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Comment annuler la dette pour redémarrer l’économie

Si l’on en croit Le Monde, « Les Républicains » ont une vision sur l’économie. Dommage qu’on ne sache rien à propos des autres formations sur le même sujet. C’est dans l’édition qui évoque « le déconfinement » à la une, sans dire non plus d’ailleurs un mot du débat politique qui a commencé à ce sujet. Voici donc quatre colonnes sur la pensée économique de la droite républicaine. Je les ai lues avec attention. Je n’ai pas été déçu. Une fois de plus, c’est midi dans ma cour. « Pour stimuler la demande, Julien Aubert, député du Vaucluse imagine un système “où la banque centrale européenne pourrait injecter directement aux États de l’argent gratuit, via les banques publiques ou le budget des États afin d’avoir du pur financement monétaire de la dette donc de la planche à billet. Il va falloir revoir tout ceci”, prévient-il ». Le lecteur ne saura pas que c’est exactement cette solution que nous faisons depuis déjà quelques temps, disons à peine dix ans. Voyons donc notre raisonnement.

Pour soulager la dette des États et faciliter le retour des États dans le financement des infrastructures collectives et les services publics, les États doivent pouvoir agir librement. À l’heure actuelle c’est même une obligation totale. J’ai reformulé cette proposition dans l’émission RTL-Le Figaro-LCI. Plutôt que de racheter aux banques privées des titres de dettes des États , la BCE les achèterait directement aux États. Elle les stockerait en dette perpétuelle à intérêt négatif (c’est le cas des emprunts de long terme aujourd’hui). Les États retrouveraient leur capacité de financement pour de nouveaux emprunts et l’ancienne dette fondrait petit à petit, au fil de l’inflation dans les coffres de la Banque Centrale Européenne. Et ne serait jamais payée. Car bien sûr ces dettes ne seront jamais payées. On m’a ri au nez quand je l’ai expliqué dix fois depuis toutes ces années. Qui se risquerait aujourd’hui à dire que l’énorme récession qui se met en place sera vaincue sans que les États interviennent de tout leur poids financier ? Qui osera dire que la banqueroute est une menace sans fondement ? Personne, bien sûr. J’ose dire qu’il n’existe pas de contre-proposition sérieuse sur le plan technique. Les eurobonds sont une illusion. Car à la fin il faut les payer. Il faut faire confiance aux États qui les lèvent. Qui est prêt à faire confiance à ces États au point de leur prêter son argent à taux négatif ?

Je résume. Les dettes sont impayables. Elles ne seront jamais payées. Leur poids étouffe les moyens de financer le redémarrage de l’économie. Pour les annuler il y a plusieurs solutions. Les rembourser ? Impossible. La guerre ? Pour remettre les compteurs à zéro et reconstruire. Personne n’en veut. La banqueroute ? Ce serait un désastre et le chaos. L’inflation ? Personne ne sait plus la déclencher même en faisant tourner la planche à billet comme l’a fait la BCE pendant deux ans pour un montant équivalent à une année de production de la France. Mais sans faire un point d’inflation ! Car tout argent donné aux banques va à 90% dans la sphère financière, sans impact sur la production. Alors ? La solution de la dette perpétuelle BCE est la plus tranquille, la moins violente, la plus facile à maitriser dans le cadre d’une planification du redémarrage de l’économie après le collapse actuel. Car le miracle sur lequel comptent les gouvernants pour redémarrer consiste à espérer un avantage comparatif qui masquerait la casse précédente. Autrement dit qu’aussitôt la « crise finie » PSA vende des voitures en grande quantité parce que ses concurrents ne seront pas en état d’en faire autant, et ainsi de suite dans chaque secteur. Une vue de l’esprit d’autant plus dangereuse qu’elle suppose qu’on recommence à produire comme avant pour les mêmes besoins préformatés. Le monde d’après serait alors celui d’avant avec seulement une redistribution du classement des premiers de cordée. Évidemment, il sera difficile de faire autrement si l’on ne commence pas tout de suite la planification écologique que comporte notre programme. Je veux dire le projet qui consiste à faire basculer la production et l’échange vers le monde de la règle verte.  Sans oublier les grands travaux de salut commun à entreprendre pour les transports en commun, le ferroutage, la production énergétique alternative, la fermeture des centrales nucléaires.

