Voyons d’abord la lutte contre le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. C’est la raison principale de ma visite. Car ce projet est censé être adopté d’ici la fin de l’année, peut-être même dès cet été. En tout cas avant l’élection présidentielle française de 2017. Les eurocrates libéraux et sociaux-libéraux qui gouvernent n’ont évidemment pas prévu de consulter les citoyens sur ce projet. Mais le Parlement européen aura le pouvoir de rejeter cet accord. Chacun devra donc se positionner clairement et assumer son vote et ses conséquences. Car le projet d’accord avec le Canada sert aussi de cahier de brouillon à l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis.
Je me réjouis de voir que le combat contre ces deux traités en négociation mêle les questions sociales, écologiques, sanitaires et démocratiques. Le refus du libre-échange est la position de regroupement des altermondialistes depuis le début et les manifestations contre l’Organisation Mondiale du Commerce. Certains ont encore peur du mot protectionnisme, mais pas moi. Si nous voulons mettre au pas les multinationales, conquérir de nouveaux droits et préserver la souveraineté populaire face aux firmes transnationales, c’est bien une politique de protectionnisme solidaire qu’il faudra mettre en œuvre. C’est de tout cela que je vais parler avec les syndicats québécois et canadiens. Car un jour prochain, au moment de renverser la table il faudra bien savoir sur qui s’appuyer et comment proposer des convergences.
Voici le moment de rafraîchir nos savoirs à propos de l’affaire du CETA. Elle est quasi totalement inconnue France hors des cercles militants ! Le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), ou AECG, (Accord Économique et Commercial Global) en français, est un nouveau traité international qui se trame dans notre dos. Une idée de reportage pour France 2, qui à propos d’Europe pourrait à cette occasion renoncer à faire prévaloir le dérisoire sur l’essentiel ? Lancé en 2009, cet accord vise officiellement à déréguler le commerce entre l’Union européenne et le Canada. Et, comme pour le Grand Marché Transatlantique (GMT), pour s’assurer du consentement des populations, tout se déroule dans le plus grand secret. Ainsi, même la résolution votée par le Parlement européen le 10 décembre 2013 à son sujet ne contenait aucun élément précis sur le contenu des négociations, si ce n’est quelques phrases habituelles nous assurant du respect des « droits de l’homme et de la démocratie ». Et bien que la résolution ait demandé à « garantir la pleine implication, l’information et la consultation de la société civile et des principales parties prenantes au cours du processus ». Lors de la conclusion des négociations en septembre 2014 le contenu de l’accord : un document de 500 pages, complété par 1 000 pages d’annexes, n’avait toujours pas été publié, que ce soit par la Commission européenne ou par le gouvernement français.
À la lecture du document, on comprend mieux leur empressement à nous en cacher le contenu. Au menu : la suppression totale des droits de douane pour commencer. Mais aussi « l’harmonisation » des normes sociales, sanitaires, environnementales ou techniques, via une nouvelle institution, le Forum de coopération réglementaire, visant à « réduire les différences de réglementation non nécessaires » et dans lequel les représentants des grandes entreprises auront toujours plus de poids et de moyens que les PME et les organisations de défense de l’intérêt général. Ce mécanisme fait du CETA un traité « vivant », qui ne fait pas qu’influencer les règles actuelles mais modifie les processus de décision pour écrire l’avenir. Enfin, le traité prévoit la fin des limitations d’accès aux marchés publics et ouverture du marché des services. En bref, libéralisme à tous les étages.
À l’instar du Grand Marché Transatlantique (GMT), le projet initial CETA prévoyait un mécanisme de règlement des différends Investisseurs-États (ISDS). Vous savez, les fameux tribunaux d’arbitrage privé ! Il y a eu là un peu d’émotion. L’opinion étant en alerte en raison du traité TAFTA. Il fallut remanier le texte pour faire baisser la température qui serait bien montée si les gens avaient découvert que pendant qu’on les lanternait avec le traité TAFTA, on leur faisait avaler pire avec le traité CETA… Dans une version remaniée en février 2016, ce mécanisme de tribunaux d’arbitrage a été remplacé. Les poètes à l’œuvre ont inventé un système de « Cour sur l’investissement » (ICS). Pompeux et verbeux à souhait. Mais ce système reste de toute façon un système de juridiction parallèle à celui des États. Il autorise toujours les investisseurs à choisir le droit qui leur sera le plus favorable entre les tribunaux nationaux et l’arbitrage international. D’ailleurs, l’obligation pour eux de commencer par passer d’abord par les voies de recours nationales et ceci jusqu’à ce qu’elles soient allées au bout des procédures possibles n’est pas prévue. Enfin, ce nouveau mécanisme réserve le monopole du dépôt de la plainte aux entreprises ! Autant qu’elles veulent ! Rien n’est prévu en cas d’abus.
