Je suis interrogé régulièrement sur la candidature d’Arnaud Montebourg. Beaucoup voudraient que je la vive comme une concurrence négative. Ce n’est pas le cas. J’estime, à seize mois du vote, que sa présence dans le débat peut être très utile et même profitable pour nous. Je voudrai montrer ici l’importance mais aussi les limites de cette façon de voir la situation.
Partons du plus simple. J’ai lu le manifeste du mouvement lancé par les amis d’Arnaud Montebourg. Je note avec satisfaction que beaucoup de nos mots s’y retrouvent. La grammaire suit toujours les mots dans ce genre de situation. Ce n’est donc pas rien de voir évoquer les « gens » ou d’appeler à « l’entraide » ou encore de voir que le cœur du discours vise à reprendre « le contrôle sur nos vies » ce qui est le principe de base pointé par la théorie de la révolution citoyenne pour décrire la dynamique des évènements révolutionnaires. On y décrit aussi une « nouvelle France », terme et thème central du discours que j’ai prononcé à l’occasion des premières rencontres nationales des Quartiers populaires, organisées en novembre 2018 à Epinay-sur-Seine. Le plus satisfaisant encore, c’est de constater que rien dans ce texte ne cède à l’obsession antimusulmane tristement caractéristique du moment. On pouvait avoir les plus vives craintes sur ce sujet compte tenu de l’identité de certaines des personnes qui se rattachent à la convergence autour de Montebourg. Notamment la mouvance bleue-brun chassée de nos rangs. C’est donc le soulagement : les amis de M. Montebourg semblent fermement décidés à ne pas faire de la laïcité l’instrument d’un clivage politicien absurde comme s’y emploient hélas aujourd’hui Mme Hidalgo ou M. Faure.
Le vocabulaire des insoumis a donc bien essaimé. Et dans la bataille des idées, certaines des prises de positions d’Arnaud Montebourg sont un renfort bienvenu. Là est l’essentiel dans cette phase initiale de la campagne présidentielle de 2022. Il faut briser l’isolement de nos idées dans le cyclone actuel fasciné par le corpus idéologique de l’extrême droite « pétainiste et maurrassienne » touchée du pied par Macron. Chaque fois que Montebourg partage une des mesures que nous portons, il contribue à leur donner une audience supplémentaire. En cela, il nous aide à convaincre. Sur certain points la convergence est décisive.
Voyez la question délicate de l’annulation de la dette. Je défends cette idée depuis des années, malgré les gausseries de certains commentateurs. En avril dernier je décrivais dans mon blog le scénario d’une « petite annulation de la dette » détaillant ses objectifs et sa méthode. Pour effacer « toutes les dettes résultant de l’épisode coronavirus » je proposais de transformer les titres de dette acquis par la BCE « en titre “perpétuel”. À taux d’intérêt nul. »
Ce scénario est repris de façon quasi-identique par l’ancien ministre de l’Économie dans une interview au Point le 9 janvier. Arnaud Montebourg y identifie le même « paquet » de dette que celui que je vise dans ma « petite annulation », à savoir les « les 500 milliards d’euros de dette publique supplémentaire accumulées pendant la crise ». Il propose de « l’effacer dans le temps sans spolier les créanciers qui lui ont prêté » rejoignant une préoccupation que j’exprimais sur mon blog en indiquant qu’avec ma méthode « aucun “investisseur” privé n’est spolié ». Bien qu’Arnaud Montebourg ne se soit pas exprimé en faveur de la réforme des statuts de la BCE que je défends, je constate donc que nos analyses convergent sur cette question fondamentale de l’annulation de la dette Covid jusqu’à un niveau avancé de détail.
Ce point est essentiel. Car il est rare que ma position sur le sujet soit évoquée par les commentateurs qui aiment plutôt me prendre à partie sur un mot ou une attitude à portée de leur compréhension (certains des rubricards affectés à me suivre pour me nuire sont souvent incultes en matière économique entre autres). Un débat sérieux ne leur parait pas correspondre à leur besoin de dénigrement. Par contre dans la répartition des taches dans les rédactions, nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à mentionner la position « de Montebourg » sur le thème parce qu’ils comprennent . Autant de gagné pour alerter et montrer qu’il ne s’agit pas d’un point de vue « d’ultra gauche » comme disent d’aucuns à notre sujet.
Autre convergence de fond, la nécessaire confrontation avec le cadre européen actuel. Récemment interviewé par Aude Lancelin, Arnaud Montebourg appelle à une série d’actions unilatérales de la France face à l’Union européenne. « Vous avez 10 points inacceptables pour la France : la directive “travailleurs détachés”, les directives sur le système bancaire » précise-t-il en décrivant une stratégie de désobéissance correspondant au « Plan A » que je porte depuis ma campagne de 2017. Là aussi, cette prise de position constitue un point d’appui important face au chœur bêlant des eurolâtres.