Je suis optimiste à ce sujet. Le mot ne fait plus peur. Sur tous les horizons de l’arc politique les mentalités changent. Ainsi quand Aurélien Pradié, secrétaire général de LR déclare sans que ce soit dans Le Monde : « Je crois à la planification : c’est un point d’accord avec la pensée communiste, qui l’a d’ailleurs appliquée avec les gaullistes. » Ou quand Aurore Lalucque, eurodéputée Place publique, affirme que le Plan est l’outil du futur pour le projet écologique. « Pour la gestion de la crise, la sortie du confinement et la transition écologique, il va nous falloir un outil permettant de mettre les forces du pays autour de la table, un « réducteur des incertitudes », à même de gérer court et long terme, cet outil, c’est LE PLAN » a-t-elle tweeté le 2 avril. Enfin ! Bravo ! Bienvenue au club.

Il ne faut pas avoir peur de l’audace des propositions. La routine est en train de tuer les vieux catéchismes plus surement que mille de nos discours. Oui, un monde se meurt. Et avec lui s’effondre l’Union européenne. Nous l’avons vue en quelques jours abandonner dans l’urgence et le désordre ses dogmes les plus importants. Toutes les règles budgétaires qui ont causé tant de souffrances sont suspendues. De même pour l’interdiction des aides d’État au nom de la concurrence libre et non faussée aussi. Cette Europe a fait l’aveu implicite de la nocivité de ses principes fondateurs. Les aveux explicites sont venus ensuite, de la bouche de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen : « nous avons sous-estimé au départ le coronavirus ».

En réalité la culpabilité est bien plus profonde. L’Union européenne s’est méthodiquement employée à démanteler les États et leurs systèmes de santé publics. S’il manque des lits, des respirateurs, des personnels dans les hôpitaux italiens, espagnols ou français c’est de sa faute. Car c’est la Commission qui exige chaque année à ces États des baisses dans la dépense publique. Entre 2011 et 2018, elle l’a fait à 63 reprises ! Ce n’est donc pas un hasard si l’Europe est aujourd’hui l’épicentre mondial de l’épidémie et le lieu où elle fait le plus de mort. L’Union européenne a encouragé pendant des décennies la délocalisation de son industrie. 80% des médicaments aujourd’hui consommés sur le continent sont produits en dehors. La pénurie de masques révèle une dépendance organisée. Nous sommes devenus vulnérables. Cette catastrophe est la conséquence d’un modèle qui a mis la concurrence et le libre-échange en haut de la hiérarchie des normes et rangé l’intérêt général au placard.

Même sur le plan de la plus élémentaire solidarité, les États européens ont donné un spectacle piteux. Personne pour venir en aide à l’Italie. Ou plutôt si : des médecins cubains et vénézueliens, du matériel chinois et russe. En « Europe qui protège », un seul pays s’est illustré : la République Tchèque en volant du matériel destiné aux Italiens et transitant par son territoire. Le 17 mars, le pays a en effet saisi 110 000 masques en provenance de Chine pour l’Italie ainsi que des milliers de respirateurs. Le gouvernement tchèque a plaidé l’erreur quand le scandale est sorti dans les médias italiens. Elle illustre surtout de manière tragi-comique que l’Union européenne n’est pas un espace cohérent et solidaire. La première réaction de l’Allemagne voyant arriver la vague épidémique fut d’interdire l’exportation de matériel médical, y compris donc, vers ses soi-disant « partenaires ». Pendant ce temps continuait la circulation de travailleurs détachés exploités sans aucune cohérence avec les politiques de confinement prises dans les différents États membres.

« Laide Europe » titre La Repubblica. « Excusez nous, maintenant l’Europe est avec vous » répond Ursula Von der Leyen dans une lettre ouverte publiée le 1er avril dans les colonnes du quotidien européiste italien. Qui y croit encore ? Même les plus ardents défenseurs de l’Union se désespèrent. Pour Jacques Delors « le climat qui semble régner entre les chefs d’État et de gouvernement et le manque de solidarité européenne font courir un danger mortel à l’Union européenne».

