En France aussi, la lutte contre les assassins de Daech appelle un réel changement de pied. Parler de « guerre intérieure » comme l’a fait Valls est un sidérant abus de langage. Nous avons besoin d’un vrai État, fort, respecté, efficace pour assurer la sûreté de tous. Parler de « guerre intérieure » c’est reconnaître un statut de guerriers à de lâches criminels qui tuent des gens sans défense. C’est aussi désigner sans le nommer un ennemi de l’intérieur support de tous les fantasmes. Il faut d’urgence au contraire priver ainsi nos ennemis du terrain pourri des ressentiments et des stigmatisations propices aux recrutements. Sur notre territoire, contre le terrorisme, on doit donc faire la police. C’est-à-dire réprimer ou prévenir des actes et poursuivre des personnes en particulier. Et non des idées, des concepts ou fantasmes. La surenchère sécuritaire ne sera pas efficace. Les Echos soulignaient ainsi récemment que 23 textes ont été adoptés en matière de renseignement depuis 1986. Depuis 2001, il y aura eu 10 lois contre le terrorisme adoptées : 4 lois de sécurité comprenant des dispositions anti-terroristes et 6 lois spécialement anti-terroristes. Déjà 3 lois antiterroristes ont été votées sous le mandat de François Hollande dont deux rien que dans cette dernière année. La loi sur le renseignement adoptée au printemps n’est pas encore entièrement en vigueur : seuls 5 des 12 décrets d’application ont été pris. Évidemment, aucun bilan, aucun rapport de synthèse n’a jamais été établi. Pourtant ! S’il a fallu revenir tant de fois sur le sujet cela signifie tout de même que l’on a été à côté de la plaque déjà 22 fois !
Faisons simple : le premier devoir est la reconstruction de l’État. La lutte contre le terrorisme passe par des moyens publics. J’en reste à la police. Remonter les filières, tarir les financements, démanteler les trafics mafieux, notamment d’armes de guerre, repenser les prisons, disposer d’un maillage territorial fin et régulier en matière de renseignement etc., tout cela demande de l’argent public, des fonctionnaires nombreux et formés, une politique qui ne se résume pas à de la communication ou à la politique du chiffre. Encore faut-il une police et une justice républicaines en état de fonctionner. En temps normal, les disfonctionnements et manques de moyens sont devenus la norme. L’urgence est de reconstruire l’État.
En la matière, pourquoi ne pas se fier à l’avis de l’ancien juge anti-terroriste Marc Trévidic. Selon lui, « ce ne sont pas les lois qui manquent, mais les moyens » pour les appliquer. Bien sûr, des moyens de police et de renseignement. Mais ce qu’il pointe surtout, c’est l’indigence des moyens de la justice anti-terroriste et de l’analyse du renseignement. C’est indispensable dans ces enquêtes longues et difficiles, où il faut remonter des filières, surtout si l’on veut pouvoir assurer l’efficacité des procédures et pas seulement la mise en scène d’opérations coup de poing. Ainsi, selon ce juge, « Nous faisons face à un goulet d’étranglement : quand près de 2.500 personnes travaillent au renseignement, en face, il n’y a que 150 personnes du côté judiciaire ». Et, il ajoute : « il importe de doubler les effectifs du département judiciaire de la DGSI. Cela permettra notamment d’éviter la situation actuelle où seulement la moitié des personnes qui se sont rendues en Syrie pour des raisons terroristes sont aux mains de la justice. Le reste circule librement en France, parce que nous n’avons pas les moyens nécessaires de traiter leur dossier ». François Hollande a annoncé la création de 2 500 postes dans la justice. Ils seront les bienvenus. Mais chacun devine que cela ne peut se faire du jour au lendemain. Les retards pris nous ont mis en danger.
