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DU BON USAGE DE L'ESCALADE
Finalement la rencontre avec le président Chavez n'aura pas eu lieu ce samedi. Il faut tenir compte qu'une crise diplomatique majeure vient d'éclater vendredi avec les Etats-Unis d'Amérique à la suite de déclarations particulièrement agressives de madame Rice. Celles-ci ont déclenché une vague de réactions et de démarches diplomatiques de toutes sortes. Et bien sûr une terrible nervosité. Madame Rice a expliqué que le Venezuela était le premier problème des Etats-Unis en Amérique latine et elle a indiqué que les Etats-Unis et l'Union européenne devaient former un front pour isoler le gouvernement du Venezuela.
Ce seul sujet suffirait à déclencher une terrible vague ici. Il faut bien admettre qu'il y a de quoi. Mais à cela s'est ajouté le fait que madame Rice aurait également appelé au soutien à la grève des bus. Le président de l'Assemblée nationale l'a appris aux citoyens en le dénonçant par un virulent communiqué de presse. Je le mets au conditionnel car je n'ai pas pu voir ce passage de la déclaration de madame Rice dans les journaux dont j'ai disposé. Dans tous les cas cela montre que la majorité parlementaire comme l'équipe gouvernementale s'attend au pire de la part des américains. Ils ont quelques raisons pour cela en effet si l'on se souvient que le gouvernement Bush a ouvertement soutenu la tentative de putsch du 11 avril 2002 (décidément ce mois d'avril là aura été assez riches en événements). Cependant il faut savoir que l'enrôlement de l'Union européenne par madame Rice a été fait sans aucune concertation avec nos pays ni même avec la présidence de l'Union. Cela paraît incroyable et pourtant c'est la vérité. Mais il n'est pas toujours évident pour les diplomates d'être crus à ce sujet par les autorités chavistes. Il règne donc une grande tension. Il faut tenir compte de ce que cette tension participe totalement du processus politique au Venezuela. Depuis la première élection de Chavez, les étapes politiques de la période sont ouvertes par des crises sévères qui relancent sans cesse la mécanique du régime. A chacune de ces étapes on voit l'implication des Etats-Unis d'Amérique, que ce soient les putschs, les grèves de la production et les lock-out, et ainsi de suite. Chaque fois Chavez surmonte l'épreuve en approfondissant le processus et en élargissant sa base à de nouveaux secteurs populaires. On doit donc penser qu'à la veille des élections présidentielles pour lesquelles Chavez part favori, les Etats-Unis veulent reprendre l'initiative. Ils ne peuvent faire autrement que d'agir eux-mêmes dans la mesure où les échecs précédents ont laminé et démoralisé l'opposition. Dans ces conditions, si ce choix l'emporte à la Maison blanche – et pourquoi en serait-il autrement – on doit s'attendre à ce que la réplique ne soit pas seulement diplomatique. Elle se traduira certainement par une nouvelle vague d'initiatives politiques des chavistes pour mobiliser la population autour des objectifs du nouveau régime.
La tension politique est donc palpable. Elle est déjà à l'ordinaire assez forte. Ainsi quand je suis allé à ViVe Télé, on m'a montré dans l'entrée de l'immeuble, encore sous emballage, les groupes électrogènes que la station vient d'acheter pour ne plus risquer d'être rendue muette comme ce fut le cas lors du putsch. J'en déduis que l'élection présidentielle devrait devenir plus qu'une élection mais sans doute un approfondissement du processus que les chavistes nomment « la révolution bolivarienne ». D'une façon plus générale on ne peut pas penser que la dialectique de la tension n'a pas été totalement intégrée par l'équipe au pouvoir. Tout montre qu'elle la chevauche en pleine connaissance de cause. Le comble serait qu'on le lui reproche. Car on ne doit pas perdre de vue que l'aliment essentiel a été fourni par la brutalité du gouvernement des Etats-Unis d'Amérique. D'ailleurs qu'elle autre méthode appliquer ici si l'on ne veut pas capituler ? Et il faudrait être angélique pour faire face sans moyen et volonté ferme devant un pays comme les USA. Chavez qui a pensé mourir pendant le putsch rappelle que dans l'histoire, et jusqu'à une date récente, les USA ont déjà fait assassiner plusieurs présidents latino-américains et utilisé tous les moyens de déstabilisation politique contre leurs adversaires. Il est peu probable qu'ils reculeraient devant autre chose que la certitude d'affronter un peuple mobilisé en profondeur sur des objectifs auxquels il s'identifie. Selon moi, l'équipe au gouvernement a deux fers au feu. Si on la laisse tranquille elle approfondira pacifiquement la politique de transfert des richesses en faveur des défavorisés. Mais elle aura à affronter le risque du refroidissement du processus d'implication populaire. Si on ne la laisse pas tranquille elle devra subir les inconvénients et les dégâts que cela implique. Mais elle s'appuiera sur l'énergie de la confrontation pour accélérer son programme et elle ouvrira de nouvelles initiatives. Si l'intention des Etats-Unis est de ralentir le chavisme avec des menaces, on peut dire que c'est une belle contre-performance.
La journée qui s'achève aura été consacrée largement au repos. Je suis épuisé. Demain se fait le voyage vers La Paz en Bolivie et l'épreuve de la très haute altitude. La mise à jour de notes est presque une détente si je la compare au fait d'avoir passé six jours à courir de tous côtés avec mon carnet de note et à parler dans une langue qui ne m'est cependant pas encore assez familière pour que je la parle sans concentration qui me coûte. Ce midi des compatriotes qui sont des entrepreneurs à Caracas étaient invités à la table de l'ambassadeur pour un dîner d'adieu à l'un d'entre eux. Ce moment de détente sans apprêt me fut précieux. Je n'aurais pas parié que ce soit un repas où je ne connais personne mais où tout le monde me connaît. Parler joyeusement et plaisanter dans notre langue pendant quelques heures aimables et sans enjeu m'a fait sentir ma dernière journée à Caracas dans la douceur du jour tranquille qui a coulé entre nos doigts.