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Le Covid est-il compatible avec la démocratie

Les lignes qui suivent sont parue en tribune libre dans le JDD du 31 octobre 2020

Nous vivons donc désormais dans un pays où on ne vend plus de livres autrement que par le truchement de la plateforme d’une multinationale. Le président en personne avait bien dit : « faites-vous livrer ». C’était déjà une indication assez claire de la façon dont cet homme voit le futur de nos sociétés. Bien sûr, personne n’osera dire que c’est un symbole inouï de voir couper l’accès aux livres en France. Le Covid vous dis-je ! Et le reste de ce qui vient de se dérouler devant nous est tout aussi glaçant. Mais c’est le Covid, vous dis-je !

Ainsi jeudi 29 octobre, le Premier ministre demandait au parlement un vote de confiance. Il s’agissait d’approuver le nouveau plan de confinement du pays. Il n’était pas question de l’amender, ou de le discuter de quelque façon que ce soit. Le parlement n’a jamais été un lieu de décision en macronie. Oui ou non. Point final. Mais voilà une nouveauté : même le conseil des ministres a été écarté de la décision. C’est ce qu’a reconnu le porte-parole du gouvernement : la décision de confiner tout le pays a été prise en « Conseil de défense ». Personne ne prête plus attention au fonctionnement des institutions ? Doit-on dire là : « c’est un détail ». J’ai souligné cette anomalie dans mon discours devant l’Assemblée nationale contre le Premier ministre. J’y reviens avec l’espoir que l’alarme soit entendue par ceux qui se disent « attachés aux institutions de la Cinquième République » et n’en défendent pourtant même pas le fonctionnement. Plus que jamais, je crois être dans le vrai en proposant qu’on en finisse avec un régime constitutionnel capable de telles dérives ! Car il faut bien savoir à quoi s’en tenir sur ce « Conseil de défense », pour pouvoir apprécier de quel « détail » il est question.

Le Conseil de défense est une instance créée par une ordonnance de 1959 pour les décisions de stratégie militaire. Son fonctionnement est resté très limité pendant longtemps. Les présidents Mitterrand et Chirac ne réussissaient ce conseil qu’une à deux fois par an. Sarkozy et Hollande un peu plus. Mais depuis le début de son mandat Macron réunit le conseil de défense…. toutes les semaines. La semaine du 26 octobre, il l’a convoqué trois fois. Il l’a fait 40 fois depuis le début de l’année 2020. Il l’a utilisé lors des attentats terroristes. On peut le comprendre même si cela se discute aussi. Désormais c’est pour prendre toutes ses décisions relatives à l’épidémie !

Mais du militaire au sanitaire il y a davantage qu’une rime. Nous ne sommes pas en guerre contre la Covid 19. Le virus n’a pas de stratégie. C’est de politique sanitaire dont il s’agit. Et lorsqu’il s’agit de parler d’écologie comme en juillet dernier, pourquoi le Conseil de défense ? Pourquoi choisir un cénacle aussi restreint ? De fait, il s’agit d’un conseil des ministres bis. Le Conseil du mercredi assume les transmissions officielles comme celles des textes à présenter devant le parlement. Mais le Conseil de défense devient une sorte de conseil opérationnel. Pourquoi cela ? Certes on peut imaginer une réunion distincte du conseil des ministres officiel. J’ai connu ça sous Lionel Jospin. Il réunissait les ministres une fois tous les quinze jours en dehors de la présence du Président. On y parlait politique. On n’y décidait rien qui n’ait à voir avec le déroulement normal des institutions. Toutes les semaines, les présidents se réunissent aussi avec les dirigeants de leurs majorité parlementaire. Je suppose que c’est pour les mêmes raisons. Alors pourquoi ce Conseil de défense ? 

Il a des raisons de plaire à ce Président. D’abord, la composition du conseil est à sa discrétion. Traditionnellement, se trouvent autour de la table le chef d’état-major des armées, le secrétaire général de la Défense et de la sécurité nationale, le ministre de la défense, le Premier ministre, les responsables du renseignement, le ministre de l’Intérieur. Mais Macron peut ajouter ou retirer qui il veut. Tout est à guise. Le rêve pour la volonté de toute puissance typique de la monarchie présidentielle macroniste. 

Un observateur attentif notera une autre qualité séduisante du conseil de défense pour Macron. C’est son caractère secret. Il n’y a pas de compte rendu de ses réunions. Et tout ce qui s’y dit est couvert par le secret-défense. Donc les participants s’exposent à des poursuites pénales s’ils révèlent tout ou partie des discussions ou des propos tenus par Macron. C’est cela sans doute au fond, la réelle raison de ces conseils de défense à répétition. Un moyen pour Macron de se couvrir. Et une manifestation de la décadence paranoïaque du monarque comme en attestent les confidences des couloirs de l’Assemblée nationale. Il ne fait plus confiance à sa propre équipe gouvernementale. 

Bien sûr, pour notre démocratie, c’est assez grave. Cette semaine, ce fut un paroxysme. Le plus frappant est que cela n’ait pas été relevé. Désormais les débordements du pouvoir solitaire ne choquent plus ? C’est le stade suprême de la Cinquième République. Le monarque décide tout seul, dans le secret, sans en informer même son Conseil des ministres. La veille, le Premier ministre reconnaissait devant les responsables de l’opposition qu’il ignorait ce que le président allait dire. La veille ! Quand la décision du monarque présidentiel est enfin prise, il l’annonce dans une allocution diffusée sur toutes les télévisions du pays. Lesdites décisions portent pourtant sur le confinement de toutes nos libertés fondamentales. Le Conseil de défense l’a décidé : exécution immédiate. J’avais donc bien raison de me moquer du Premier ministre le jour de son investiture. Il ne « détermine » ni ne « dirige la politique de la nation » comme le prévoit pourtant l’article 20 de la Constitution. Le Conseil de défense le fait à sa place.

Cette méthode met en danger une société avancée. En démocratie, la délibération n’est pas un signe de faiblesse, ou un embêtement. C’est une garantie pour prendre la meilleure décision possible. Et la condition nécessaire pour créer du consentement à l’ordre. Le régime macroniste ne le permet plus.

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