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Pour une politique antiterroriste de la raison

Tribune publiée dans Marianne le 7 octobre 2013

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Quand en 2012, Manuel Valls fut nommé ministre de l’Intérieur, de nombreux observateurs s’étonnèrent de son manque d’empressement à débarrasser les services de sécurité de leurs responsables sarkozystes. On vit à l’œuvre les mêmes réseaux, les mêmes amitiés et les mêmes méthodes. Et le sentiment résigné d’une seule politique possible.

Pourtant, si on pose un instant le regard sur le domaine de la lutte antiterroriste, qui révèle si bien les ressorts intimes de tout régime politique et dévoile la nature profonde des hommes et des États, on mesure l’impasse dans laquelle ce pouvoir néo-conservateur nous a placés.

Après les attentats qui ont endeuillé notre pays ces derniers mois, là où nous attendions du discernement, nous eûmes de la fébrilité : fuite dans l’état d’urgence, hystérisation du climat sécuritaire, vocabulaire guerrier, postures vengeresses, avec ses conséquences sur la dramatisation de la menace et les fractures confessionnelles. La brutalité n’est pas la force, elle est même souvent un aveu de faiblesse.

Là où nous attendions une stratégie nationale, nous eûmes droit à l’habituel suivisme atlantiste : importation du concept sulfureux et imprécis de « lutte contre la radicalisation », qui, érigé en totem, nous a fait passer d’une police de l’acte à une police du comportement, promotion du PNR, pourtant conçu à l’origine comme un outil d’espionnage au profit des agences américaines, alors que celles-ci écoutaient sans protestation aucune nos dirigeants nationaux, refus de l’asile opposé à Edward Snowden puis à Julian Assange.

Et finalement, là où nous attendions de la dignité, nous eûmes droit à un opportunisme n’ayant rien à envier aux grosses ficelles de la droite sécuritaire : lutte antiterroriste tenant lieu de communication, prime à l’émotion voire à la bêtise avec le refus de toute analyse sérieuse, interventions pleurnichardes, débat nauséabond autour de la déchéance de nationalité, tentatives d’union sacrée.

Or, quelles seraient les premières mesures phares qu’il conviendrait de mettre en place pour revenir à notre modèle républicain ?

Il faudrait en premier lieu que l’État reprenne ses esprits et retrouve son sang-froid. Non, nous ne sommes pas « en guerre » contre l’« islamisme » ou bien encore le « djihadisme ». C’est une fable qui traduit autant le désarroi que l’impuissance du gouvernement. Ce sont des propos à la fois indignes et mensongers.

Indignes car ce sont nos enfants que nous jetons les uns contre les autres. Les enfants perdus d’une République qui, faute d’autorité et d’idéal, ne cesse par ailleurs de se radicaliser dans toutes ses composantes.

Mensongers car chacun sait que l’Islam n’est pas en jeu ici. Les musulmans eux-mêmes sont fatigués de le répéter depuis des années. Cessons dès lors ces sous-entendus malsains, cessons d’opposer au terrorisme dur de la violence ce terrorisme mou de l’amalgame.

À un deuxième niveau, il conviendrait de promouvoir le rôle des deux contre-pouvoirs que sont le Parlement et l’Université.

Le pouvoir exécutif assure la sécurité du pays au nom du peuple français et c’est donc avant tout devant ses représentants que les responsables des services doivent rendre des comptes. Ainsi serait-il nécessaire d’augmenter les pouvoirs de la délégation parlementaire au renseignement afin qu’elle puisse juger d’elle-même de l’état réel de la menace et des axes de travail des services concernés.

D’autre part, il faut replacer l’intelligence et la raison au cœur de la lutte antiterroriste. Non pas en faisant l’aumône de quelques bourses universitaires, de quelques contrats, ou en nommant quelque conseiller du prince, mais en créant un véritable établissement public, indépendant, pluridisciplinaire, capable de repenser l’ensemble de la doctrine, d’évaluer la menace sans être juge et partie et surtout de peser sur les politiques de sécurité.

Enfin, une remise à plat de notre dispositif de sécurité s’avère urgente. Il conviendrait par exemple de revenir à une diversification des services, gage de qualité et de pluralité du renseignement ainsi que de préservation des libertés publiques. Il faudrait désenclaver la communauté du renseignement afin de fluidifier l’information opérationnelle, et, afin de la dépolitiser, en confier la coordination non plus à l’Élysée mais au chef de gouvernement, seul responsable des politiques publiques dans une démocratie adulte.

En fragilisant notre tissu social par des postures identitaires d’un autre âge, en déployant une politique antiterroriste faite d’amateurisme et de nervosité, ce pouvoir nous a affaiblis face à la menace. Il est temps de redonner de la confiance à notre population et du talent à nos services. En transformant la lutte antiterroriste en effet d’estrade tel un vulgaire régime libéral souhaitant masquer par là sa violence économique, ce pouvoir a renoncé à toute prétention républicaine.

Harpocrate – Cercle de réflexion de hauts fonctionnaires et de professionnels sur la sécurité et le renseignement, soutenant la candidature de Jean-Luc Mélenchon.

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