Je n’ai pas placé une ligne sur ce blog depuis quinze jours. Je n’arrive pas à me le reprocher. J’étais davantage dans l’action, c’est vrai. Mais ma préparation des réunions tenues dans le cadre de la campagne m’a bien dévoré. Pas simple. Comme ce meeting en Essonne animé avec Julien Dray. Après tout, sans doute le silence sur cet espace exprime-t- il mieux que maints développements ce que ressentent des dizaines de militants (une personne engagée qui agit bénévolement pour propager ses idées). Cette campagne électorale parait de toutes les façons possibles si lointaine et étrange qu’on s’épuise parfois y chercher sa place? Comme jamais, tout se passe dorénavant dans les médias. Mais pas un thème ne tient plus de quarante huit heures (dans le meilleur des cas) selon l’expression si juste de Jean-Louis Bianco. Un coup chasse l’autre. Personne ne court assez vite pour suivre les balles. D’autant que les règles de répartition du temps de présence médiatique en période de campagne officielle créé pour chacun d’entre nous un bannissement qui désarme la réactivité instantanée qu’on cultive le reste de l’année. Sur le terrain ? Boffff ! Bien sur, au Parti Socialiste nous avons la joie dorénavant d’être deux fois plus nombreux depuis la dernière vague d’adhésion. Ca fait chaud au c?ur de voir tous ses nouveaux adhérents qui ont voté en masse assumer à présent le choix qu’ils ont fait triompher et faire les boîtages et les tractages avec les autres militants à plein tarif? Moi aussi je peux me sentir utile facilement. Il me suffit d’être dans la rue et toutes sortes de gens viennent me parler. A Paris mon temps de transport (je circule en métro) a doublé en raison de ces impromptus. En fait leur conviction de gauche est souvent faite. Ils me demandent de les rassurer. Ou bien d’expliquer des points qu’ils n’ont pas compris ou qui les laissent perplexes. J’ai toujours pensé que ce type de contact est extraordinairement productif. D’abord parce qu’on se parle entre personne réelle. Ensuite parce que ce qui se dit à ce moment là est ensuite répété en famille ou entre amis. Amis lecteurs de ce blog, pensez y, vous aussi. Oubliez l’appareil qui vous méprise, les clans haineux qui vous toisent, et mouillez la chemise pour votre propre compte car c’est de cette façon qu’on se respecte soi même et qu’on fait vivre une idée plus grande que chacun d’entre nous. En tous cas la dernière ligne droite du calendrier électoral confirme au moins une des vieilles lois de la physique politique : tout s’accélère et le milieu des oreilles et des cerveaux devient hautement conductible. Une rumeur, une petite phrase passe directement des dieux de l’olympe au comptoir du bistrot. Rocard avait à peine fini de s’exprimer que mon quartier bruissait déjà et mon téléphone vibrait comme un fou sous l’impact des SMS. Cher Michel ! Pourquoi se gênerait-il ? A-t-il jamais dit autre chose ? Et ne l’a-t-il jamais dit à un autre moment qu’à celui ou les circonstances obligent à en parler pour lui répondre ? C’est vrai que son interpellation est un piège redoutable.
LE PIEGE
Si Ségolène Royal lui répond « oui, faisons cette alliance puisque nous n’avons pas de majorité autrement », comme le lui propose Michel Rocard, alors le premier tour de l’élection est perdu. Des dizaines de milliers de socialistes, dont moi, sortiront des rangs et retourneront leurs fusils électoraux contre leur propres généraux comme dit la chanson d’avant. La troupe est si mal traitée que ce n’est sûrement pas les douceurs du campement qui la retienne, croyez moi ! Ce n’est sans doute pas le plus grave, j’en conviens. Ceux qui suivraient les avis de Rocard commettraient aussi une faute tactique terrible. Car aussitôt le vote utile « anti-Sarkozy », argument numéro un (et suivant..) de la campagne, refrain péremptoire appliqué à tous les états d’âme, glisserait directement du bulletin de vote socialiste vers celui de Bayrou. Il est facile de comprendre pourquoi. Comptons bien sur les sondages pour le confirmer en boucle selon une technique de manipulation désormais bien rodée. Elle avait d’ailleurs commencé à porter ses fruits avant que par enchantement les médias cessent de faire sonder les deuxième tours avec François Bayrou (ouf, on a eu chaud !).
A l’inverse, si Ségolène Royal dit « non pas question », comme l’a fait séance tenante François Hollande, on voit aussi la difficulté. Car au deuxième tour il faudra alors se livrer à une danse du ventre encore plus active et suggestive devant ceux à qui on aura claqué la porte au nez peu de temps auparavant. L’exercice pourrait être vain non seulement parce qu’il ne convaincrait pas ceux à qui il serait destiné mais aussi parce que cela pourrait être révulsif pour nombre d’électeurs de gauche. Et si Ségolène Royal dit que nous ne demanderons rien à personne car nous ferons une majorité avec tous les électeurs qui le voudront ? Alors il faudra aussi admettre que quand Bayrou dit la même chose, comme il le fait depuis plusieurs semaines, il sera désormais impossible de lui rire au nez?Par quelque bout que l’on prenne la question ainsi mise sur la place publique par Michel Rocard, il n’y a que des inconvénients.
