14.01.2013

L’État malien s’est effondré sans que nous remuions un doigt

Intervention de Jean-Luc Mélenchon sur France info le 14 janvier 2013 – L’extrait sur le Mali est de 00:00 à 05:00. Retrouvez ci-dessous la retranscription.

Il y a depuis vendredi une quasi unanimité sur l’intervention française au Mali. Pourquoi dites-vous, vous, que c’est discutable ?

Parce que… pour aller rapidement, d’abord commençons par avoir une pensée à la mémoire de ceux qui sont déjà morts dans cette opération, parce que ce sont les nôtres. Ils ont servi et obéi jusqu’au sacrifice suprême. Ceci étant posé, il y a le fait que l’événement est commencé. Cela change aussi la nature du commentaire. Pour autant, que doit-on dire ? Laquelle, je vous prie, des guerres qu’il fallait mener d’urgence et qui seraient la solution au problème a-t-elle réussi au cours des 20 dernières années ? Est-ce l’Irak détruite aujourd’hui ? Est-ce l’Afghanistan dont nous ressortons piteusement ? Est-ce la Libye qui est à l’origine de la propagation des armes qui ont permis ensuite à ces groupes d’intervenir dans le nord du Mali comme nous le savons? Aucune.

Donc vous dîtes, comme Dominique de Villepin, que finalement, on n’ a pas su tirer les enseignements de ces guerres-là ?

Aucun. J’estime qu’on a tiré aucun enseignement. C’est pourquoi, je dis, que c’est discutable de penser que l’intervention armée va être la solution. C’est d’autant plus discutable que nous intervenons dans une situation qui est connue, maintenant, depuis des mois et dont nous prenons la mesure au dernier moment. C’est-à-dire lorsque la capitale est menacée. Pourquoi l’est-elle ? Je le dis, pensant à tous nos amis maliens, dont la communauté est très forte en France et qui sont très inquiets de cette situation. Pourquoi l’est-elle? N’est-ce pas, déjà, parce qu’il y a eu un coup d’état, parce que l’actuel président de la république est là, de manière légitime uniquement par ce que le précédent a été contraint de démissionner, que le premier ministre a été chassé par l’exigence d’un capitaine. C’est-à-dire que l’Etat malien s’est, en quelque sorte effondré, sans que nous remuions un doigt. Et voici, maintenant, le moment où on intervient militairement. Alors, je le dis, cette intervention militaire, je souhaite, au moins, qu’elle atteigne l’objectif d’urgence puisque elle est commencée. Je ne dis pas que je l’approuve.

Quel est-il cet objectif d’urgence ? Repousser les groupes islamistes ?

Attendez, moi, je n’en sais pas plus que vous. Il s’agissait de contenir une intervention armée qui faisait craindre que la capitale vint à tomber sous le poids d’un parti politique. Mais là-aussi, j’adjure, ceux qui nous écoutent, de rester de sang-froid et de ne pas faire des simplifications. Les islamistes, entre guillemets, qui sont paraît-il, à l’initiative de tout cela, ont, eux-mêmes, commencé par battre les forces qui occupaient les 2/3 du territoire, à ce moment-là, qui sont des touaregs. Donc, tout cela est mélangé dans un même paquet. Je signale que, derrière le problème que posent les islamistes, reste le problème que posent les touaregs qui avaient déclaré l’indépendance de cette zone du pays. Par conséquent, on ne réglera pas, en frappant les uns, le problème que posaient les autres.

Donc il ne fallait pas intervenir ou pas maintenant ou, en tout cas, pas comme cela, c’est ce que vous dîtes ?

Écoutez, maintenant la situation est de fait. Et le dernier point qui nous intéresse est le suivant. Comment se fait-il, qu’une fois de plus , alors qu’on a une situation de si longue main, jamais le parlement n’ait été appelé à en débattre. Je ne dis pas à décider une intervention militaire mais au moins à débattre de cette situation pour que tous les scénarios soient posés sur la table. Je signale que nous n’agissons pas dans le cadre d’un mandat de l’O.N.U. Ce n’est pas vrai. Le mandat de l’O.N.U, c’était qu’une force africaine intervienne. Qu’est-ce qu’il y a, les Africains ne sont pas capables de faire ce qu’il faut ?

La charte de l’O.N.U prévoit un droit naturel de légitime défense individuelle ou collective, dans le cas où un membre des nations unies est l’objet d’une agression armée. C’est ce que disent les diplomates aujourd’hui.

Oui ça c’est le statut des nations unies mais ce n’est pas le mandat. Le mandat prévoyait expressément l’intervention des africains. Puis-je poser la question ? Il n’y a pas d’armée qui soit au niveau dans cette zone…il n’y a un pays frontalier, qui s’appelle l’Algérie, qui a une armée, qui est techniquement extrêmement avancée …

C’est le rôle de l’Algérie, aujourd’hui d’agir, d’être le rempart ?

C’est le rôle des africains. Les africains sont des adultes. Ce ne sont pas des pays folkloriques, ce sont de vraies nations, n’est-ce pas ! Et je trouve que nous sommes en train de reprendre l’habitude d’intervenir par ci, par là, tantôt en Côte d’Ivoire pour établir un pouvoir qui a une légitimité, tout ce qu’il y a de plus discutable.

Retour de la Françafrique ?

Oui, oui, le retour de Monsieur Alassane Ouattara, je vous le dis, les yeux dans les yeux est tout à fait discutable. Et nous sommes intervenus militairement pour intercepter un président. Un de nos compatriotes est en prison là-bas en Côte d’Ivoire, cela n’a l’air de déranger personne, qui est monsieur Michel Gbagbo, dont le seul crime est de s’appeler Gbagbo. Voilà. Donc, je trouve que nous reprenons de mauvaises habitudes et j’aimerais qu’il n’y ait pas dans tout cela, une volonté de communication, du type de celle que souligne, aujourd’hui, le journal Libération lorsqu’il écrit « qu’une guerre n’est jamais une mauvaise nouvelle pour un chef d’Etat. J’espère qu’il ne s’agit pas de cela.

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