Beaucoup comprennent enfin que la République a besoin d’un État présent et efficace. La politique libérale et d’austérité budgétaire se trouve ainsi condamnée par là où on ne s’y attendait pas forcément : la situation de la gendarmerie, la police, la justice, les douanes, l’armée dresse un réquisitoire terrible contre l’irresponsabilité des politiques publiques des libéraux… Le président de la République a donc dû faire volteface. Son annonce de plusieurs milliers d’embauches dans les services publics de sûreté sonne comme un terrible aveu d’échec pour lui et son prédécesseur. Souvenez-vous de M. Sarkozy moquant en 2007 qu’il y ait toujours des douaniers alors « qu’on a supprimé les frontières ». Ils ont perdu 2700 postes en 10 ans y compris sous le gouvernement Hollande. Résultat : moins d’un conteneur sur 1000 est fouillé ! Il aura donc fallu une tragédie pour obtenir ce que plusieurs grèves nationales des douaniers n’ont pas obtenu : l’arrêt des coupes et 1 000 embauches selon la promesse de François Hollande. Quant à la police et à la gendarmerie, là aussi, les chiffres sont accablants. 12 000 postes ont été supprimés par Nicolas Sarkozy. François Hollande avait promis en 2012 de créer 1 000 postes par an pendant son mandat dans ce secteur dans lequel il incluait la justice. Cela ne permettait pas de reconstituer les destructions sarkozystes. Mais selon le journal Le Monde, la situation est pire encore « sur les trois exercices clos du quinquennat Hollande (2012, 2013, 2014) les effectifs réels dans la police ont baissé de 143 997 à 143 050, et de 96 213 à 95 195 dans la gendarmerie. 2015 devrait être la première année du quinquennat Hollande à voir une hausse réelle ». Il y avait donc moins de postes au début de cette année qu’en 2012 ! Qu’en sera-t-il réellement des 5000 créations supplémentaires annoncées par François Hollande d’ici 2017 ?
Entendre François Hollande dire que « le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité » est un heureux changement de pied. On aurait aimé entendre cela à propos d’un pacte de solidarité ou d’égalité. Sans parler d’un pacte de santé publique face à l’effondrement en cours du système. Mais ne faisons pas la fine bouche. La mise en cause de la politique d’austérité, même du seul point de vue sécuritaire, est une respiration bienvenue que nous saurons pousser plus loin le moment venu. Dans ce contexte, certains sont particulièrement irresponsables. Ainsi le MEDEF et son président Pierre Gattaz. Dès le lendemain des annonces du président de la République en matière de moyens publics, il a appelé à ne « pas laisser partir à vau-l’eau les dépenses publiques ». Pour lui, comme pour d’autres, « il faut faire des économies par ailleurs, faire mieux avec moins ». Bonne idée : supprimons le versement des 40 milliards prévus dans le cadre du crédit d’impôts compétitivité. Mais on devine que ce n’est pas ce que veut dire monsieur Gattaz. Son raisonnement est irresponsable et indigne. Il ferait mieux de se demander si, malgré le professionnalisme des agents, ce n’est pas une bêtise d’avoir confié au secteur privé des tâches comme la sûreté aéroportuaire au prétexte que cela coûterait moins cher ? Peut-être pourrait-il cesser ses attaques contre le service public et sa mendicité fiscale pendant quelques temps ? Je le dis aussi à l’attention de Pierre Moscovici. Le commissaire européen a déclaré ce jeudi 19 novembre que les règles du pacte de stabilité « ne doivent pas être remises en cause ». Que valent de tels idéologues illuminés dans les circonstances que nous vivons ? Ils sont absurdes.
Ensuite nous devons reconstruire des frontières. Car la lutte contre le terrorisme condamne aussi le mythe rédempteur de la libre circulation des marchandises et des biens comme un bienfait permanent. La libre-circulation des capitaux et des marchandises permet aux armes et à l’argent de circuler sans contrainte. Sans parler du pétrole, du coton ou des œuvres d’arts pillés en Irak et en Syrie. L’absence de contrôle des personnes aux frontières extérieures et intérieures permet aux assassins de se déplacer quasi-impunément. Bien sûr, c’est une ligne de crête. Certains instrumentalisent cette question pour dresser des frontières mentales et affectives. Pour eux, les frontières doivent être des murs, si possible avec des barbelés et jusque dans les cœurs. Pour nous, les frontières sont des portes. On doit décider souverainement de les ouvrir ou de les fermer. Vouloir des frontières et des contrôles n’est pas vouloir la fermeture du pays. Simplement vouloir faire respecter la souveraineté des citoyens qui y vivent. On peut vouloir des contrôles aux frontières et refuser la surenchère sécuritaire ou identitaire, comme je le fais.
