Ça pique

Le débat budgétaire résume bien la confrontation des deux visions politiques qui s’affrontent à l’Assemblée. Ceux qui agissent pour « faire des économies » en faisant des coupes budgétaires ne veulent en réalité qu’une chose : réduire le champ d’action des moyens et services publics pour que le marché l’occupe librement et y fasse ses profits. Moins d’écoles publiques égale davantage d’écoles privées et ainsi de suite. 

La preuve vient au moment où les insoumis proposent d’augmenter les recettes par l’impôt sur les personnes et les entreprises les plus riches. « Boucherie fiscale », « boîte de pandore fiscale », « budget Frankenstein », « massacre à la tronçonneuse de nos entreprises », « saignée pour le pouvoir d’achat ». Voilà comment des ministres et des députés du camp présidentiel décrivent alors le budget transformé par la commission des Finances. En 10 minutes, Éric Coquerel réduit à néant la diatribe. Il explique le programme de justice fiscale et sociale voté par la commission des Finances et auquel ils s’opposent

La force de la démonstration de nos députés est d’avoir trouvé 60 milliards de recettes nouvelles c’est-à-dire précisément la somme produite par les destructions de services publics que Barnier disait indispensables pour rétablir les comptes publics. La démonstration est donc chimiquement pure ! C’est tout l’esprit des « radicalités concrètes » qui anime le programme l’Avenir en commun, et ses plans d’actions présentés dans la présidentielle de 2022. La façon de financer un projet politique est un projet politique en soi. La même démonstration a été faite le lendemain quand Éric Coquerel et la commission des Finances réunissaient tous les acteurs du financement de la Sécurité sociale. Le dialogue que les gouvernements sont incapables d’organiser depuis sept ans a donc eu lieu. La force des arguments échangés a bien cadré le problème posé. Tout le monde a accepté l’appréciation rugueuse du président du Conseil d’orientation des retraites (COR), pourtant nommé par Macron pour faire taire le précédent président de cet organisme. Oui, les coupes dans le budget de la Sécu ne sont faites que pour contribuer aux réductions dans les comptes publics, et non pour l’équilibre des comptes de la Sécu. Une comparaison mortelle le montre : le déficit du budget de l’État est de 20 % ; celui de la Sécu est de 3 %, c’est-à-dire quasi rien. Une autre démonstration a été faite : en augmentant de 0,25 point par an les cotisations sociales, on éponge le coût de la réforme de gauche des retraites et le compte sera à l’équilibre. Ici on pourrait ajouter l’impact de la nationalisation de Sanofi, qui se financerait par les profits de l’entreprise et permettrait une autre politique du prix du médicament. La politique du programme de gauche est faite pour les gens, celle de Barnier pour les fortunes. Aussi rustique que cela soit, c’est la stricte vérité prouvée par les deux projets de budget.

