Une semaine avant l’élection européenne, de nombreuses forces soufflent dans le dos du Rassemblement National. Les macronistes, comme prévu, désignent Le Pen et ses amis comme leurs adversaires préférés. C’est surtout pour eux des adversaire de confort. La stratégie d’élection pour Emmanuel Macron en 2017 a consisté uniquement à se retrouver face à Marine Le Pen au second tour pour pouvoir anesthésier la douleur d’un vote pour les libéraux en le transformant en vote barrage.
L’existence même du Rassemblement National lui permet d’éviter les contrariétés de présenter un programme pour être élu, de débattre sur le fond avec les autres candidats, d’échanger des arguments. Toutes ces choses ont été entièrement remplacées par l’unique argument du barrage au diable Le Pen par le Président de la République. C’est aussi pour cela que Macron a modifié la loi distribuant entre les différentes listes candidates le temps d’antenne pour les clips de la campagne officielle. Il en résulte une répartition grossièrement inégalitaire en faveur du tandem officiel Macron et Le Pen.
La confrontation entre LREM et le RN a été amplement mise en scène par les médias du système. La semaine dernière, BFMTV a ainsi décidé d’inventer un second tour dans une élection à un tour et à la proportionnelle intégrale en organisant un débat réduit a deux entre Nathalie Loiseau et Jordan Bardella.
Cette appétence se voit aussi dans l’organisation des débats télévisés depuis le début de la campagne. Dans ceux-ci, les chaînes organisatrices ont toujours choisi de consacrer un temps disproportionné et aux moments où l’audience est la plus forte pour les questions d’immigration. Sans pourtant parvenir à installer le thème dans l’actualité.
Mais au total, cette élection européenne aura permis de constater le franchissement d’un cap dans le lepénisme médiatique. L’héritière de Montretout a gagné ses galons de respectabilité auprès du système. Au point de devenir pour lui une solution de rechange de plus en plus crédible.
Il faut dire qu’elle a donné les gages, montré patte blanche sur plusieurs questions décisives pendant la crise des gilets jaunes. Il y a d’abord eu cette défense acharnée de la Cinquième République. Le 7 décembre 2018, elle publie une lettre de sa main prenant à revers les revendications de changement de régime des gilets jaunes. Elle montre du doigt « certaines personnes qui ont pu se laisser tenter par une remise en cause plus ou moins implicite de nos institutions de la Cinquième République ». Mais pour la cheffe de l’extrême-droite, « la remise en cause de nos institutions, y compris avec une prétendue 6ème République me parait totalement malvenue ». Cette prise de position lui permet même de cotiser en tapant sur la France Insoumise : « cette revendication fait écho de manière assez grossière au programme politique d’un candidat à la présidentielle ».
Voilà sur le partage du pouvoir. Sur le partage des richesses, elle a également confirmé publiquement son opposition à l’augmentation des petits salaires. Dès le début du mouvement, elle déclarait chez Bourdin : « j’ai toujours été contre l’augmentation du SMIC ». Par ailleurs, les tenants du système ont pu être rassurés par l’exemple des politiques mises en place par les amis de Le Pen lorsqu’ils arrivent au pouvoir. Elles sont en tous points conformes à l’agenda anti-social conduit par les libéraux jusqu’ici.
En Hongrie, Viktor Orban fait face à une intense colère populaire contre une loi surnommée par les ouvriers hongrois « loi esclavage ». Elle augmente le nombre d’heures supplémentaires autorisées par an de 250 à 400. Cela représente l’équivalent de 50 journées de travail en plus par an, soit la suppression de fait d’une journée de repos hebdomadaire. Surtout, elle permet de payer ces heures de travail trois ans après qu’elles aient été effectuées.
En Autriche, le FPÖ, allié du Rassemblement National gouvernait jusqu’à une date récente en coalition avec la droite. Le temps de travail maximal est passé en juin dernier à 12 heures par jour et 60 heures par semaine. Enfin, Matteo Salvini, le modèle de Marine Le Pen, a fini par capituler face à la Commission européenne sur son budget, après avoir fait mine de résister. Pour rentrer dans les clous des traités budgétaires, il a sacrifié les mesures les plus progressistes : le projet de revenu minimum a été divisé par six, les retraites ont été désindexés de l’inflation et les investissements publics ont été divisés par trois.
Aujourd’hui, un vote pour Le Pen, c’est un vote pour le système et le système l’a parfaitement compris. Les « fâchés pas fachos » n’ont pas de raison de se tourner vers cette option qui est plus que jamais l’assurance-vie du système. Tous ceux qui pensent que le problème en France et en Europe vient davantage du banquier, du milliardaire que de l’immigré doivent être appelés à donner de la force à la France insoumise. Cet objectif-là reste central pour nous. Là est la clef de la suite pour notre bataille : la mise en mouvement de la masse populaire aujourd’hui auto-piégée dans le Rassemblement National.
Dans l’immédiat Il s’agit pour y parvenir de changer le tableau global. Puisqu’ils l’ont voulu et que les médias aiment ça, achevons d’enfermer macron et le Pen dans leur tête-à-tête. Le premier qui tombera entrainera l’autre dans sa chute. Entre eux deux existe un effet domino potentiel. Notre tâche doit être de présenter l’offre suivante. Après Macron / Le Pen, quoi ? D’où la bataille pour passer en troisième position le soir du scrutin. Il d’agit non de nier la prééminence des deux premiers à cette étape mais de l’admettre pour que le dégagisme les frappe le plus largement possible. Et que cela ouvre la demande d’une autre voie, celle d’une alternative au duo.