Tous radioactifs ! Les candidats à la prochaine élection présidentielle ont quelque chose en commun. Leur appétit pour le nucléaire. Avec répétition en boucle des arguments les plus éculés et mille fois démentis. En tous cas en l’espace de quelques semaines, on a assisté au retour du discours selon lequel le nucléaire serait « une énergie nécessaire dans la lutte contre le changement climatique ». C’est la position de tous les principaux candidats à la présidentielle et à la primaire PS : Marine Le Pen, François Fillon, Emmanuel Macron, Manuel Valls, Arnaud Montebourg et même Benoît Hamon qui s’est seulement engagé à « réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique » comme Hollande avant lui. Croire que le nucléaire fait partie de la solution contre le changement climatique est une idée fausse. Le nucléaire n’est pas une aide dans la transition énergétique. Au contraire. Je dis pourquoi.
Madame Le Pen a encore raté une occasion de se taire. Le 2 décembre à Paris, en conclusion du rendez-vous du Front National sur l’écologie, elle a déclaré en fanfaronnant : « Je le dis tout de suite : nous ne comptons pas abandonner le nucléaire, au contraire. Il faut en permanence l’innover et le sécuriser. Abandonner le nucléaire aujourd’hui serait pour la France se tirer une balle dans le pied vu les services que cette énergie nous rend ». Dans son programme le candidat conservateur François Fillon dit la même chose : « le nucléaire, notre filière d’excellence, et les énergies renouvelables sont complémentaires, et qu’il ne faut pas opposer les unes aux autres. Pour ma part, je veux développer toutes les formes d’énergies propres, y compris le nucléaire ». Le « y compris » est une grosse manipulation. Car Fillon propose au passage de prolonger la durée de vie des centrales nucléaires de 40 ans actuellement à 60 ans et de soutenir l’exportation des technologies nucléaires françaises à l’étranger.
Le libéral Emmanuel Macron est aussi un chaud partisan du nucléaire. Il l’a dit dans le Journal du dimanche le 31 juillet dernier, quand il était encore ministre de l’Économie. Pour lui, « Le nucléaire est une industrie de souveraineté qui a fait ses preuves. Le renouvelable est une énergie d’avenir qui reste intermittente. Il faut développer la complémentarité entre ces deux ressources ». Il parlait du nucléaire comme d’une énergie d’après lui « sécurisée, bon marché et décarbonée ». Il soutenait le projet d’export par EDF du réacteur EPR au Royaume-Uni. Un projet qui peut tout simplement tuer EDF. Selon Macron : « Hinkley Point nous permettra de renforcer nos compétences au moment où nous sommes aussi en train de préparer une nouvelle génération d’EPR qui vont servir à renouveler notre propre parc ».
Manuel Valls considère lui aussi que « Évidemment, le nucléaire est une filière d’avenir. Nous avons besoin de nucléaire, même si on réduit, dans la décennie qui vient, sa part. Nous avons besoin de renouveler nos centrales nucléaires, ses différentes filières » comme il l’a dit en 2012 avant d’aller vendre les technologies françaises en 2015 au Japon quatre ans après la catastrophe de Fukushima… Je suis sidéré que Manuel Valls ait si vite changé d’avis dans le mauvais sens sur ce sujet. Pourtant en 2011, dans la campagne de la primaire PS, il avait pris une position courageuse. C’était dans son livre L’énergie du changement, l’abécédaire optimiste. Il se disait favorable à un « débat national » à propos du nucléaire affirmant qu’il devrait « être tranché démocratiquement par référendum » ! Et il écrivait : « Dans ce processus, je défendrai, sans rien cacher des efforts importants que cela induira, une sortie progressive et maîtrisée du nucléaire, car c’est, à terme, l’assurance de ne plus connaître de nouvelle catastrophe, une réelle souveraineté énergétique et, aussi, de nouvelles perspectives de croissance et d’emplois ». Selon lui, la catastrophe de Fukushima avait alors « sonné le glas de nombreuses croyances autour du nucléaire et exige l’avènement d’un nouveau monde énergétique ». Il défendait même « une règle claire : la durée de vie maximale des centrales nucléaires devra être limitée à trente-cinq ans » ce qui aurait dû entrainer la fermeture de 21 des 58 réacteurs d’ici 2017 ! Et Manuel Valls enfonçait le clou considérant que « il faudra stopper tous les nouveaux projets » à l’exception de l’PER de Flamanville déjà lancé et que: « L’Etat devra réorienter massivement l’effort de recherche et de développement dans l’énergie en le focalisant sur le renouvelable ». Il suffit de regarder le bilan de son gouvernement pour mesurer le grand écart entre ses promesses de l’époque et la réalité de son action.
Quant à Arnaud Montebourg, lui aussi défend la poursuite du nucléaire. Il l’a redit sur France2 le 22 septembre dernier. Pour lui le « nucléaire reste un mal nécessaire ». Lui aussi prétend que le nucléaire est une solution alors que « nous avons une urgence écologique, une sorte de compte-à-rebours au-dessus de nos têtes qui est le réchauffement climatique ». Pour lui « la solution elle est dans le mix énergétique. Nous avons besoin des énergies renouvelables mais la priorité c’est de les faire remplacer les énergies fossiles. C’est une raison pour laquelle je me suis permis de dire que [le nucléaire] était une filière qui avait de l’avenir parce que on n’a pas fini avec le travail d’abandon du fossile ». Prenant appui sur le contre-exemple allemand, il a aussi affirmé : « ce qui se passe lorsqu’on arrête le nucléaire, c’est ce qu’il s’est passé par exemple en Allemagne où une dizaine de réacteurs ont été arrêtés, le charbon l’a remplacé ». Comme si c’était la seule voie possible.
