Réponse à la tribune critique de Cécile Duflot sur le Hareng de Bismarck
Chère Cécile, pourquoi avoir donné ce ton soudainement si agressif à ta critique de mon nouveau livre, le Hareng de Bismarck ? Puisque tu dénonces les « invectives » et les « injures », quoiqu’il ne s’en trouve nulle part dans mon livre, pourquoi m’offenser aussi gravement en me comparant à Déroulède, l’un des fondateurs de l’extrême droite française ? Je lave l’affront en te parlant depuis le journal de Jean Jaurès, figure tutélaire de ma gauche, que Déroulède voulait voir mort et qu’il provoqua même en duel.
Il est difficile de dialoguer avec ton texte. En effet, aucune des thèses que tu m’attribues ne se trouve dans mon livre. Ainsi, il n’est pas vrai que je présente les Allemands comme un « bloc compact » qui nous serait entièrement opposé. Au contraire. L’origine de classe de la politique de Mme Merkel est clairement décrite. Non, ma vision de l’universalisme n’est pas « enfermée » dans les frontières de la France. Et ainsi de suite. Tout cela est démenti expressément par mon texte. Sur chaque point, ce livre, les précédents, mes articles, mes discours démontrent tout le contraire. Et si tu ne m’as pas lu, peut-être as-tu écouté mon discours de Marseille dans la campagne présidentielle. Dirais-tu que j’y ai exprimé une vision « corsetée », « étroitement hexagonale et sépia » de la nation française et de sa République ? De même pour ce qui est de l’écologie politique. Chère Cécile, amie du débat théorique, tu sais bien que les dix-huit thèses sur l’écosocialisme, dont je suis l’un des auteurs, et mon livre L’Ère du peuple montrent comment le paradigme de l’écologie politique refonde en les confirmant les intuitions du communisme, du socialisme et du républicanisme issu de la grande Révolution de 1789. Finalement, tes critiques ne s’adressent ni à mon livre ni à moi mais à ma caricature que répètent avec lourdeur les griots du système. Qu’ai-je fait pour mériter cette vilenie de ta part ? Toi-même n’as-tu jamais eu à souffrir de tels rabâchages ? Tu sais alors ce que coûte la réplique. Car l’interpellation porte non sur ce que tu es mais sur ce que les autres ont décidé que tu devrais être. Tel est le sort réservé à ceux qui ne restent pas « à leur place ». Ceux qui m’ostracisent ne font que tracer une frontière de caste. Dès lors, comme Cyrano, je n’abdique pas l’honneur d’être leur cible.
Ta tribune a été interprétée comme une rupture politique et personnelle. D’aucuns s’en sont frotté les mains. On comprend pourquoi. Pour eux, tu fais mourir l’espoir d’un autre chemin à gauche. Nous étions d’accord pour dire qu’il fallait imaginer un nouveau mouvement citoyen, animé et contrôlé par lui-même. Un mouvement politique où se fédèrent le peuple lui-même et ses revendications. La formule vient de triompher en Espagne. Mais tu as changé d’avis sans crier gare et en ouvrant le feu. Tu préfères les listes solitaires de ton parti. C’est une faute. Calculer en cynique que le « sommet climat » va améliorer vos résultats est une privatisation étroite d’un tel thème. Seul EELV pourrait stopper le productivisme qui menace l’équilibre climatique ? Ce n’est pas à la hauteur de la mobilisation qu’il faut construire. Sur le terrain, heureusement, ce sectarisme n’est pas suivi. Partout nos amis respectifs dialoguent sans s’offenser et souvent ils s’accordent pour impulser les convergences citoyennes en vue des régionales. Ils auront le dernier mot. La convergence se fera. Avec toi et avec plaisir, ou sans toi, hélas, mais non moins résolument. Rassembler n’est pas normaliser. Je n’exige pas de toi que tu aimes notre patrie républicaine à ma façon. Ni que tu trouves autant d’attrait pour la culture universaliste qui identifie notre pays que pour le nationalisme ukrainien que tu soutiens ou les coutumes des Indiens de l’Amazonie que nous défendons. Chaque peuple apporte sa contribution à l’humanité universelle. Je suis fier de la nôtre. De ton côté, ne me demande pas de te ressembler pour nous rassembler. La rage brune gagne en Europe. Le sectarisme nous tuerait tous.
J’achève sur l’Allemagne. La France ne peut se diriger avec naïveté sur la scène mondiale. Répliquer à la politique allemande assumée par le PS et la droite de ce pays et du nôtre au cri de « vive l’Europe » est une futilité. C’est se couper des millions d’Européens qui n’en peuvent plus de cette imposture. Mais aussi des syndicalistes et des économistes allemands qui la critiquent durement. Comme mon ami Oskar Lafontaine. Ou comme Cohn-Bendit, préfacier du livre Non à l’Europe allemande. Ou des électeurs qui ont mis Mme Merkel en minorité. Ceux qui auraient pu avoir un autre gouvernement si le PS n’avait fait la grande coalition avec la droite et si les Verts n’avaient pas refusé l’accord avec Die Linke. L’Europe actuelle n’existe que dans et par les traités que tu condamnes toi aussi. Demain au pouvoir nous devrons leur désobéir et refonder une tout autre Europe où la violence que subit le peuple grec ne sera plus possible. Une union libre de peuples libres.