crue du gardon

20.09.2020

Le temps des crises globales

L’eau du Gardon est montée de 4 mètres en un quart d’heure dans le Gard. Il n’est plus possible de nier l’impact du changement climatique sur le cycle de l’eau, désormais profondément perturbé. Des trombes d’eau tombent sur des sols desséchés et des sortes de murs d’eau dévalent un peu partout aussi bien dans le sud-ouest français ou dans la bande sous le Sahara africain. Dans le même temps, une tornade de type tropical se déclenche en Méditerranée.

Ce type de phénomène est une entrée directe dans la crise sociale et géopolitique. On aurait tort de ne pas se souvenir du contexte écologique pour comprendre les évènements de notre temps. Car la vague des révolutions citoyennes dans le monde se poursuit. On aurait pu penser que la pandémie de coronavirus, les mesures de confinement ou bien de distanciation sociale sonneraient le glas des moments citoyens. Au contraire, la gestion de la crise sanitaire a bien souvent mis en exergue les incapacités des pouvoirs à faire face. Le virus a exacerbé les tensions dans les sociétés de la globalisation libérale. Alors, plutôt que de nourrir la résignation, il a créé un terreau fertile à la reprise, à la première étincelle, d’amples mouvements populaires. On l’a vu au Liban où la révolution a repris plus forte et plus radicale après l’explosion du port de Beyrouth. On l’a vu au Mali. Cet été, deux autres pays sont venus s’ajouter à la liste de ceux qui sont entrés en mouvement pour la souveraineté du peuple : l’Île Maurice et la Biélorussie. Dans les deux cas on ne peut dissocier le moment social du moment écologique.

Le cas de l’Île Maurice

Le cas de l’Île Maurice est significatif de la place du facteur écologique comme évènement déclencheur. Dans un précédent post, j’avais noté comme exemple de la présence des facteurs écolos l’existence de luttes importantes sur la question de l’eau dans de nombreux pays. Ceux-ci ont connu ensuite des révolutions citoyennes particulièrement denses. Cette fois, c’est le naufrage d’un navire vraquier, le Wakashio, sur un récif mauricien, le 25 juillet, qui a mis le feu aux poudres. Ce bateau rempli de 3800 tonnes de fioul et 200 tonnes de diesel s’est échoué dans le lagon mauricien. Pendant plusieurs jours, le gouvernement mauricien ne réagit pas, laissant 1000 tonnes de fioul s’échapper et provoquer la plus grande marée noire de l’histoire de l’île.

L’histoire du Wakashio est significative de la globalisation, de ses chaînes d’interdépendance et du choc subi par la crise du coronavirus. Elle est symptomatique des flux mondiaux permanents sur lesquels repose le capitalisme de notre époque. Le Wakashio est mis à flot par un armateur japonais. Mais il navigue sous pavillon panaméen et son capitaine est indien. Le jour de l’accident, cela faisait plusieurs semaines qu’il naviguait à vide. En effet, la crise sanitaire transformée en crise économique a provoqué un ralentissement du commerce mondial dont 90% passe par les océans. Pourtant, son armateur avait choisi de ne pas le mettre au port, pour éviter de payer des impôts. Par ailleurs, pour couper des coûts, les bateaux de commerce sont généralement mal entretenus et les équipages naviguent de longues semaines sans repos.

La marée noire mauricienne fait donc apparaître clairement le lien entre globalisation libérale et catastrophe écologique. Pour les Mauriciens aussi, le lien est vite fait. La catastrophe écologique est aussi pour eux une catastrophe sociale. Nombre d’habitants de l’Ile Maurice dépendent en effet directement des plages, via les activités liées au tourisme, pour leur survie. De plus, depuis les années 1980, Maurice a choisi un mode de développement ultra-libéral avec l’implantation d’un secteur financier offshore et une production entièrement tournée vers le commerce international. Évidemment, cela a valu à ce petit État de l’océan indien les louanges des institutions internationales type FMI et OMC qui le qualifiaient même de « miracle économique ». Mais ce « miracle » est allé de pair avec l’explosion des inégalités. La marée noire est donc une catastrophe écologique. Mais elle représente aussi pour le peuple de Maurice le symbole de la faillite d’un modèle économique.

