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24.10.2016

Intervention à l’ONU au Conseil des Droits de l’Homme

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Intervention de Jean-Luc Mélenchon au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève le 24 octobre 2016 pour défendre un traité contraignant pour les multinationales en matières sociale et environnementale. Jean-Luc Mélenchon a défendu la reconnaissance du crime écologique et a plaidé pour une capacité citoyenne d’action en justice gratuite contre les multinationales.

Retrouvez les deux intervention de Jean-Luc Mélenchon sur le sujet au Parlement européen les 6 juillet et 23 juillet 2016.

Voici la retranscription de cette intervention (seul le prononcé fait foi) :

Madame la présidente,

Mesdames, messieurs,

Je suis très honoré d’avoir été distingué parmi les nombreux parlementaires qui ont été les soutiens de ce mandat de l’ONU dès la première heure et, depuis lors, sans relâche. Soyez assurés que les travaux qui sont en cours ici sont un point d’appui et un facteur d’espoir. Des milliers de personnes sont attachées au succès de ces travaux.

J’exprime notre gratitude à l’Afrique du Sud et à L’Équateur pour avoir pris l’initiative de ce processus. Et nous savons quels ont été les difficultés pour l’initier. Nous avons regretté, sans en être vraiment surpris, l’attitude agressive et négative des États-Unis d’Amérique dans la circonstance, et je me réjouis que, depuis, l’Union européenne ait finalement renoncé à une attitude de réserve et décidé d’entrer dans les débats que vous présidez, madame.

Il est nécessaire de rappeler ici, à cet instant, toute l’ampleur de ce qui est entrepris par vos travaux.

L’anthropologie nous apprend que les communautés humaines se sont constituées en décidant que des lois s’appliqueraient à leurs populations et aux territoires qu’elles occupent. Ce processus fonde ce que l’on nomme la civilisation humaine, en opposition au règne de la force pure.

Ce processus a conduit ensuite à conclure des traités entre les nations contre le danger de la guerre permanente. Pour finir, l’émergence des sociétés multinationales et transnationales à notre époque a finalement occasionné une régression de civilisation, puisqu’elles et elles seules sont exemptes de tout recours au niveau auquel s’exerce leur pouvoir.

La proposition d’un accord les contraignant à respecter les droits fondamentaux des personnes humaines et de leur écosystème, cela signifie donc vouloir tout simplement civiliser la mondialisation et les conséquences de la globalisation du capitalisme.

Ce serait une tromperie de confondre les sociétés multinationales et transnationales avec les autres entreprises. Une tromperie ou une manoeuvre dilatoire.

Puisque nous sommes en Suisse, je veux citer ici le résultat d’une étude de l’école polytechnique de Zurich. Elle date d’il y a cinq ans, mais nul doute que les conclusions en sont aujourd’hui bien plus dures encore. Elle conclut que 0,7% des entreprises dans le monde contrôlent 80% de la richesse mondiale produite, et que 147 entreprises seulement contrôlent 40% de l’activité mondiale. Elle révèle que les trois quarts de ces 147 entreprises sont des sociétés financières directement liées et alimentées par la sphère financière globale. Leur pouvoir est en proportion de leur chiffre d’affaire, et on ne saurait confondre une multinationale et une transnationale avec l’épicerie ou le garage du coin.

Exxon Mobil a un chiffre d’affaire correspondant à toute la richesse de la Belgique chaque année et vingt fois celle de la Bolivie. Royal Dutch Shell est l’équivalent du produit intérieur brut de la Suède ou de l’Argentine et dix fois celui de l’Uruguay. Toyota a pour chiffre d’affaire l’équivalent du PIB de la Grèce et du PIB du Chili. Total a l’équivalent du produit intérieur brut du Portugal et dix fois celui de la Bolivie. Samsung possède l’équivalent du produit intérieur brut du Qatar et trois fois le produit intérieur brut de votre pays, madame la présidente : L’Équateur.