Par qui est méprisée la ruralité ? Au fil des dernières décennies, l’action politique m’a déjà vu faire je ne sais combien de fois le tour de France. Je crois que tous les critères de déplacement y sont passés. J’ai introduit aussi depuis cinq ou six ans de ça un impératif culturel. Musées, hauts lieux historiques, monuments, manifestations culturelles me motivent parfois pour des parcours à rallonge autant que pour les soutiens aux luttes. Je connais donc mes raisons d’être allé où l’on m’a vu. Je n’ai pas le souvenir d’un seul jour où l’on ait évalué le critère de déplacement par la ruralité et l’urbanité, entre « les tours et les bourgs », selon la nomenclature ridicule dont on a récemment encombré le monde médiatico-politique. J’ai eu le plus grand mal à prendre au sérieux le distinguo existentiel qu’y voit la nomenklatura politico-médiatique parisienne et la petite bourgeoisie provinciale déclassée. On connait le raisonnement des insoumis à ce sujet : les problèmes sont les mêmes aux deux endroits. Il s’y ajoute un paramètre de mobilité imposée, souvent très coûteuse. Il est plus visible et imposé en zone dite rurale qu’en zone urbaine et cela donne alors une âpreté plus grande aux autres questions communes posées. Surtout il définit une forme de sociabilité plus fermée ou plus ténue qui produit des comportements politiques. Des phénomènes comparables existent aussi en ville et on y connaît des enfermements aussi désocialisants. Mais j’ai vite compris que le sujet était en réalité une de ces trappes à disputes et à postures dont raffolent les mondains et les diviseurs professionnels. Évidemment toutes les bonnes âmes de cette mise en scène réclament aussitôt un combat pour « surmonter cette division ». Nobles cœurs ! Ça me rappelle ces hypocrites du début des années deux mille qui faisaient des colloques bienveillants sur le thème « comment éviter le choc des civilisations ». Mais comme le choc des civilisations était une invention ridicule de la propagande de l’extrême droite nord-américaine, on voit que le but n’était pas d’éviter le choc mais d’y faire croire ! Soyons créatifs : « il est temps de savoir dépasser la querelle entre les blonds et les bruns ! ». Combattre un effet dont la cause n’existe pas est toujours ridicule, disait ce philosophe des Lumières. Le Figaro qui raffole de sujets qui rendent la gauche ridicule s’est jeté sur le thème pour entreprendre un de ces hilarants articles dont je me régale quand la morosité du quotidien réclame des épices. Car le mépris de classe de tous ces gens, qui le reprochent souvent aux autres, finit toujours par se montrer comme l’humidité dans les murs corrompus. Coïncidence : mon passage à Cahors et sa région se déroulait le jour où Le Figaro publiait une méditation sur ce thème. Il donnait la parole à d’importants griots de Carole Delga et de sa cour féodale en Occitanie. Ce fut un régal qui en dit si long ! Voici Victor Delage, « fondateur du think tank sur les territoires », rien de moins s’il vous plaît ! On va voir le niveau de savoir contenu dans cette appellation prétentieuse. « La gauche doit s’attacher à parler de solutions concrètes et s’emparer de l’univers culturel de la ruralité : le bingo, le loto, les kermesses, la chasse… ». On rit ou bien on hurle ? Le mépris consternant exprimé ici n’est-il pas significatif de la classe d’où il vient ? Pourtant « l’univers culturel de la ruralité » ainsi décrite est devenu le nouveau plat du jour préféré des barons politiques microlocaux. C’est la forme du clivage dont raffole la social-démocratie des féodalités pour s’éviter de traiter la réalité des clivages sociaux. Un vrai pot commun autour duquel ils tournent tous. Selon « le Figaro », Rémi Branco, socialiste, vice-président du Conseil départemental du Lot est catégorique : « Il faut repartir du réel, des problèmes des gens. La gauche est arrivée mille fois trop tard sur les déserts médicaux et le prix du carburant. Ce n’est pas normal qu’il n’y ait que le RN qui parle de bagnole et de fioul dans son programme ! Et il faut être capable de dire tout cela avec des mots simples ». De l’un à l’autre, le portrait du rural tel qu’ils le voient se précise : « le bingo, le loto, la chasse, les kermesses, la bagnole et le fioul ». Sans oublier le barbecue, la chasse à la glu et les traditions préservées du multiculturalisme mondialiste, diraient d’autres récents convertis venus de gauche. Et surtout s’il vous plaît « avec des mots simples » car c’est ceux-là que le rural comprend. Sans vergogne !

Mais à quel titre ces grands esprits de la sociologie culturelle pensent-ils pouvoir donner des leçons ? Pourquoi reprocher aux insoumis leur stratégie et leur jeter soudain la ruralité d’extrême droite à la figure ? En cause, sans doute, la remotivation politique des quartiers populaires dégoûtés par les trahisons de la gauche traditionnelle, car c’est l’autre préjugé de classe de ces gens. Mais tout de même ! Qui étaient les élus de ces lieux qu’ils chérissent soudain, avant que l’extrême droite n’y fasse ses nids ? Exemple : il y avait trois circonscriptions socialistes sur trois dans l’Aude de Carole Delga. Les trois sont passées au RN. Où étaient ces bons apôtres alors ? Combien madame Delga a-t-elle fait élire de députés RN en dépit de l’enthousiasme de ses porte-parole pour la « ruralité culturelle et concrète des bingos, des lotos, des kermesses, du fioul et des bagnoles » ? Davantage que par ses candidats dissidents aux législatives ? Comme si les ruraux n’avaient pas les mots simples pour comprendre et nommer ce que « trahison », « opportunisme », « ingratitude » et « incompétence » veulent dire ? Les nouveaux convertis n’ont-ils pas eu, eux aussi, toute liberté de cracher matin et soir sur la gauche de rupture pour séduire avec des « mots simples » comme « barbecue » et « chasse à la glu » ? Alors pourquoi ont-ils cédé autant de terrain électoral après leurs prêches ? Combien de voix RN supplémentaires ces copies rosissantes ont-elles rapporté à l’original brun ? 

