discours melenchon droit de mourir dans la dignite

24.03.2012

Discours sur le droit de mourir dans la dignité

Discours de Jean-Luc Mélenchon sur le droit de mourir dans la dignité
24 mars 2012 – Devant l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD)

Mesdames, messieurs, mon attachement de longue date à la cause qui est défendue ici est connu. Au demeurant, je parle en face de Martine Billard, qui a été un des cosignataires – une des cosignatrices – d’une des tentatives de proposition de loi qui ont été faites sur le sujet. Et j’ai cru, comme d’autres, récemment en 2011 au Sénat lorsque tout le monde semblait s’être accordé en Commission des Affaires Sociales pour proposer un texte, que celui-ci serait adopté ; il n’en a rien été.

Aujourd’hui, je me présente devant vous non pas pour répéter ce que vous savez déjà à propos de mon engagement personnel, mais pour proposer en partage les arguments qui m’animent lorsque je fais le choix que vous savez. Je pensais pour commencer à cette fulgurance de Condorcet arrêté, sachant bien quel allait être son destin à partir de là, et qui écrit dans un de ses derniers textes un cri d’espoir dans la capacité de l’humanité universelle ; il dit que rien n’est hors de portée de l’intelligence humaine, et il conclut en disant : « Nous vaincrons la mort. » Quelle énigme !

En quoi est-ce que cela peut consister, de vaincre la mort ? Il y faut une réflexion matérialiste. Bien sûr, peut-être qu’un jour ou l’autre le génie humain nous permettra de vaincre cette frontière, comme nous avons vaincu toutes les autres : la frontière du temps, lorsque la tradition orale a pu être dépassée par l’écrit ; la frontière de l’espace, lorsque Youri Gagarine sort de terre ; la frontière de ce qui était une aptitude, et dont nous ne voulions pas que ce soit un destin – je parle de celle qui fait obligation aux femmes de porter leurs enfants, quand bien même elles ne le souhaitent pas : par le droit à l’avortement et la contraception elles ont pu, dès lors, posséder leur propre corps qui était auparavant réputé être la propriété soit de leurs époux, soit de leurs enfants à naître.

Ainsi, il n’est pas une frontière que la technique et la science mettent hors de portée de l’activité humaine. Mais pour autant, tels que nous sommes aujourd’hui, comment porter un regard matérialiste sur la mort, et tâcher d’y répondre ? Ce sera ma contribution pour aujourd’hui.

Il en est de la mort comme de tout le reste. C’est un lien humain, c’est d’abord l’idée que nous nous en faisons. C’est l’idée de ce que vivent, après celui ou celle qui est parti, ceux qui restent. Alors, il faut aller chercher nos outils là où ils se trouvent. Albert Camus nous dit : « Les grandes peurs périssent d’être reconnues. » Et qu’est-ce que cette grande peur là ? Si on la regarde bien, si elle nous fait ouvrir les yeux au lieu de les fermer, alors tout d’un coup les choses apparaissent différemment. On voit les avant-gardes de la mort. C’est la résignation, c’est la souffrance acceptée de l’humilié, c’est les chaînes que l’on a dans la tête. Se libérer de la peur de la mort en en faisant une affaire strictement humaine, délibérée en conscience, examinée les yeux dans les yeux, c’est commencer un chemin qui nous fait découvrir pourquoi la peur de la mort, d’une certaine manière, colonise le présent et fait espérer parfois d’une manière vaine. Au prix de la souffrance ici, on se gagnerait dans un au-delà – sur lequel je ne me prononce pas – je ne sais quels avantages proportionnés à la souffrance que l’on aura d’abord subie. Ou bien, parce qu’on aura vécu dans la préparation d’une frontière que par définition on ne rencontre jamais, on aura oublié la joie et le bonheur du présent. Vouloir choisir sa fin de vie, et pouvoir en décider – non pas choisir, hélas, ce serait trop beau –, c’est commencer une subversion radicale du réel. C’est aimer le présent, c’est festina lente, c’est le triomphe des stoïciens et des épicuriens – dénoncés par d’aucuns comme des superbes qui, ne comprenant rien aux ambitions somme toute modeste des stoïciens qui est de profiter raisonnablement de ce qui se présente, d’être capable de faire la part entre ce que l’on peut dominer et ce contre quoi on ne peut rien. Face à quoi reste l’ultime liberté, c’est-à-dire l’ultime humanité : décider d’éteindre soi-même la lumière. Maîtriser, décider de notre propre fin de vie, c’est commencer à entrer dans une humanité radicale. De même que nous ne sommes jamais aussi humains que lorsque nous posons un acte en échange de rien – un acte gratuit, par exemple l’acte d’amour –, de la même manière, regarder les yeux dans les yeux la mort et ne plus avoir peur d’elle, c’est commencer à être radicalement et intimement libres, donc réoccuper l’instant, le corps de maintenant, la cité d’à présent, ses joies simples et ses bonheurs.