Enfin avec Arnaud Montebourg, nous partageons surtout l’objectif d’une sixième République. Bien sûr je dois indiquer que nous divergeons sur la méthode. Je propose la convocation d’une Assemblée constituante. Arnaud Montebourg défend un processus différent, bien plus restreint. Pour lui le passage à la sixième République « doit être un mandat constituant donné au Président de la République qui sortira des urnes, qui engage immédiatement un processus de consultation du Parlement. Les parlementaires qui seraient élus à la suite de la victoire de ce Président sixiemiste auraient un mandat constituant. À partir de là on part au referendum tout de suite.» Si je partage la position selon laquelle le referendum doit clore la phase constituante, je considère pour ma part que c’est au peuple lui-même de refonder les institutions républicaines à travers l’élection d’une Assemblée constituante.
Nous avons avec Arnaud Montebourg d’autres différences et je ne crois pas que ce soit une difficulté de les énoncer. Je défends par exemple une géopolitique altermondialiste basée sur la coopération avec les puissances émergentes. Mais je ne suis pas prêt à faire des Turcs des alliés de la France comme l’a proposé Arnaud Montebourg dans l’interview accordée à Thinkerview en novembre dernier. Entre la France et la Turquie d’Erdogan, qui bombarde les positions de nos forces spéciales en Syrie et provoque notre marine en Méditerranée, l’alliance, selon moi, est impossible.
Je ne veux pas esquiver non plus une autre divergence plus profonde. Je suis en effet un partisan résolu de la sortie du nucléaire. Arnaud Montebourg la considère comme « absurde ». Sur ce point, notre différent est-il insurmontable ? Je veux espérer que non. J’ai noté que parmi les plus proches appuis d’Arnaud Montebourg figurait la sénatrice PS Laurence Rossignol qui s’est fait connaitre pour ses prises de positions en faveur de la sortie du nucléaire. Pourquoi ne parviendrait-elle pas à faire évoluer son ancien camarade de gouvernement ? Pourquoi ne pourrait-on pas se comprendre. Tout cela est gérable.
Cependant, il en va tout autrement à propos de l’ouverture à la droite politique que recommande Montebourg. Les compliments du numéro deux de LR et ceux de Xavier Bertrand attestent d’un dialogue qui ne nous convient pas. C’est un point essentiel de désaccord. Arnaud Montebourg défend en effet le projet d’une coalition entre « une droite républicaine et souverainiste qui est parfaitement d’accord avec une gauche républicaine et souverainiste ». Or, pour ma part, je ne crois pas que puisse exister une convergence réelle entre parti de droite et formations de gauche politique dès que nous venons sur le terrain fondamental de la question sociale. Ce projet est connu. C’est celui de l’union des « républicains des deux rives ». Déjà tenté, il ne s’est jamais concrétisé en raison des antagonismes profonds réactivés par l’enjeu crucial du combat pour l’égalité sociale dont je suis l’un des continuateurs. Car Montebourg parle bien d’accords et de formation clairement identifiées et non pas d’électeurs qui seraient invité à se rendre compte que les principes d’indépendance et de souveraineté sont mieux défendus par nous que par la droite traditionnelle qui les a déjà foulés aux pieds dans un passé récent. Il en fait une méthode générale et je n’y crois pas du tout. Je crie même « alerte » quand je l’entends dire : « On ne fera pas la réforme du capitalisme sans le patronat. On ne fera pas la reconstruction écologique de l’industrie et de l’agriculture sans la FNSEA et le MEDEF. »
La restauration de la souveraineté du peuple français est impérative car elle est la condition de la mise en œuvre de L’Avenir en commun. Mais la conquête de la souveraineté n’est pas une fin en soi. Elle est bien le moyen de servir une politique particulière. Dans cette entreprise, le Mouvement, outil de la révolution citoyenne, sert l’objectif politique. Il n ‘est pas le lieu où pourrait s’établir un compromis tiède aboutissant au final à la conservation des rapports sociaux actuels. Le Mouvement sert la révolution citoyenne en impliquant le peuple dans le processus politique conduisant à sa propre refondation. Je conclue sur ce point. Lorsque la sénatrice Laurence Rossignol se presse d’indiquer que l’adhésion à l’Engagement autorisera « la double, la triple appartenance » elle me parait dessiner les contours d’une structure propice à des rassemblements de circonstances, incohérente sur le plan idéologique, plutôt qu’un nouvel outil servant un projet clair et les intérêts du peuple.
Quoiqu’il en soit dans l’immédiat ce qui reste comme impression dans le public qui suit tout ça c’est que sur des points essentiels on « dit pareil ». La similitude des vocabulaires nous sert comme je viens de l’expliquer. À sa manière, y compris quand il valide Xavier Bertrand, Montebourg nous aide aussi parce qu’il le renforce au détriment du bloc macroniste dans lequel il ouvre une voie d’eau. Tout ce qui poupe Macron de ses picorées à droite est le moyen le plus sur de l’affaiblir et d’avoir une bonne chance de redéfinir ainsi le second tour.