Il y a deux ans, j’ai fait une interview dans Closer. Nous étions convenus avec la rédaction que non seulement on y parlerait de politique mais que je pourrais même me moquer du journal qui m’accueillait. Closer tint parole. Je pus critiquer, et le journal titra même sur le fond politique à propos du travail des femmes le dimanche que je dénonçais. Dans l’interview, je me moquais d’avance du « qu’en dira-t-on » de la presse « sérieuse », celle des grands pontifes éthiques et indépendants bien connus. J’avais même dit dans Closer : « ils dénonceront d’où je parle plutôt que de s’intéresser à ce que je dis ». Ce fut le cas à 1000 %. Aucun ne souffla mot de ce que je disais sur le travail des femmes, tous se livrèrent à une grotesque danse autour du totem de la respectabilité qu’ils pensent incarner.
Une interview au journal Gala (photo magnifique et respect scrupuleux du texte de mes déclarations, ambiance d’interview sans chichi ni arrogance) provoque une nouvelle excitation narquoise de ces messieurs dames les importants « journalistes-politiques » (photos pourries, propos tronqués, questions mortellement répétitives, commentaires rendant tout confus). Quelle jubilation tout de même de les voir courir en rangs serrés du côté prévu. Car nous étions très déçus qu’il ne soit rien retenu médiatiquement du contenu de mon discours au pique-nique de Toulouse alors même qu’i>Télé en avait diffusé une heure. Le passage sur la nécessité de réduire la consommation de protéines carnées et de soulager la souffrance animale, la dénonciation des fermes des 1 000 vaches qui vont devenir les fermes des 10 000 vaches, rien n’intéresse ces gens qui se contentent d’attendre de quoi nourrir la rubrique « ça saigne ».
Dans ce domaine, le « service public » bat des records, on le sait. En tête dans la série « les mouches vont avec joie sur le papier collant », une nouvelle fois la matinale de France inter (séquence oui-oui-oui à la mondialisation heureuse et au PS), jusqu’au journal du soir de France 2 (séquence imitation du « petit journal »). Ce fut un triomphe : tout le monde a eu écho de Gala et de mon taboulé au quinoa. Et donc de ce que j’ai dit sur la nécessité de réduire la consommation de protéines carnées. Certes, dans sa malveillance de principe, la matinale de France Inter a limité le propos au seul aspect anecdotique. Mais beaucoup d’autres médias ont essayé de rendre compte de l’intention politique du propos. Reconnaissons que le ton léger et narquois aide à la diffusion de l’idée prônée.
Il me reste donc à compléter ici la leçon. Pas celle de communication (c’est un coup au but parfait et j’en remercie « Médiascope », mon conseil). Mais la leçon politique. Ce n’est pas le quinoa le sujet. Il vaudrait mieux d’ailleurs que le quinoa ne soit pas trop vite ni trop fort demandé par les consommateurs des pays riches. Car sinon, l’envolée du prix de ce végétal, s’il profiterait aux paysans qui le cultivent, mettrait le quinoa hors de portée des paysans qui le mangent sur place. Et dans certains secteurs ils ne mangent que cela et rien d’autre. En amérique latine, le quinoa est une nourriture pour les pauvres. Mais le quinoa dans ce cas illustre ce fait qu’il existe de nombreux végétaux très riches en protéines et vitamines fondamentales. Il existe une production française de quinoa. Celle que je consomme, soit dit par parenthèse. Mais rappelons que les algues contiennent autant de protéines que nous en avons besoin.
Dans ces conditions, la consommation de viande n’est pas une nécessité vitale dans l’alimentation humaine. En quoi est-ce là de la politique ? Il s’agit de notre modèle d’agriculture. En raison de la provenance majoritaire de la viande proposée sur le marché. Il ne s’agit pas de viande de l’élevage destiné à cet effet. Il s’agit de la viande des bêtes des élevages laitiers. Un sous-produit du lait en quelque sorte. En fait, la progression très forte de la consommation de viande dans nos pays accompagne celle de l’extension des troupeaux de vaches laitières. Cette augmentation est directement lié à un modèle agricole productiviste aveuglé. On voit en ce moment où conduit la folie du lait produit sans limite : les cours s’effondrent, les exploitations sont détruites de plus en plus vite, la concentration productive s’accélère au profit de mode d’exploitation encore plus intense. Il culmine avec le système des « fermes » des mille vaches qui seront demain celle des dix-mille vaches, comme les fermes des cinq-cent truies sont devenues celles des mille, sans oublier les poulets « élevés » en batterie, les clapiers des mille lapins et ainsi de suite.
Ce modèle agricole, radicalement nocif et destructeur pour la santé humaine comme pour l’état de l’environnement, se paie aussi d’une souffrance animale ignoble, aussi inutile que contaminante dans la société humaine. Dans le contexte de la crise climatique, le modèle agricole dominant ne peut continuer sur sa pente actuelle. Il doit impérativement changer. Nous le ferons si nous gagnons l’élection présidentielle prochaine. Mais pour changer l’agriculture le moment venu, nous avons besoin de l’adhésion de la population à ce changement.
Ce n’est pas un vain mot, car ce sera aussi un changement de ses consommations alimentaires habituelles. La transition écologique de la production agricole a besoin à la fois de plusieurs changements en même temps. Bien sûr celui des structures de production. Mais aussi celles de l’échange avec une politique généralisée de circuits courts. Et enfin de la consommation. Ici, cela concerne à la fois la nature de ce qui est consommé mais aussi le prix qu’il faudra payer aux paysans pour leurs productions. Ici, la lutte écologique rejoint la lutte de classes en quelque sorte, car la meilleure rémunération du travail des paysans dépend de celle du travail des salariés qui sont les consommateurs de produits agricoles. Le partage de la valeur ajoutée en entreprise impacte l’état de l’environnement agricole.
Notre campagne électorale doit donc être l’occasion de faire prendre conscience et de préparer la mobilisation citoyenne qui devra accompagner le moment venu la mise en œuvre de ce programme. Il faut donc parvenir à installer ces questions dans le paysage en forçant la paresse intellectuelle et les mécanismes auto-bloquants de la sphère médiatique profondément enfermée dans les préjugés productivistes. C’est ce que j’appelle faire une campagne instructive. Avec ses deux millions de lecteurs et ses reprises dans toute la presse audiovisuelle, cette interview atteint son objectif pédagogique. Dans cette perspective, les indignations surjouées de mes détracteurs, la dispute des commentaires sur les réseaux sociaux sont autant de bonnes nouvelles. Une campagne réussie est une campagne où l’on débat de sujets sérieux. Sortir de la domination des protéines carnées dans la consommation est aussi nécessaire que sortir des énergies carbonées. À maints égards c’en est un aspect lié. Et la révolution citoyenne, acte de reprise du contrôle des conditions de la vie quotidienne par ceux qui la font, passe aussi par le contenu de nos assiettes et de nos manières de vivre.
Cette publication a été effectuée sur ma page Facebook: