À présent, les universités ont fait leur rentrée. Les étudiants et les jeunes enseignants peuvent constater les progrès de la clochardisation de leur situation. Pourtant l’université a longtemps été un fleuron de l’État républicain dans sa mission d’élévation du niveau d’instruction et de qualification du pays. La situation présente est insupportable. À la « France insoumise », nous avons appelé ouvertement la communauté universitaire à se mobiliser sur la journée d’action intersyndicale du 10 octobre. D’une façon plus générale nous serions heureux si la jeunesse des facs entrait en mouvement. Et surtout les jeunes étudiants et jeunes enseignants, frappés de plein fouet par l’asphyxie croissante de l’université. Peut-être est-ce leur dernière chance de peser sur leur sort dans le cadre d’une action générale du mouvement social. En tous cas, nous y consacrons donc des moyens. Nous voulons rendre visible la situation. C’est pourquoi le 4 octobre, la députée insoumise Sabine Rubin a posé une « question d’actualité » à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche sur la situation d’urgence à l’université.
L’été et la rentrée 2017 ont été marqués, en effet, par un niveau de pagaille et de pénurie rarement observés. À la mi-juillet, 87000 bacheliers étaient toujours sans affectation. Incroyable ! Au 1er septembre, ils étaient toujours plusieurs milliers sans point d’atterrissage. Évidemment, la comptabilité n’enregistre pas tous ceux qui ont finalement choisi d’abandonner ou de reporter leur projet d’études. La rentrée commencée, les conditions d’accueil des étudiants n’étaient toujours pas réunies dans de nombreux établissements. Ainsi, à Lille, la rentrée fut reportée dans le département de sciences politiques faute de professeurs en nombre suffisant. À Rouen, c’est l’insuffisance de locaux en bon état qui empêcha la rentrée étudiante de se dérouler aux dates prévues. À Besançon, les 600 étudiants d’une filière ont découvert qu’ils devaient se partager un amphithéâtre d’une capacité de 120 places. De son côté, la fac de Strasbourg a expérimenté, faute de place, les cours dans la rue. Des cas comme ceux-ci se sont produits dans toute la France. Face à une telle urgence, nous avons proposé de lancer une mission flash sur l’université française et les moyens dont elle dispose pour accueillir dignement les étudiants. Cette demande a été refusée par la majorité « La République en Marche ». Ils n’ont fait aucune contre-proposition. La situation leur paraît acceptable. Pourquoi ? Parce que sur la ruine et l’auto-blocage de l’université publique se développe la marchandisation du savoir. Faisons un tour d’horizon pour le comprendre.
Dans sa réponse à l’interpellation des insoumis, la ministre a pris la pose. D’après elle, sous les applaudissements des députés « En Marche » qui n’ont rien vérifié, le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche serait augmenté de 700 millions d’euros en 2018. C’est à la fois faux et insuffisant. Faux car elle compare avec le projet de loi de finances pour 2017 tel que présenté par le gouvernement Hollande. Mais si on compare avec la loi de finances votée effectivement par le Parlement, la hausse n’est plus que de 400 millions d’euros. Sur cette, somme, 200 millions sont affectés à l’enseignement. Que vaut ce chiffre par lui-même ? Rien. C’est la situation à laquelle il s’applique qui fait la vérité. On voit vite alors combien c’est insuffisant pour couvrir les besoins nouveaux créés par la hausse du nombre d’étudiants. Ce n’est pas un détail. On compte 153 000 étudiants de plus depuis 2010. 45 000 supplémentaires sont attendus pour la seule rentrée 2018 et 200 000 à l’horizon 2024. Cette augmentation est une conséquence (heureuse) de la forte natalité du début des années 2000. Et seulement de cela. Car (hélas) la proportion d’une classe d’âge qui accède à l’université a plutôt tendance à stagner ces dernières années. Depuis la publication du projet de budget du gouvernement, on sait donc que l’année 2018 sera la septième année consécutive où la dépense publique par étudiant baissera.
Cette asphyxie budgétaire des universités intervient depuis 2009 dans le cadre de « l’autonomie » des universités. « L’autonomie » la grande revendication des années 90, le paradis des notables et mandarins cherchant à se soustraire à tout contrôle et toute obligation d’intérêt général. Les mandarins qui ont voté la loi Sarkozy sur le sujet ne cachaient pas leur enthousiasme. Ils n’ont vu que du feu dans les détails qui s’apprêtaient à les transformer en liquidateurs de l’université publique. Pour beaucoup, sans doute, ce n’était déjà plus le sujet. Ils se voyaient plutôt déjà gérant « comme une entreprise » leur petits royaumes, et confectionnant des grilles de salaires aux petits oignons avec les collègues les plus anciens dans le grade le plus élevé sur le dos des jeunes collègues. Ce qui fut fait et les remplit d’abord d’autosatisfaction. Leur orgueil leur cacha les dures réalités pourtant inscrites en toutes lettres dans la loi. C’est-à-dire que la gestion de la masse salariale et des bâtiments serait entièrement à leur charge. Les naïfs et les cupides n’avaient aucune idée de ce que cela signifierait. Ces deux éléments ont pourtant conduit directement à la situation actuelle.
Depuis 2009, chaque année, un nombre important d’universités se retrouvent en déficit : 20 en 2014, 9 en 2015, 14 en 2016. Lorsque cela arrive, elles sont obligées d’appliquer des plans drastiques de réductions de leurs coûts. Il s’ensuit une pagaille et une frustration généralisée. Tout part vite à vau-l’eau : gels des postes, non remplacement des départs à la retraite, report des travaux d’entretien des bâtiments. C’est ainsi que les universités françaises comptent aujourd’hui 10 000 enseignants de moins qu’en 2010. Nombreuses sont celles qui abandonnent tout simplement certaines filières, certains diplômes. De la sorte, l’équivalent de 20 000 heures de cours ont été perdues. Sans compter, pour les étudiants, l’obligation de partir étudier loin de chez eux pour pouvoir suivre les cours de ces licences. Ce qui les envoie dans les grandes villes où les loyers sont les plus chers.
Ces tours de vis budgétaires ont également pour résultat une grande précarité dans le personnel des universités. Seule la moitié de ceux qui y travaillent sont des fonctionnaires titulaires. Le reste se partage entre contractuels et vacataires. Cela implique une grande instabilité pour eux, on le devine. Et il n’y a pas besoin d’être grand connaisseur du cœur humain pour comprendre pourquoi cela produit aussi une dégradation des conditions d’enseignement pour les étudiants. Ainsi, le statut des doctorants embauchés comme professeurs contractuels influent sur la qualité de leurs cours ! Ils sont payés entre 750 et 1000 euros par mois. La honte quand on connaît le montant de la paye de tant de parasites ! Et pour ce prix ils n’ont aucune vision sur les cours qui leur seront confiés d’une année sur l’autre.
Face à cette dégradation du service public, les solutions libérales s’imposent progressivement : sélection, reculs de la gratuité, progression du secteur privé. Depuis 2016, la sélection à l’entrée en master est devenue légale. Immédiatement, 85% des masters sont devenus sélectifs. Des étudiants sont par conséquent sans affectation, contraints de renoncer à la poursuite de leurs études. D’autres ont été relégués sur liste d’attente. Et cela si longtemps qu’ils n’ont appris leur affectation qu’une semaine avant la rentrée. Quant aux frais d’inscriptions, si leur niveau bas reste officiellement la règle, de plus en plus d’établissements cherchent à la contourner. Par exemple, l’université Paris Dauphine a créé une offre de master estampillés « diplômes d’établissements » différents des diplômes d’État pour lesquels il peut en couter jusqu’à 4000 euros par an. Enfin, les établissements d’enseignement supérieurs privés, universités privées, écoles de commerce ou d’ingénieurs sont en pleine croissance. Leurs effectifs augmentent depuis 2010 deux fois plus vite que ceux des universités publiques. Là, pas de limite au prix des études. La bataille pour la marchandisation du savoir est donc en passe d’être gagnée par les amis du fric. Qui ne sont évidemment pas les mêmes que ceux de l’intelligence et de la démocratisation de l’instruction.