Dans les deux salles bien remplies à Cahors on a mal réagi aux propos de ces nouveaux amis si méprisants quand je les ai lus à la tribune. 80 % des ruraux ne sont pas des paysans comme en rêvent les urbains de la bonne « goche ». Et autant, sinon davantage, ne sont pas chasseurs et sont d’accord pour l’interdire le dimanche et jour de fêtes. En Occitanie, 39 % de la population vit en milieu rural et cela dans le prolongement naturel des centres urbains et des zones d’emplois massives. Cette proximité est la source de l’augmentation du nombre des résidents. Ceux qui arrivent sont plus nombreux que ceux qui les quittent. Ces néoruraux n’ont rien à voir avec l’idée que s’en font leurs nouveaux amis. Les gens du cru non plus. Au total le niveau d’études de la population s’y est élevé comme partout ailleurs. On y compte un très grand nombre d’amis de la lecture, de la musique, et ainsi de suite. De nombreux néo-ruraux sont des gens qui réinventent des pratiques culturelles et prennent des initiatives locales. À Florac, dans la Lozère, il y a un cycle franco-québécois du cinéma – pour ne parler que de cela – et à Mende, le musée était bien visité le dimanche où j’y suis allé. Tout le monde m’a parlé du prix de l’essence comme je m’y attendais et des déserts médicaux aussi insupportables que ceux de Seine-Saint-Denis. Les deux ont leur réponse dans le programme « L’Avenir en commun ». Mais le problème le plus urgent c’était, partout, le logement, le poids des résidences secondaires sur les prix de vente. Et l’impact sur le commerce local de la grande surface voisine. Sébastien Rome, à Lodève, m’avait prévenu car c’est son sujet. Je sais que le mouvement doit encore travailler la question. Mais je me garderai bien d’en faire la cause de la progression du RN ou de me convertir au bingo et au loto pour entrer en contact avec les populations locales. À Florac, le sujet, c’était la coopérative culturelle. À Mende, on a parlé de l’état de la forêt au dîner avec des amis du coin. À Cahors, c’était la dégradation de l’école publique. Et même la préhistoire car le lendemain je visitais la fascinante grotte ornée du Pech Merle. Avec d’autres on a parlé inondations et Gaza. De bingo et de loto, de fioul et de kermesse personne ne m’en a soufflé mot. La ruralité est aussi diverse que la France elle-même. Mais qu’en sait la suite dorée de la bourgeoisie, comme la nommait si bien Marx ?

Colère noire de Macron contre la publication de propos supposés tenus en conseil des ministres à propos de la « création de l’État d’Israël par l’ONU ». Le massacre continue à Gaza et s’étend au Liban sans que Netanyahu se voie empêché d’aucune façon. Au contraire, une poignée de propagandistes se déchaîne à chaque occasion pour déclencher le torrent d’injures que vaut le moindre écart par rapport au récit délirant qui les anime. En pleine contagion de guerre et quand les soldats français sous casques bleus ONU sont menacés de mort, le président de la République française est attaqué sous le prétexte d’un récit religieux. Et lui leur réplique, comme si cela en valait la peine. Il dénonce surtout « les commentaires sur les commentaires ». Voilà encore un de ces épisodes savoureux d’arroseurs arrosés. Ses amis ont tellement profité de ce type de prétendues « révélations » puisées sans vergogne dans les réunions des autres partis ! Et lui-même a tant de fois utilisé ce canal pour punir ses ministres ! Il reproche d’abord la confidence faite à la presse. Il a raison. Des ministres ont dit combien cela était insupportable car cela rend la libre discussion impraticable dans une réunion. Telle est la contrepartie du voyeurisme médiatique : le recul de la liberté de discussion partout où passent les gens qui écoutent aux portes. Cette pratique qui se veut « au service de la transparence » est mortifère. Autant que la dite « transparence » dans les structures où l’on a besoin de pouvoir débattre sans peur de la manipulation extérieure. Imaginons que nous en fassions autant à propos des discussions (quand il y a un cadre pour cela) des rédactions de médias…