Sans mépriser aucune motivation ni aucun regard ; on peut, je le sais, par acte de foi, croyant en Dieu, délibérer, alors que sa religion l’interdit, que l’on reconnait le droit à l’avortement, précisément pour cette raison que ce droit confronte chaque personne à sa liberté de décision. De la même manière on peut, alors que l’on est croyant et que la religion commande qu’en toute chose on se comporte d’après les commandements que l’on a reçus de la vérité révélée, on peut être passionnément laïc parce qu’on considère que c’est en séparant l’Eglise de l’Etat – comme l’avaient bien compris La Mennais et d’autres chrétiens – que, la liberté humaine et le libre arbitre étant institués, la parole que l’on croit essentielle – celle de la révélation – peut être entendue. Et à l’inverse, pour les matérialistes comme moi, qui ne connaissent au fond que la pauvreté et la faiblesse de l’être humain dont le dénuement est une source infinie de tendresse, on peut, sans même invoquer Sisyphe et son éternel recommencement dans l’effort qui le constitue en tant qu’être humain, penser que dès lors que nous sommes institués comme personnes par cette liberté-là, alors nous ne parlons plus d’une loi, nous parlons d’un droit fondamental de la personne humaine.

C’est la raison pour laquelle ce que nous avons à faire est un démenti à l’idée que, en quelque sorte, tout serait dit depuis le premier jour par les Déclarations des droits universels de l’homme et de la personne humaine ; tels qu’ils sont rédigés aujourd’hui, la réalité les dément à chaque instant. Les hommes – on va dire les personnes, pour introduire quelque chose d’une parité qui a beaucoup manqué dans le passé – les personnes humaines naissent et demeurent libres et égales en droit. C’est le premier des droits. Vous le savez comme moi, nous ne sommes pas égaux : les uns sont grands, les autres petits, nous sommes différents de mille manières… Et pourtant, par-delà l’apparence, nous sommes égaux. Nous ne demeurons pas libres et égaux. C’est bien pourquoi d’ailleurs il faut qu’on se batte et qu’il y a pour cela des syndicats et des partis, sans lesquels rien n’aurait jamais avancé.

Eh bien, c’est ainsi. Nos sociétés ayant mûri, nous sommes en état d’apercevoir des droits nouveaux, ce qui touche à la barrière intime qui dit : une aptitude n’est pas un destin. La liberté humaine est construite par cet instant où nous cessons d’être dans la dépendance de quoi que ce soit : la main du maître, l’obligation du collectif subi comme une violation de ses droits intimes…

Toutes ces raisons me conduisent à dire, au nom du Front de Gauche dont je suis le candidat commun, qu’il s’agit d’un droit de la personne humaine qui doit donc dès lors être inscrit, comme le droit à l’avortement, dans la Constitution elle-même pour que plus personne ne soit tenté d’y toucher. On peut se demander si c’est bien ce qu’il faut faire. Et longtemps, comme d’autres, j’ai pensé que la loi y suffirait, puisque les républicains partent de l’idée que toute proposition n’est jamais définitive, toute disposition n’est pas définitive. C’est même la grandeur de la loi républicaine ; nous ne sommes pas dans la vérité révélée : ce qui a été fait fait l’objet d’évaluations, de bilans, et on peut refaire, on peut se dédire. C’est ça la grandeur de la loi et de la délibération collective. Mais pourquoi faut-il, si nous instituons ce droit nouveau, l’inscrire dans la Constitution ? Parce que nous voyons que d’autres droits qui avaient été établis par la loi sont remis en cause. Et à la faveur de circonstances toujours passionnelles, on se propose de revenir sur l’abrogation de la peine de mort, sur le droit à l’avortement quand dans des pays et des continents entiers cette question fait l’objet d’une mobilisation de telles et telles forces que je vois toujours situées du même côté contre la liberté des femmes d’être propriétaires d’elles-mêmes. Alors il en irait de même de ce droit-là !

