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02.11.2016

Débat sur le populisme

Chantal Mouffe et moi tenions débat public à l’invitation de « Mémoire des luttes » à la maison de l’Amérique latine il y a une quinzaine. Le sujet, « l’heure du peuple », c’était le peuple et son intervention politique à l’époque que Chantal Mouffe nomme « le moment populiste ». Comme le thème du « populisme » à définir, à combattre ou à revendiquer était évidemment très présent dans les conclusions, je vous propose un article d’Éric Dupin qui me semble bien résumer le moment du « débat » public sur le sujet.

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Mais, bien sûr, notre dialogue n’avait d’académique que l’immense savoir de Chantal Mouffe sur l’histoire des idées dont elle rend compte à l’occasion avec brio. Pour le reste Mouffe et moi, nous nous faisons producteurs d’une doctrine globale destinée à l’action davantage qu’à la spéculation pure. Je ne crois pas qu’un autre débat de ce type existe ailleurs que dans notre espace. J’ai rendu compte du moment auquel il a commencé, entre Chantal Mouffe et Roger Martelli à Toulouse, à l’université d’été du Parti de Gauche. Martelli a donné dans la revue « Regards » une approche marxiste que je juge traditionnelle mais qui est ouverte et dialoguante. Cette soirée à la Maison de l’Amérique latine en était le prolongement, d’une certaine façon, même si l’invitant était « Mémoire des luttes ». Il me paraît important, dans cette phase de l’élection présidentielle, de rappeler que c’est dans cet énoncé doctrinal que se trouvent formulées la méthode et la stratégie qui inspirent, expliquent et animent la création et le développement de la « France insoumise »

Le journal « l’Humanité » rend compte fort aimablement de cette soirée de dialogue. J’en tire prétexte pour revenir sur le fond du sujet en critiquant amicalement la lecture qui en a été faite par Sébastien Crépel pour le journal communiste. Je suis conscient qu’il n’est pas facile d’en rendre compte à partir de l’écoute d’une vidéo. De toute façon, cet entretien croisé nécessite une attention très soutenue et un peu de connaissance des points de vue de départ. Ce n’est donc pas du tout un exercice facile. Mes remerciements pour l’intérêt manifesté pour ce dialogue si singulier ne vont pas jusqu’à dire que ce compte rendu rend vraiment compte de l’enjeu de la discussion. L’auteur du papier commet quelques erreurs qui modifient parfois de fond en comble mon approche. Il transforme la conflictualité que décrit mon livre L’Ère du peuple en son contraire : la recherche d’un consensus de toutes les catégories sociales à partir de l’opposition au productivisme.

Je veux être clair : mon point de vue n’est pas celui d’un nouvel « interclassisme ». Le peuple n’est pas, dans ma définition, une appellation sociale molle permettant de ré-inclure exploiteurs et exploités dans la même catégorie au nom d’un intérêt supérieur commun. Ça, c’est la définition du peuple telle que l’a toujours assumé l’extrême droite au nom de l’ethnie, la culture ou la religion censés le constituer. C’est pourtant ce que me fait dire le résumé du compte rendu de Sébastien Crépel. Écrire que, selon moi, l’intérêt général humain résultant de la dévastation de l’écosystème par le capitalisme productiviste rend possible la plus grande « transversale » entre « eux et nous » est un résumé comme d’aucuns en rêvent pour instruire mon procès. Je déclare au contraire que la menace de ruine de l’écosystème définit un intérêt général humain qui délimite la frontière entre « eux » (l’oligarchie responsable du productivisme et de la politique de l’offre)  et « nous » (le peuple en réseau, l’homo urbanus interdépendant dans les réseaux).

C’est-à-dire le contraire de ce qu’en dit le journaliste qui résume. Je crains que le tropisme « gauche plurielle » de l’auteur ne le subjugue.  Pourquoi ? Parce que la vision « gauche plurielle » se figure que l’alliance populaire repose sur une conjugaison d’appétits auxquels on doit répondre en « rassemblant la gauche ». Le cartel de partis « gouvernementaux » garantit à chacun sa place institutionnelle en la  lui assignant dans une répartition de rôles entre partis politiques : aux communistes le social, aux verts l’écologie, au PS la gestion.

L’erreur est d’autant plus dommageable que la bonne compréhension de ce qui fonde le « nous » qui s’oppose à « eux » est le point où s’articule la pensée de Chantal Mouffe et la mienne. Chantal Mouffe nous montre, à la suite d’Ernesto Laclau, que le « peuple » est une auto-construction qui se définit en traçant (découvrant/définissant/formulant) une frontière  avec une force adverse, le « eux ». De mon côté, j’ancre cette auto-construction dans sa dynamique matérielle à partir des rapports sociaux de production et d’échange spécifiques à ce que j’ai nommé « l’ère du peuple ».

Deuxième contresens du compte rendu : la lutte de classe n’est pas dépassée dans mon raisonnement par je ne sais quelle lutte « contre la prédation de masse de l’humanité sur son écosystème dont l’existence est désormais menacée ». La lutte des classes est décrite comme une conséquence d’un autre phénomène plus ample à l’intérieur duquel elle s’inscrit et la rend possible : les fluctuations du nombre des êtres humains. C’est l’augmentation du nombre des humains qui explique le développement des forces productives de l’humanité, rend possible l’existence de l’accumulation et la formation des classes qui vont avec. Si ce phénomène est d’abord secondaire, il devient premier à l’époque de « l’anthropocène » lorsque le nombre des êtres humains est tel que le mode de production de l’époque entre en contradiction avec la survie de l’écosystème du fait du niveau de prédation qu’il implique. Ce mode production et les rapports sociaux qui le constituent l’empêchent de se reconstituer au fur et à mesure de la prédation. La lutte des classes n’est donc nullement abolie par cette situation. Elle est au contraire portée à un nouveau niveau dramatique puisque son enjeu est la possibilité ou non pour le grand nombre de substituer à l’exigence aveugle du profit immédiat, les exigences de l’intérêt général humain. Et ceux-ci s’inscrivent nécessairement dans les cycles longs de la nature auxquels répond la planification écologique de la production et des échanges.

Je montre ensuite que la construction du « nous » procède d’une dynamique spontanée (et invariante d’époque) de recherche d’auto-contrôle. Auto-contrôle de l’individu sur sa destinée, auto-contrôle du groupe sur ses membres et sur le territoire qu’ils occupent. Et de là, je déduis que le « nous » n’a pas de meilleur liant que l’égalité comme vecteur (ce que le compte rendu note et met en valeur). Pourquoi ? Parce qu’elle seule abolit vraiment la domination que « eux » veulent exercer contre ce que nous voulons et souhaitons pour nous même et la société.

La rigueur de la pensée sur la réalité est une exigence traditionnelle de notre filiation dans le matérialisme historique. Je ne dis pas que tout ce que décrit L’Ère  du peuple soit suffisant, ni même parfois réellement assuré, ni autant argumenté et documenté qu’il le faudrait. Cependant il forme un tout, une cohérence dont je viens d’une certaine façon de résumer les fondamentaux. Je dis dans ce livre que c’est mon « programme ». D’autres diraient « mon projet ». Je compléterai en disant mon « mode d’emploi » pour ne pas laisser croire que j’agirai en fonction des exigences d’une utopie plutôt que des nécessités inscrites dans la réalité.

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