Cette méthode a un autre inconvénient. Elle produit une catégorie d’acteurs politiques dédiés aux « indiscrétions ». Ceux-ci sont ensuite payés par la lumière médiatique. Et ne le sont qu’à condition de nuire au milieu dont ils viennent. C’est addictif pour eux. Pour nos adversaires ce fut d’abord une aubaine. Jusqu’à la moitié de notre temps de parole légal dans les médias a été attribué à des personnes « insoumises » qui parlaient contre les insoumis. Pour eux cela devint une obligation « d’être contre » pour exister. Une vraie occupation à plein temps ! Plus un sujet en groupe parlementaire qui ne devienne le prétexte à de bruyantes éruptions de jacassin. Les discussions devenaient impossibles, les participants se raréfiaient tant l’atmosphère était devenue insupportable. C’est d’ailleurs aussi parfois l’un des buts de celui ou celle qui va faire ses récits aux médias. Ceux-ci recueillent et colportent le propos. Sans bouger de son siège. Un téléphone suffit. Et alors vive le buzz continué par de la dispute, des exaspérations, des vengeances ! Ils deviennent à leur tour autant de nouvelles « informations » privilégiées. En toute irresponsabilité comme le montre le cas présent. 

Car en quoi les propos du président à propos de la naissance d’Israël ont-ils un intérêt, s’ils sont avérés ? Ils expriment une manière laïque de voir à propos de cet évènement. Il existe bien sûr un autre point de vue. Le point de vue religieux. Il a sa logique. Mais quel est l’intérêt de leur confrontation ? Aucun. Chacun est dans son rôle. On imagine le président déclarant « Dieu a donné Israël à Moïse qui s’y est rendu après que la mer Rouge se soit ouverte en deux pour le laisser passer » ? Faire d’une vérité religieuse un point de vue politique est ce que nous refusons en France, quelle que soit la religion et le pays dont il est question. Le président français ne peut se référer à autre chose qu’au droit international. Il est donc victime, avec une arrogance particulière j’en conviens, de ce qui nous a été infligé à partir du 7 octobre. Nous avions décidé, nous les insoumis, d’aborder le problème posé sous l’angle du seul droit international. Nous condamnions les crimes de guerre comme tels, à l’exclusion de tout autre qualificatif. De même pour le génocide ou le Liban envahi. Et cela en prenant pour cible toujours le gouvernement Netanyahu. Et en refusant publiquement et continuellement l’amalgame entre juifs et Israéliens et entre Israéliens et Netanyahu. Tout cela exactement comme nous le faisons pour n’importe quel autre problème de politique internationale. Car dans ce domaine aussi il faut toujours lier les actes que l’on condamne à ceux qui les commettent, sans jamais en généraliser la responsabilité. 

À l’heure où le retournement de l’attitude médiatique française et où commence à se distancier du soutien inconditionnel à Netanyahu, il faut savoir plus que jamais garder notre sang-froid politique. Nous continuons à être agressé dans nos réunions sans qu’aucune autorité n’intervienne ni ne sanctionne aucun flagrant délit ? Nous continuons à être insulté par les macronistes partout où ils le peuvent ? Le CRIF nous insulte chaque fois qu’il le peut ? Cependant il ne faut pas renoncer à la force de la raison et de ses arguments. Qu’il s’agisse du droit international ou de la façon de combattre celui qui représente notre pays : la raison ! Elle seule traverse le temps et les circonstances sans s’user comme une émotion. Ou même l’indignation la plus profonde comme c’est le cas.

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