Leur mobilisation populaire reprend la plupart des codes que nous avons repéré dans les principales révolutions citoyennes à travers le monde. Les premières manifestations ont eu lieu sans appel d’organisation politique ou syndicale. Les participants s’identifient avant tout comme le « peuple mauricien » et le drapeau national est le symbole ultra-majoritaire dans les cortèges. Le contenu dégagiste est aussi ultra-présent. Le slogan principe appelle tout simplement à la démission du Premier ministre. L’appel lancé pour le 12 septembre exprimait le souhait de reprise du contrôle par le peuple sur son pays : « pour tous les Mauriciens qui aiment leur pays et veulent changer le système ». Ainsi, on voit bien de dessiner les trois phases de la révolution citoyenne : instituant, destituant et constituant.

Le cas de la Biélorussie

En Biélorussie, la mobilisation massive du peuple a débuté après la proclamation du résultat frauduleux des élections présidentielles. Mais on peut dire que le processus de révolution citoyenne avait été bien préparé avant. Déjà exaspérée par l’indifférence du pouvoir aux nuisances de la pollution aerienne des cités ouvrières, la population a craqué devant l’incapacité du pouvoir à répondre aux défis de la crise sanitaire. Pendant la crise sanitaire, le Président Loukachenko avait suivi la ligne trumpiste en niant l’existence puis la gravité de la crise sanitaire. Cette attitude a produit un décalage complet entre la parole officielle et la réalité concrète des gens caractéristique des périodes de perte de légitimité du pouvoir. Mais ce n’est pas tout. Elle a poussé à la création de réseaux d’information et d’auto-organisation populaire pour prendre en charge la collecte de matériel médical pour les hôpitaux, les soins et les quarantaines quand ils devaient être organisés, etc. La première vague passée, ces réseaux se sont tournés vers la campagne électorale. Pendant cette campagne, le contenu dégagiste est clairement apparu. L’énergie populaire s’est tournée vers la seule candidate autorisée à concourir en face de Loukachenko. Son seul programme était l’organisation de nouvelles élections libres et pluralistes.

Le 10 août, enfin, face à l’évidente fraude électorale, l’auto-organisation populaire construite pendant les mois précédents s’est tournée vers la rue. Elle aurait pu être vaincue rapidement par la répression du régime si deux forces sociales n’étaient pas entrées à leur tour dans la bataille au mois d’août. D’abord le 12 août a eu lieu une gigantesque manifestation de femmes pour dénoncer les violences policières. J’ai déjà eu l’occasion de constater à quel point les mobilisations féminines étaient cruciales dans les processus révolutionnaires depuis la marche des femmes sur Versailles en octobre 1789 jusqu’à la présence des femmes dans les révolutions les plus récentes, en passant par les femmes de Pétrograd en 1917.

Dans les mêmes jours, les milieux ouvriers ont rejoint la révolution. La grève générale a été déclarée. Ainsi, la révolution biélorusse a réussi la jonction cruciale entre les classes moyennes urbaines et les classes populaires. Mais plus encore, la mobilisation ouvrière a fourni au mouvement biélorusse sa dimension constituante. Les grèves ont donné des assemblées générales d’usines dans lesquelles les revendications sont discutées. Puis le passage de l’usine à la rue diffuse les pratiques et on a vu apparaître des « assemblées populaires » sur les places. C’est la raison pour laquelle, pour le moment, la mobilisation populaire en Biélorussie résiste assez bien à la répression du régime.

L’ère du peuple est commencée

L’Ile Maurice et la Biélorussie confirment les révolutions citoyennes comme le phénomène politique de notre temps. Partout dans le monde, l’ère du peuple est commencée. Elle superpose l’impuissance de la société néolibérale à régler les problèmes de la survie ordinaire avec la perception d’une impasse globale dans le domaine écologique et social.