En fait, ce système permet surtout de pérenniser et d’institutionnaliser le principe d’un arbitrage « investisseurs contre État ». Ce dont nous ne voulons pas. Car on connait la conséquence : la souveraineté des États et leur droit à réguler est limitée. Elle reste soumise à un « test de nécessité ». Ce jargon embrouilleur signifie que « l’arbitre » (le « juge ») a le pouvoir de se prononcer sur la nécessité des mesures prises par les gouvernements ! Oui, rien de moins ! Un « arbitre » décide si un objectif de politique gouvernementale est légitime et si le moyen pour l’atteindre est valable. On comprend bien que dans le contexte où le traité se négocie en même temps que celui avec les USA, les passerelles sont spontanément installées ! Ces dispositions sur la protection des investisseurs pourront aussi être utilisées comme un cheval de Troie par les USA. En effet, 81 % des entreprises états-uniennes présentes en Europe possèdent également une filiale au Canada. Elles pourront donc utiliser ce traité et sa « Cour sur l’investissement » pour porter plainte contre les États européens en cas de désaccord, avant même la conclusion du Grand Marché Transatlantique. Et il va de soi que ce modèle puisqu’il aura été accepté avec le Canada, pourrait être recopié tel quel pour rédiger le « compromis final » sur TAFTA avec les Nord-Américains.
La procédure de ratification de cet accord comme son calendrier restent toujours à cette heure dans un flou total ! Tout d’abord, nous ne savons toujours pas si l’accord sera considéré comme mixte par la Commission européenne. Autrement dit : est-ce qu’ils devront aussi être votés dans les parlements nationaux ou pas et pas seulement par l’UE ! Si l’accord est réputé non-mixte, il suffirait d’une approbation à l’unanimité des vingt-huit gouvernements européens réunis en Conseil de l’UE (vers septembre 2016) et d’un vote au Parlement européen (prévu pour décembre 2016). La question est donc : doit-on demander leurs avis aux citoyens ? Même Martin Schulz, président du Parlement européen, le souhaite dans le cadre de l’accord jumeau avec les USA. Du moins c’est ce qu’il a laissé comprendre au micro de France Inter ce lundi en déclarant « On aura besoin de la ratification de 700 parlementaires et de 42 Parlements nationaux (…) ça sera la transparence totale ».
Ce n’est pas simple à suivre j’en conviens. On mesure la culpabilité du service public qui ne fait rien pour informer et permettre de comprendre. Pourtant, il y a urgence. Car même si l’accord est finalement jugé « mixte » et doit entrer de force dans le tunnel du processus des ratifications pays par pays, il reste quand même la possibilité que le CETA entre tout de même en vigueur provisoirement avant même le vote des parlements nationaux. Car les règles européennes autorisent les gouvernements européens à appliquer provisoirement, s’ils le souhaitent, tout ou une partie des accords internationaux avant même leur ratification officielle. Vous n’y croyez pas ? C’est pourtant parfois déjà le cas. Par exemple dans les derniers accords avec la Corée du Sud et le Pérou. L’ONG FoodWatch parle à ce sujet d’une sorte de « coup d’État démocratique ».
La résistance à cet accord est néanmoins bien présente. Des deux cotés de l’Atlantique, syndicats et associations bataillent pour empêcher la conclusion de ce traité. Et les Canadiens ne sont pas en reste dans la contestation. Je rencontrerai à ce sujet, ce vendredi, à Montréal, différentes organisations à la pointe de la lutte : FTQ (Fédération des travailleurs du Québec), CSN (confédération des syndicats nationaux), Attac Québec, CSD (confédération des syndicats démocratiques) et le Réseau Québécois sur l’Intégration Continentale. Enfin, du côté européen, l’espoir est aujourd’hui belge, puisque c’est la Wallonie qui menace de bloquer la conclusion de cet accord. En effet en Belgique, le commerce extérieur relève d’une compétence régionale. Le pays aura donc besoin de l’unanimité des régions pour pouvoir signer le traité. Or, la Wallonie s’y oppose par la voix de son ministre-président wallon, Paul Magnette, qui estime qu’il « manque des garanties ».
La contestation institutionnelle est certes encore un peu timide mais elle s’ajoute aux réticences de la Bulgarie et la Roumanie qui ont, elles aussi, annoncé clairement leur refus d’adopter l’accord en l’état, vu le refus du Canada de supprimer la procédure de visa pour ses ressortissants. Nous sommes donc bien loin de l’unanimité des 28 qui sera nécessaire au Conseil pour faire adopter ce traité. La bataille a donc de l’espoir ! À condition de la mener. On ne peut compter sur l’inconsistant Hollande pour cela. Ni sur la « relève » des « républicains », tout aussi atlantiste et libérale. Tant que nous ne sommes pas nous-mêmes aux commandes, il ne faut compter que sur l’action de la société citoyenne et sociale. Encore faut-il se mettre au travail pour faire connaître les enjeux.