salle de classe

Le chaos libéral contre l’enfance

C’était la rentrée scolaire. Un moment de pagaille et d’angoisses emballé dans le papier de soie de la propagande euphorisante du gouvernement. La désorganisation était pourtant là, partout. Tel est le système libéral. Sa religion du moins d’État et du marché partout détruit tout et jusqu’au plus solide de l’indispensable ! La méthode est toujours la même. Des coupes budgétaires désorganisent tout, sciemment. Puis est dénoncée l’inefficacité du service public. Et on peut alors subventionner des services pourtant réputés privés. Ainsi, quelques semaines avant la rentrée, le gouvernement a annoncé un plan de saccage scolaire, invisibilisé dans la « presse » des milliardaires. D’abord une baisse de 81 millions d’euros pour l’Éducation nationale. Puis une coupe de 300 millions d’euros pour les collectivités locales qui financent les bâtiments des écoles et une partie du personnel qui y travaille. Enfin la liquidation des emplois aidés qui permettaient de maintenir à flot le service scolaire.

Tout ça s’est abattu sur un organisme déjà épuisé par des années de destruction méthodiques à la sauce Sarkozy puis Hollande. Signal entre tous, l’homme qui avait supprimé 60 000 postes du temps de Sarkozy est devenu le ministre de l’Éducation nationale.

J’ai eu sous les yeux le résultat de ces saccages. J’en parle pour partir d’une situation concrète. Ici il s’agit de Marseille. Mais je suis bien certain que des situations de ce type s’observent dans tout le pays. À Marseille, les écoles surnageaient tant bien que mal. En s’arcboutant, les personnels ont sauvé l’essentiel du potentiel éducatif. Mais parer au minimum est devenu une activité de plus en plus dévorante. Tout est mis à contribution. Exemple parmi d’autres, en cette rentrée, dans les quartiers nord, faute de moyens suffisants, les équipes pédagogiques étaient forcées de demander aux parents d’amener eux-mêmes certaines fournitures de base comme le papier essuie-tout, les ramettes de papier et ainsi de suite. C’est dans cette ambiance que s’est présentée la décision de dédoublement des classes de CP dans l’éducation prioritaire.

Qui peut être contre ? Mais quand on voit comment la mesure s’applique, on déchante vite. D’abord, elle s’est faite sans aucune augmentation de moyens ou d’effectifs. Vieille technique déprimante du « déshabiller Pierre pour habiller Paul ». Pour mettre en place le dédoublement, le gouvernement a coupé dans un autre programme, le dispositif pourtant essentiel : « davantage de maîtres que de classes ». L’idée de cette politique était la suivante : avoir un enseignant supplémentaire dans une école primaire, pour venir en soutien de ses collègues des différentes classes. La moitié de ces professeurs disparaissent donc en cette rentrée. Par ailleurs, le dédoublement des classes a dû être mis en place dans des délais très courts. Résultat : dans de nombreuses écoles de Marseille, on manquait de locaux à la rentrée pour accueillir les classes supplémentaires. Des élèves ont par conséquent été accueillis dans des salles réquisitionnées. Ces salles c’étaient la bibliothèque, le centre informatique, que sais-je, de ces outils qui font des locaux scolaires des centres de vie intellectuelle et de savoirs partagés ! Là-dedans sont empilés les enfants, parfois sans tables, sans toutes les chaises, tableau et ainsi de suite.

Je ne parle pas de faits marginaux. Cette situation a concerné par exemple 140 élèves dans le 5ème arrondissement de la ville. Dans d’autres établissements, les équipes pédagogiques, anticipant le problème des locaux, ont préféré mettre deux enseignants dans une classe de CP plutôt que de la dédoubler physiquement. Dans ce cas, ils ont le plus souvent passé une partie de leur été à se préparer à enseigner de cette façon nouvelle. Car ce n’est pas une pratique professionnelle pédagogique banale d’enseigner à deux. Mais aucune formation sur le co-enseignement en classe de CP ne leur a été proposée. Et pour cause ! Ajoutons ceci pour faire un point précis. Enseigner à deux peut être parfois une source de créativité pédagogique extraordinaire. Certains enseignants vivent cette situation de façon très positive. Pour autant cela n’est pas toujours possible. Les caractères ne s’accordent pas plus facilement que dans n’importe quelle autre activité de cet ordre. Et comme il n’existe aucune préparation ni protocole établi pour cette pratique, il est clair que la disponibilité et la compatibilité des enseignants est la condition initiale incontournable. Tout le monde n’y est pas prêt.

De plus, réduire les effectifs en classe de CP est vain si la même opération n’est pas faite également dans les plus petites classes. Sachons bien de quoi on parle ici. L’an dernier, dans une école maternelle des quartiers marseillais très populaires de la Belle de Mai et de Félix Piat, une classe de grande section comprenait 27 élèves, dont la moitié ne parlait pas le français. C’est une situation facile à surmonter. À condition d’être équipé pour cela. Mais dans le cas contraire, on devine facilement quel désastre humain et scolaire se prépare là.