TEL EST PRIS…
Je pense que Rocard le savait avant de s’y engager. Ca doit l’amuser de prouver son pouvoir de perturbation aux petits malins qui avaient oublié de l’afficher dans la liste des 13 (!!!) précieux publiée cette fameuse semaine où les éléphants étaient revenus en grâce? Et, plus sérieusement, il fait avancer son projet comme jamais puisque le terrain est propice. Quand quelqu’un a demandé au sénateur Mercier, trésorier de l’UDF, s’il lui faudrait beaucoup de temps pour faire une nouvelle majorité dans le cas ou François Bayrou l’emporterait, j’étais assis à côté de lui au Bureau du Sénat où nous siégeons lui et moi. « Environ un quart d’heure » a-t-il répondu avec le sourire. Je pense qu’il exagère. Il faudra une grosse demie heure. Le raisonnement est en effet en vigueur dans toutes l’Europe ou sociaux démocrate, écolos et chrétien démocrates gouvernent ensemble chaque fois que c’est possible. Sans oublier l’Italie ou Romano Prodi, le partenaire affiché de François Bayrou, rassemble sous sa houlette ce petit monde et se propose de les unifier dans un même parti qu’il compte nommer?. « Parti Démocrate ».
UNE REALITE A TROIS DIMENSION
Je ne pense pas diaboliser cette formule. Je la combats. Pour une raison de cohérence : le programme et la coalition qui le porte ne peuvent pas se dissocier. Dans ce genre de coalition on ne peut pas aller plus loin que ne le supporte la partie la plus conservatrice. On ne peut donc vouloir appliquer un programme de gauche dans une coalition avec le centre. Pardon de ce rappel à un classique connu de tous : le programme, la coalition et la forme du Parti sont les trois rameaux d’une même réalité. On ne peut toucher à l’un sans affecter l’autre. Michel Rocard est donc convaincu que les trois repères ont assez évolués pour être compatibles. Qu’il le veuille ou non c’est ce qu’il donne à entendre quand il s’exprime de cette façon. La candidate socialiste reçoit alors deux mauvais coups. Le premier parce que la candidature de Bayrou et sa démarche sont validés par un socialiste. Le second parce que le programme de la candidate est proclamé de la sorte « compatible » avec celui de Bayrou. On ne doit pas sous estimer les dégâts subliminaux de ce genre de déclarations, même démenties par François Hollande. De toutes façons, personne ne croit qu’il a assez d’influence sur la candidate pour la faire agir autrement qu’à sa tête. Je pense qu’elle doit marquer sa distance avec le propos de Michel Rocard en abordant sa réponse à partir du contenu de son programme. En toutes hypothèse nous serons aidé par la droite et je prends les paris que la presse ne donnera pas beaucoup de suite à cette sortie rocardienne car Sarkozy ne rêve pas de voir Bayrou s’installer en face de lui?
MALGRE LES SIENS
En ce qui me concerne, je me sens validé dans mes démarches récentes de bien des façons. Ceux qui au PS ont brocardé mon engagement en faveur d’une candidature unique de l’autre gauche se gardaient bien de répondre au problème que je soulevais, avec mes amis, de cette façon. Le voici directement servis sur les genoux des méprisants d’hier : avec qui comptez vous faire une majorité ? Rocard y répond. Et les autres ? Comment comptez vous dynamiser la gauche en direction des désemparés et des désorientés qui vont faire la décision cette fois ci ? Enfermés dans leur vision patrimoniale de l’électorat, les habile ont appliqué leur énergie d’influence pour pousser l’autre gauche dans ses mauvais penchants à la division et les écologistes dans leur nombrilisme. Tout a été conçu pour que la candidature socialiste puisse bénéficier avant toute chose de l’argument du vote utile anti Sarkozy en face d’une poussière de concurrents. Possible que ça finisse par marcher. Electoralement. Au niveau de la conviction acquise et de l’adhésion construite c’est une autre affaire?
Je pense aussi que cet épisode tranche le débat sur l’utilité ou non de faire campagne contre François Bayrou. Je suis heureux du travail accompli avec le groupe des socialistes au Sénat qui a accepté de se mobiliser pour produire les argumentaires de cette campagne. J’ai bien noté partout où je suis passé que les arguments et les citations ainsi produits ont marqué, fait avancer les débats et les esprits mieux que les diabolisations simplettes qui ont signalé l’affolement de ceux qui n’avaient rien préparé de sérieux. J’observe que le tract de PRS qui compare les trois programmes de droite est bien accueilli et beaucoup diffusé. Etre en campagne ce n’est que cela : se rendre utile à la cause que l’on soutient. Parfois malgré les siens.