Car dans les bricolages de fortune qu’elle tente d’inventer, l’Union européenne reste désespérément attachée à ses routines. Les soi-disant nouvelles recettes et solutions inédites qui se dessinent ne sont que la répétition des erreurs commises depuis la crise de 2008. La Banque Centrale Européenne a annoncé qu’elle allait débloquer 750 milliards d’euros pour les banques privées et en rachat de titres sur le « marché secondaire ». Traduction : cela signifie qu’elle fera tout sauf prêter directement aux États. Ce qui permettrait pourtant d’orienter les investissements vers l’économie réelle et l’intérêt général.

Ces méthodes ont déjà été expérimentées à partir de 2010 pour les rachats de titres sur le marché secondaire et de 2011 pour les prêts aux banques privées. Avec comme seul résultat le maintien de l’inflation juste au-dessus de zéro et une gigantesque bulle spéculative sur les marchés financiers, aujourd’hui en cours d’éclatement. Mais aucun investissement dans les appareils productifs ou les services publics européens. L’utilisation aujourd’hui des mêmes moyens produira les mêmes résultats. Si la Banque Centrale ne fait pas autre chose, c’est que les traités européens le lui interdisent. Pendant ce temps, les États-Unis se préparent à expérimenter la « monnaie hélicoptère », c’est-à-dire la distribution d’argent directement aux consommateurs. Et la banque fédérale se prépare à prêter directement aux ménages et aux PME.

Le Conseil européen du jeudi 26 mars fut aussi le théâtre d’une comédie déjà jouée cent fois. Dans la semaine, la France a proposé avec les Espagnols, les Italiens, les Grecs, les Belges, les Irlandais, les Slovènes, des « corona bonds ». Cette idée n’est pas nouvelle du tout puisqu’elle fut proposée et défendue par une partie de la gauche européenne lors de la crise de la zone euro. Dans son principe, il s’agit d’une forme de mutualisation des dettes des États européens. Une mise à contribution à minima des excédents allemands pour financer des investissements dans l’Europe du Sud. L’Allemagne a toujours dit non. La pire crise sanitaire mondiale depuis un siècle ne lui a pas fait rater son rendez-vous avec son dogme. Au Conseil européen du jeudi 26 mars, ce fut la même réponse que d’habitude.

Merkel a déclaré préférer le Mécanisme européen de stabilité (MES), de triste de mémoire. Cette institution avait été créée pour « venir en aide » aux pays du sud de la zone euro et à l’Irlande en 2011-2012. Le guillemets sont de mise car cette « aide » était conditionnée à des plans d’austérité terribles. Mario Centeno, le président de l’Eurogroupe a expliqué mardi 24 mars sous quels conditions le MES pourrait être utilisé par des États : pour lutter contre le coronavirus et en retrouvant une « normalité budgétaire » dans les années suivantes. C’est-à-dire en revenant dans les clous du pacte de stabilité. Il faut bien cela pour convaincre l’Allemagne. Et ce d’autant plus que c’est un gardien du temple ordolibéral qui dirige ce « Mécanisme européen de stabilité financière », Klaus Regling. De toute façon, le MES ne représente toujours pas une émancipation des marchés financiers puisqu’il se finance grâce à eux. Résultat : le représentant de l’Italie a refusé de signer les conclusions du Conseil. Le troisième pays de l’Union tant en population qu’en richesse refuse de cautionner la proposition allemande mais cela n’a l’air d’émouvoir personne.

En effet, les technocrates de Bruxelles continuent d’avancer comme des automates. Le 31 mars le Conseil de l’Union européenne a donné son feu-vert à l’accord de libre-échange entre l’UE et le Vietnam. Quelques jours avant, la Commission réouvrait les négociations en vue de l’adhésion de la Macédoine du Nord et de l’Albanie. Emmanuel Macron qui avait fait mine d’y mettre un véto à l’automne dernier, n’a eu, cette fois, rien à y redire. Bien sûr, aucun plan n’est prévu pour construire des systèmes de sécurité sociale dans ces États, de faire progresser les salaires de ces peuples. Le jeu libre du marché se chargera de transformer la pauvreté et la misère en « avantages comparatifs ». Comme d’habitude, ils ont prévu de laisser faire la « main invisible » et tout ira pour le mieux. Mais qui a encore des nouvelles de la « main invisible », ces derniers temps ?

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