Tous ces candidats se trompent. C’est encore Nicolas Hulot qui le dit le mieux. Il l’a clairement fait sur RTL le 29 novembre à propos de François Fillon. Mais sa réponse vaut pour tous. Je commence par le citer pour écarter l’argument de la « souveraineté énergétique » que procurerait le nucléaire. Voici ce que Nicolas Hulot répond : « Gardons à l’esprit que le nucléaire ne nous met pas dans une situation d’indépendance énergétique. Les matériaux fissiles, il faut bien aller les chercher quelque part. Et les pays qui détiennent ces matériaux, on n’est pas garanti sur la durée de pouvoir s’approvisionner comme on le faisait dans le passé ». En effet, l’uranium dont nous avons besoin pour faire fonctionner les centrales provient du Niger et du Kazakhstan. L’approvisionnement nous pousse donc à toutes les compromissions morales avec les agissements des entreprises dans ces pays quand ce n’est pas avec leur gouvernement. Mieux vaut en rire : souvenez-vous de François Hollande déguisé lors de sa visite au Kazakhstan : un peu d’uranium vaut bien une chapka, non ?
Quant au lien entre nucléaire et lutte contre le changement climatique, je donne là encore absolument raison à Nicolas Hulot. Voici ce qu’il en dit « je ne suis pas dogmatique [sur le nucléaire] mais enfin, les faits sont là, notamment sur un plan économique. C’est un mode de production énergétique qui nous emmène dans des dérives financières absolument terrifiantes. Et je pense que la démonstration encore récente des coûts induits des conséquences de Fukushima au Japon devrait nous amener à beaucoup plus de mesure ». La Cour des Comptes a par exemple estimé à 100 milliards d’euros les coûts du projet de grand carénage des réacteurs pour permettre leur durée de vie au-delà des 40 ans et renforcer la sécurité après l’accident japonais. Pour ces prix-là on finance intégralement le basculement sur les énergies renouvelables.
C’est le premier argument pour lequel le nucléaire n’est pas un allié dans la lutte contre le réchauffement climatique. Poursuivre dans le nucléaire absorbera des sommes phénoménales qui manqueront pour financer les autres investissements. C’est d’autant plus vrai que le président de l’Autorité de sûreté nucléaire a récemment affirmé que « la situation du nucléaire en France est très préoccupante ». Cette remarque sur les investissements ne vaut pas seulement pour le maintien des réacteurs actuels. Elle vaut aussi pour les projets de construction de nouvelles centrales. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le gouffre financier qu’est le projet de réacteur EPR à Flamanville dans la Manche. Ses coûts ont été multipliés par trois et dépassent désormais les 10 milliards d’euros alors que le réacteur n’est toujours pas en état de fonctionner avec plusieurs années de retard. Ceux qui prétendent que c’est une « énergie d’avenir » ne sont pas seulement suspects du point de vue de la lutte contre le changement climatique. Ce sont aussi des gaspilleurs d’argent public à grande échelle ! Ceux qui vous promettent le nucléaire et les renouvelables mentent. Notez d’ailleurs qu’ils ne disent pas comment ils comptent faire pour financer les deux à la fois. À part M. Fillon qui lui assume de vouloir « donner la main au marché » et « sortir des objectifs chiffrés » en matière d’énergies renouvelables.
L’autre argument donné par Nicolas Hulot concerne les coûts de l’énergie produite. Lorsqu’on lui fait remarquer que François Fillon dit être pro nucléaire pour sauver le climat, voici ce qu’il répond : « Non. C’est un débat qui a lieu d’être mais on voit bien aujourd’hui que la solution qui est en train de se dessiner ce sont les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et notamment le solaire dont le coût en l’espace de 10 ans a été divisé par quatre. C’est ça l’avenir ». Cela vaut aussi pour l’éolien : les coûts de l’électricité produite sont aujourd’hui très proches de ceux de l’électricité d’origine nucléaire. Et l’effet de ciseau est certain : les coûts du nucléaire augmentent avec les mesures de sécurité et d’entretien ou de renouvellement du parc alors que les coûts des énergies renouvelables baissent sous l’effet des progrès technologiques et des économies d’échelle rendues possibles par leur développement. C’est d’autant plus stupéfiant que les règles applicables aux énergies renouvelables permettent de connaître le coût total, incluant les frais de démantèlement et recyclage en fin de vie, alors qu’on ne sait toujours pas démanteler un réacteur nucléaire ni retraiter de manière définitive les déchets radioactifs. Je crois que cette question est un des enjeux de l’élection présidentielle qui arrive. Qui veut voter pour l’aggravation du danger nucléaire avec des vielles centrales ruineusement recarénées ? Pas moi. Tous les autres si.