Enfin c’est une tâche prioritaire de renforcer les anticorps républicains de la population. L’unité du peuple de France est un enjeu. Je dois donc citer à cet instant l’idée d’une Garde nationale par conscription. Tous les Français, garçons et filles y seraient affectés à tour de rôle pour assurer un certain nombre de tâches de sûreté, de protection de bâtiments et de sécurité civile. J’en suis personnellement partisan de longue date. François Hollande a repris le mot sans que personne n’ait compris de quoi il parlait précisément. Le but de nos ennemis est de nous diviser et répandre la haine entre nous. Ne pas se laisser manipuler sur ce point c’est faire un grand pas vers notre victoire. Dans ce domaine c’est aussi faire acte de lucidité. L’islam ne poussa pas davantage au crime terroriste que n’importe quelle autre religion. Et il est temps de bien se dire qu’on ne nait pas djihadiste, on le devient. Si l’on veut tarir le mécanisme du recrutement, il faut écouter les spécialistes de ces questions et suivre leurs conseils plutôt que les délires et les fantasmes des rouleurs de mécaniques ou des racistes. Là encore, l’ancien juge anti-terroriste Marc Trévidic dit des choses qui doivent faire réfléchir : « ceux qui partent faire le djihad agissent ainsi à 90% pour des motifs personnels : pour en découdre, pour l’aventure, pour se venger, parce qu’ils ne trouvent pas leur place dans la société… Et à 10% seulement pour des convictions religieuses : l’islam radical. La religion n’est pas le moteur de ce mouvement et c’est ce qui en fait sa force ».
Samedi soir sur le plateau de l’émission « Salut les terriens », l’anthropologue Dounia Bouzar a très bien expliqué les mécanismes d’embrigadement. Sur la base des 700 jeunes dont elle a la charge, elle nuance l’approche qui unit mécaniquement misère et crime, islam et djihadisme. Elle nous apprend que sur ces sept cents jeunes à la dérive on compte bien des enfants « de professeurs, d’avocats, de médecins ». En revanche, elle confirme l’importance toute relative du milieu religieux. Plus de la moitié des jeunes radicalisés dont elle s’occupe sont issus de familles athées, chrétiennes et même juives ! Cela confirme que nous sommes bien face à un processus d’embrigadement mental comme y procèdent les sectes. D’ailleurs, la structure dans laquelle elle travaille s’appelle « Centre de prévention contre les dérives sectaires liés à l’Islam », elle parle de « secte totalitaire », de « retournement » des individus. La prévention, le signalement précoce, l’accompagnement, la mise en place de programme de déradicalisation sont donc des exigences absolues et urgentes.
La répression des fanatiques est un devoir dans ce contexte. Il ne peut y avoir d’excuses pour les meurtriers ni ceux qui voudraient les imiter. Je plaide donc pour ne pas se laisser aller à un misérabilisme compassionnel qui ne mène nulle part. Que dans le peuple des croyants, comme dans la société toute entière, les pauvres soient les plus nombreux ne donne nullement le droit d’établir un lien mécanique entre la pauvreté et le fanatisme. Et quand cela se trouve, la pauvreté n’est ni une cause unique ni une excuse. D’une façon générale, nul n’est jamais exempté de sa responsabilité personnelle devant ses actes. Le crime n’a pas d’excuses, même quand il a des explications. Et j’invite aussi à distinguer tout le temps entre les croyants et leur foi et les organisations qui les encadrent et parlent en leur nom.
Je n’ignore rien non plus de ceux qui tirent les ficelles : ce sont nos ennemis depuis bien longtemps, ici et partout comme l’ont montré les assassinats de Charlie Hebdo ou de nos camarades progressistes Tunisiens. La lutte de l’obscurantisme religieux contre les Lumières est une longue et vieille affaire. Il ne faut donc jamais donner non plus aucune excuse à aucune religion quand elle prétend imposer ses vues par la force ou l’intimidation. Dès lors je me prononce pour une répression sans faiblesse des prêches ou des manifestations propageant la haine religieuse. Il est bien dommage que rien ne soit fait contre les groupuscules qui sont descendus dans la rue pour frapper des immigrés, souiller des mosquées ou agresser nos camarades. La répression doit frapper rudement les fanatiques ethnicistes et religieux violents quelle que soit leur bannière. Pour l’instant, ce que nous voyons n’est vraiment pas bon. Ficher des manifestants qui militent contre l’état d’urgence est hors sujet et gravement attentoire à l’entretien de l’esprit civique. Interdire les manifestations syndicales, politiques ou écologistes tout en permettant les marchés de noël est un pari très risqué en même temps qu’une décourageante stigmatisation des citoyens qui s’engagent pour leurs idées.