Je vais achever mon propos. C’est une grande et belle dispute. Il est bon que ce soit une dispute, car ce n’est pas simple – une dispute au sens noble du terme, hein, pas une chicaya, une dispute. Le simple fait de poser  ce thème comme un objet de débat, sitôt qu’on s’en empare, nous grandit tous, quelles que soient nos convictions, même si elles sont opposées. A la seule condition bien sûr qu’on respecte l’écoute qui est due au point de vue contraire au sien. Mais le simple fait que la discussion ait lieu est une victoire contre les vérités révélées, car le fait qu’on parle allume la lumière et éloigne l’ombre des certitudes arrêtées. L’agora nous grandit. La vie est belle. Carpe Diem !


Réponse de Jean-Luc Mélenchon au Grand Orient de France
(à l’occasion de l’audition des candidats à la présidentielle)
le 8 novembre 2011

Ma réponse ne sera pas une surprise pour vous. J’appartiens au courant des Lumières, c’est l’émancipation de la personne qui est le cœur de cette inspiration et l’émancipation de la personne sans revenir à l’étymologie, c’est la sortie du mancipio, de la main qui est sur ma tête, je décide par moi-même, je suis sujet de mon histoire d’un bout à l’autre de mon existence et dans tous ses aspects, sociaux, culturels et d’abord dans la maîtrise de moi-même.

Philosophiquement, je suis un stoïcien qui certains jours, du fait de la présence amicale comme garde du corps d’un docteur en philosophie épicurien, a des tentations épicuriennes. Par conséquent, ce n’est pas moi qui vais dire quoi que ce soit contre la liberté fondamentale de disposer de soi jusqu’au bout, même lorsqu’on n’est plus en état de le faire soi-même, de prescrire les conditions dans lesquelles on voudrait que sa propre existence soit interrompue. Je suis donc un partisan du droit de mourir dans la dignité et de la maîtrise de soi, du droit au suicide ; après tout on pourrait aussi bien l’appeler comme cela, sans charger les autres d’une responsabilité d’accompagnement. Je finis en vous disant quelle est la situation telle qu’elle est.

En 2009, ma camarade Martine Billard, députée de Paris a cosigné une loi avec Yves Cochet en faveur du droit de mourir dans la dignité. Cette loi a été retoquée, puis les socialistes ont fait une proposition en novembre 2009. Toute la gauche a voté.

Le comportement est différent suivant les partis de gauche ; mes camarades communistes considèrent que c’est une question de conscience personnelle et donc ils donnent à leurs députés la consigne d’agir à la lumière de leur seule conscience, sans tenir compte d’aucune injonction. Dans ce vote, si les députés et partis de gauche ont voté pour ce droit, je pense à Marc Dolez et à Martine Billard, ce n’est pas le cas d’un certain nombre de députés communistes.

A l’inverse, au Sénat, la proposition de loi a été déposée en commun par les sénateurs du Parti de Gauche et les sénateurs Communistes qui ont tous voté pour ce droit. Le gouvernement, en dépit d’un accord qui était intervenu qui étendait le champ de la loi Léonetti entre les différents groupes, la loi Léonetti a permis à la suite de cette histoire dont vous vous souvenez d’un jeune homme tétraplégique muet et aveugle que sa mère dans un acte d’humanisme magnifique a aidé à mourir, cette loi avait permis qu’on n’aille pas ensuite poursuivre les médecins dans cette circonstance. Le texte des sénateurs Communistes et du Parti de Gauche étendait cette disposition en donnant la possibilité d’accompagner la décision. C’est ce qui a été retoqué par le gouvernement à l’époque. Nous sommes dorénavant dans le cadre de la loi Léonetti. J’estime qu’elle n’est pas suffisante pour ma part.

Si j’avais l’honneur d’avoir la possibilité de faire des propositions dans ce domaine, j’opterai pour un droit intégral à mourir dans la dignité et je forme pour moi-même et pour chacun d’entre vous le vœu que vous puissiez en disposer.

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