Comme il est difficile de le savoir, la semaine dernière nous débattions à l’Assemblée du projet de loi du gouvernement pour mettre en place la sélection à l’entrée de l’université. Ce fut l’occasion de constater la méconnaissance de la majorité de la condition sociale étudiante et de ses conséquences sur le déroulement des études de la jeune génération. Un argument du gouvernement pour justifier du bien-fondé de sa réforme est le prétendu alarmant taux d’échec en licence. Ils affirment la chose suivante : « 60% des étudiants échouent en licence ». C’est faux. Parmi les étudiants qui entrent en première année de licence, il est vrai que seuls 40% d’entre eux passent en deuxième année du premier coup. Mais en bout de course, 80% des étudiants sortent de l’enseignement supérieur français avec un diplôme. Soit mieux que la moyenne des pays développés.
Cependant, leur propre constat aurait au moins dû les conduire à s’interroger sur les raisons pour lesquelles tant d’étudiants échouent à l’université. Leur seul raisonnement est : puisque certains étudiants échouent à l’université, c’est qu’ils ne devraient pas y être. D’où l’instauration d’un numerus clausus à l’entrée des facultés. Contresens total. On ne peut aller pire contre l’intérêt général d’un pays comme le nôtre qui exige l’élévation générale du niveau de qualification de sa population. Il faut donc qu’une part toujours plus importante de jeunes accèdent à l’université. Ce n’est pas le cas puisque dans les trois dernières générations, cette part stagne en dessous de 45%. L’augmentation actuelle du nombre d’étudiants qui s’inscrivent n’est uniquement due qu’à la croissance démographique et au boum de la natalité au début des années 2000.
Les conditions dans lesquelles étudient les jeunes sont parfois autant d’obstacles à leur réussite. Entre le logement, la nourriture, les frais de santé, les frais universitaires, une année universitaire coûte à l’étudiant 11 000 euros. Or, la bourse maximale qu’il peut toucher est de 555 euros mensuels sur 10 mois. Par conséquent, on met les étudiants issus des familles d’ouvriers, d’employés ou même de professions intermédiaires dans une situation où ils ne peuvent pas se concentrer uniquement sur leurs études. C’est au point que 73% d’entre eux déclarent avoir une activité salariée en plus de leurs études. La moitié d’entre eux ont une activité à mi-temps et un tiers à temps complet ! Ce chiffre est en augmentation de 10 points par rapport à la génération précédente. Ainsi, le fait qu’une majorité redouble leur première année s’explique aisément. Le temps passé à travailler pour un salaire est autant de temps qu’ils ne passent pas à étudier. Il a des répercussions sur leur état de fatigue ou de stress.
Avec l’augmentation du coût de la vie étudiante, supérieure à l’inflation depuis une dizaine d’années et l’appauvrissement des familles à cause de la crise économique, la pauvreté étudiante progresse. Un étudiant sur cinq vit aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté. Leurs mauvaises conditions de vie ont des répercussions sur leur capacité à suivre sérieusement leur cursus universitaire. Ainsi, un tiers d’entre eux renoncent à se soigner pour des raisons financières. On comprend facilement quelle conséquence peut avoir sur son travail le fait d’être malade sans se soigner. Il en est de même des conditions de logement. Le député insoumis Ugo Bernalicis alerte depuis cet automne la ministre sur l’état insalubre de nombreuses résidences universitaires. Par manque d’investissements, les étudiants sont souvent logés dans des chambres de 9m2, rongées par l’humidité et habités par des cafards. Sa visite filmée des résidences étudiantes de Villeneuve d’Ascq est particulièrement parlante sur le sujet. Ugo Bernalicis est pour l’instant sans réponse de la ministre.
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Ces problèmes sont ceux auxquels il faudrait s’attaquer pour réellement favoriser la réussite de tous les étudiants. Au lieu de cela, le gouvernement va aggraver la situation. D’abord, rappelons qu’il a décidé de baisser les APL de 5 euros. Plus de 600 000 étudiants perdent ainsi de l’argent. Ensuite, il va tout simplement barrer la route de l’université pour les bacheliers qui jusqu’ici réussissaient, tant bien que mal, à poursuivre leurs études. En effet, il propose que les établissements puissent imposer, selon des critères qui pourront être différents selon l’endroit, des cours supplémentaires voir une année de « remise à niveau » pour que l’étudient ait le droit de s’inscrire en licence. Cette perspective est impossible pour les étudiants qui galèrent déjà à financer trois ans d’études. Quant à ceux qui sont obligés de travailler pour financer leur cursus, accepter des heures de cours en plus n’est pas une option. Le gouvernement veut aussi supprimer le « critère géographique » qui obligeait les universités à garder des places pour les bacheliers résidant dans leur académie. Désormais, ils n’auront plus l’assurance d’avoir une place dans une fac près de chez eux. Poursuivre leurs études signifiera un coûteux déménagement.
C’est donc une loi de sélection sociale. Elle est contre-productive pour le pays puisqu’elle va conduire à empêcher des jeunes de réaliser leur plein potentiel en élevant leur niveau de qualification. Notre logique est toute autre. Nous pensons que l’investissement dans la réussite dans les études du plus grand nombre et un facteur de progrès pour la Nation. C’est pourquoi nous proposons une allocation d’autonomie pour que les étudiants puissent se concentrer uniquement sur leurs études ainsi que la totale gratuité de l’université.
Cette loi sur l’université couronne une construction politique de l’université à la sauce des libéraux. Depuis vingt ans et plus, l’OCDE et l’Union européenne poussent sans relâche à la formation d’un marché de l’éducation. Les dépenses d’éducation sont en effet un énorme gisement financier. Les ressources qui y sont affectées sont supérieures à celles de la santé. Personne ne peut se passer d’éducation. « Les gens paieront » se disent les marchands. À quoi s’ajoute le marché de la dette étudiante nouvelle et immense source d’extension des titres de dettes en circulation. Au point que c’est peut-être de là que partira la prochaine défaillance du système financier global.
Depuis la loi LRU, la mise en place du marché de l’éducation avance à grands pas. Le numerus clausus généralisé et la rareté organisée de l’accès au bien éducatif se présente comme un moyen impressionnant de franchir un seuil vers le « capitalisme éducatif ». L’enjeu de la protection de la valeur nationale des diplômes et du libre accès à l’université n’est donc pas seulement une question de défense d’un acquis de la jeunesse. Cela serait cependant une raison de mener le combat. Mais il s’agit une fois de plus du combat pour un modèle de société. La nôtre veut que le savoir soit aussi répandu que possible et qu’il ne soit pas une marchandise réservée a ceux qui peuvent se la laisser payer. Car ceux-là organisent leur succès personnel au prix du déclassement des capacités collectives du pays.