Le lien entre le capitalisme financier et la crise écologique globale n’est pas seulement celui de l’incitation productiviste irresponsable auquel il pousse. Il tient à la structure même de l’action de ce nouvel âge du capitalisme. Le desastre qui s’annonce dans le cycle de l’eau va ainsi devenir une source de profit pour la finance. Un article de Pierre Joigneaux paru sur le site de « L’Insoumission » l’explique. Je vous y renvoie. Ici je le recopie. Il est désormais possible de spéculer sur… l’eau

« Eau. Spéculation. Vous ne rêvez pas. De nouveaux produits financiers vont permettre de spéculer sur… l’eau. Alors même que deux tiers de la population mondiale devrait être confrontée à des pénuries d’eau d’ici 2025. Le capitalisme financier vient s’attaquer à un de nos bien communs les plus précieux. Le développement de produits dérivés basés sur l’eau pourraient entrainer des spéculations. Spéculations qui pourraient avoir un impact haussier sur le prix de la ressource. Une hausse du prix de l’eau dans un contexte de réchauffement climatique pourrait avoir des conséquences dramatiques : sécheresses et canicules sans eau, privatisations, guerre de l’eau… On assiste bien, sous nos yeux, à la monétisation d’une ressource naturelle indispensable pour tous les êtres vivants. Un véritable scandale passé totalement sous les radars médiatiques.

La spéculation sur l’eau lancée en Californie, tout sauf un hasard

Un contrat à terme sur un marché financier constitue un engagement d’acheter (pour l’acheteur), de vendre (pour le vendeur), un actif à un prix fixé dès aujourd’hui, pour une livraison et un règlement à une date future. Des contrats à terme existent sur pratiquement toutes les matières premières. Vous pouvez acheter un contrat à terme sur du pétrole, de l’or, ou du jus de pomme. Jusqu’au 17 septembre 2020, il n’existait pas de contrat à terme sur l’eau. Certains de nos biens communs les plus fondamentaux étaient encore préservés de la prédation du capitalisme financier. Désormais, même l’eau va pouvoir subir des attaques spéculatives. Triste époque. La régulation financière est une urgence vitale.

Jeudi 17 septembre 2020. L’opérateur boursier CME Group lance une bombe sur le NASDAQ, deuxième plus grand marché financier des États-Unis : le premier contrat à terme sur l’eau de l’histoire. Le groupe CME l’a officialisé dans un communiqué de presse annonçant que le contrat serait lancé sur l’indice « Nasdaq Veles California Water Index« . En Californie ? Tout sauf un hasard.

La bataille de l’eau fait rage en Californie. Une grande partie de l’État est composé de terres arides. La pluie et la neige s’y font particulièrement rares. Et les fermes de la région sont parmi les plus grandes des États-Unis. Les denrées alimentaires produites en Californie abreuvent le marché national et les exportations américaines. Ces fermes géantes consomment des quantités astronomiques d’eau. Selon le groupe lui-même, 40 % de la consommation d’eau de l’État est utilisée à des fins agricoles. Et l’eau commence très clairement à manquer. En Californie, comme dans de plus en plus de régions du monde.

On estimerait en effet que deux tiers de la population mondiale est amenés à être confrontés à des pénuries d’eau d’ici 2025. Elles sont déjà le quotidien des habitants des outre-mer en France, notamment en Guadeloupe où la situation est catastrophique. Jean-Luc Mélenchon rappelle dans sa théorie de l’ère du peuple que la rupture d’accès aux réseaux et aux biens communs est un élément déclencheur des révolutions citoyennes. Liban, Chili, Irak, Algérie. Chacun de ces pays a connu d’importantes et régulières mobilisations contre les pénuries d’eau. Avant de connaître des révolutions citoyennes. De Guadeloupe au Moyen-Orient, d’Afrique à l’Amérique latine, l’eau cristallise déjà les tensions. Laisser la spéculation financière s’attaquer à l’eau, avec le réchauffement climatique que l’on connaît, est pure folie. »

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