Ces sociétés ont le pouvoir de défendre leurs intérêts face aux États dans des tribunaux d’arbitrage. Ceux-ci ne relèvent d’aucune législation nationale. Et cela même contre les intérêts les plus élémentaires des populations.

Ainsi quand la société Ethyl condamne le Canada à payer 13 millions de dollars de dédommagement au groupe chimique pour un préjudice économique lié au fait qu’on a ajouté dans ce pays et à cette essence un produit qui encrasse les moteurs et cause des maladies. Ainsi Achméa contre la Slovaquie, qui a obtenu 22 millions d’euros de la Slovaquie, dont le gouvernement était revenu en 2006 sur la politique de privatisation de la santé. Ainsi quand Philipp Morris argue contre l’Uruguay et l’Australie et poursuit les deux pays pour leur législation anti-tabac conforme aux intérêts de la santé publique.

Ce pouvoir qu’ont acquis ces immenses firmes n’est pas seulement de condamner des États à verser des sommes qui, parfois, peuvent les conduire à la ruine, mais de ce seul fait exercent une pression et une menace qui peut conduire ces États et leurs représentations démocratiques à renoncer à proposer des lois si celles-ci le lendemain devaient être poursuivies par ces firmes.

Pendant ce temps, les peuples, les personnes et les nations n’ont aucun recours contre les abus de ces sociétés. Créer un accord contraignant revient donc à rendre possible ce recours en toute circonstance. Le refuser, ce recours, le refuser, cet accord contraignant, c’est accepter que dure l’impunité sur la toute-puissance actuelle.

S’en remettre à la bonne volonté ou au volontariat, c’est faire preuve de naïveté face à la dynamique de la cupidité implacable des motivations de ces sociétés. L’accord doit donc être nécessairement contraignant. Il doit impliquer la responsabilité des multinationales dans toute la chaîne de la production dans le monde, c’est à dire qu’il doit inclure tous les sous-traitants. Il doit inclure également la responsabilité personnelle des dirigeants impliqués dans la prise de décision contre laquelle s’exerce le recours.

Il va de soi, dans ces conditions, qu’on ne saurait admettre que ces entreprises soient inclues dans la définition du cadre en cours de négociation. À partir de là, me dirigeant à ma conclusion, je veux souligner les points qu’il me paraît décisif de fixer pour un cadre contraignant réellement contraignant, c’est à dire solidement ancré dans l’action citoyenne des populations :
– Il est nécessaire d’inclure les obligations de protection et de réparation de l’écosystème global dans les droits fondamentaux qui doivent être respectés. Ce qui veut dire qu’en plus des normes de l’Organisation Internationale du Travail et de celle de l’Organisation Mondiale de la Santé comme références, il faut admettre l’incrimination d’écocide dans l’attente de la création d’un tribunal climatique international selon la proposition de la Bolivie.
– Deuxièmement, il est impératif de garantir la gratuité des actions de justice effectuées dans le cadre de ce nouveau traité contraignant.
– Troisièmement, il est également impératif d’ouvrir la possibilité de l’action à des groupes, des syndicats et des communautés et pas seulement aux États et aux individus.
– Quatrièmement, il faut imaginer que le financement de cette gratuité de l’action de recours soit garantie par une taxation spéciale des entreprises multinationales et transnationales.

Madame la présidente,

Mesdames, messieurs,

Les opinions de nos pays européens sont en alerte face aux risques que leur font courir le libre-échange généralisé. Ces opinions s’opposent déjà fortement à des accords comme celui du type du grand marché transatlantique appelé « TAFTA ». Elles se réjouissent d’avoir obtenu, grâce au courage de la Wallonie et de la Belgique, l’abandon du traité CETA avec le Canada.

Madame, vous rendrez votre rapport de référence en octobre 2017. À cette date, mon pays aura connu une élection générale. Un an plus tard, l’Allemagne en fera de même. Je m’engage pour ma part à faire de votre travail, de celui de votre groupe de travail et du mandat de l’ONU un sujet de nos débats nationaux sur lequel se prononceront nos concitoyens.

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