’a vu au moment de la marée populaire du 5 mai 2018 ou de notre soutien à des initiatives comme « Plus jamais ça ». Les syndicats nous ont posé une règle simple dans le passé : quand il y a un désaccord on le dit et on l’argumente pour que le débat fraternel reste possible à l’intérieur de notre famille. Par exemple, je n’étais pas d’accord quand, en décembre 2018, en plein mouvement gilets jaunes, l’ensemble des confédérations avaient signé un texte commun pour « dénoncer toutes formes de violences dans l’expressions de revendications » car si le fond était parfaitement juste, dans le contexte cela revenait à faciliter les accusations gouvernementales au moment où le mouvement avait un besoin vital de l’appui des organisations du monde du travail. Je sais que sur ce sujet, certains comme la CGT ou FO ont largement changé de position depuis. J’espère aussi que sur l’Union européenne et la dette nous pourrons nous retrouver pour des combats communs. Je suis obligé de dire que cela ne sera pas pour soutenir de quelque façon que ce soit le plan de Macron et Merkel que nous jugeons insuffisant sur son montant et dangereux dans sa mise en œuvre.

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