Mais à cette rentrée, la source majeure de problèmes rencontrés sur le terrain vient des suppressions de contrats aidés. De nombreuses écoles marseillaises dans les quartiers populaires du centre-ville et du nord ploient sous le coup qu’elles reçoivent. Le rectorat leur annonce que d’ici à mars 2018, plus aucun poste de secrétariat ne sera financé. Ces suppressions de postes ont des effets sur le travail des équipes mais aussi sur les élèves et leur temps de présence à l’école. Exemple : nous voici dans l’école élémentaire Peyssonnel du 3ème arrondissement. Cet école a perdu, entre autres, un poste de secrétaire à la rentrée. Ce n’est pas seulement le système des tâches administratives qui est alors tout de guingois. Ce sont des dizaines d’autres « petites  choses » de la vie quotidienne qui deviennent insolubles et se paralysent. Voyez ici. Il se trouve que c’était la personne chargée, entre bien d’autres choses, d’ouvrir la grille d’entrée pour les élèves en dehors des horaires réguliers. Car bien sûr, plan Vigipirate oblige, les grilles d’entrée sont tout le temps fermées sauf aux horaires d’entrée et sortie collectives. Donc plus personne ne peut accomplir cette tâche pendant la journée désormais. L’école n’ouvre ses grilles qu’à heures fixes le matin, le midi et le soir. Ce qui signifie qu’un élève qui arriverait en retard de trente minutes ou d’une heure perdra automatiquement une demi-journée de classe. Et cela uniquement parce que personne n’est disponible pour lui ouvrir la grille. Ne croyez pas qu’il suffirait d’être ponctuel pour régler cette question. Car on parle ici surtout des élèves pris en charge dans la journée pour des visites et soins médicaux.

Un autre exemple est celui des enseignants remplaçants. Une partie d’entre eux va être réquisitionnée pour assurer des tâches indispensables hier tenues par des emplois aidés. Par exemple ces tâches de secrétariat sans lesquelles l’école ne peut fonctionner. Les syndicats parlent de 100 enseignants ainsi détournés dans le département des Bouches-du-Rhône. Ceux-là ne seront plus disponibles pour autre chose. Et notamment pas pour effectuer des remplacements lorsque qu’un titulaire est absent comme c’est leur mission. Dans les quartiers nord, le lycée Saint-Exupéry perd cette année pas moins de 28 postes, alors même qu’il accueille deux classes supplémentaires. Les syndicats de cet établissement expliquent que le fonctionnement de nombreux secteurs sont touchés : de l’internat à la cuisine, de la maintenance à l’informatique. Les enseignants et personnels de ce lycée ont décidé de se mettre en grève pour protester.

Je multiplie les exemples pour montrer ce qu’est cette pagaille libérale dont je dénonce la contamination dans tous les secteurs de la société. Dans ce chaos montant, le gouvernement recule ici, là, en désordre avec des mesures mal ficelées, qui aggravent tout. Voyez le cas des Auxiliaires de Vie Scolaire (AVS), qui accompagnent les élèves en difficulté et en situation de handicap. Le gouvernement est mal à l’aise devant les dégâts qu’il occasionne. Il est sous la pression du dégoût de tous ceux qui voient les enfants les plus en difficulté souffrir de ces cruautés technocratiques. Un correctif a été annoncé. Il affirme à présent vouloir « professionnaliser » ces personnels. Pourquoi pas. Mais pour le moment, aucun contenu ni formation n’est annoncé pour donner un sens à cette formule. Et du point de vue du statut des personnels concernés c’est la pure carabistouille. Il s’agit de transformer leurs contrats aidés en CDD successifs. Quelle trouvaille ! Oui mais nous dit-on ils pourront déboucher sur un CDI. Ne pavoisons pas ! Cette promotion n’aura lieu qu’au bout de six ans. Absurde ! Pourquoi ces six ans d’attente ? Et ce n’est pas tout. Au passage, le salaire de ces AVS descendrait au niveau du Smic alors qu’il est actuellement légèrement supérieur. Etant donné que ces contrats sont à temps partiel, ils gagneront à peine plus de 600 euros par mois, soit 80 euros de moins qu’aujourd’hui.

Voilà comment le gouvernement prétend régler la précarité et faire face à la suppression des emplois aidés d’aide de vie scolaire. J’avoue que j’étais consterné en entendant tout cela assis au milieu des équipes pédagogiques qui avaient accepté de me recevoir. L’infini patience du peuple éclatait sous mes yeux. Les femmes qui me racontaient leur vie d’emploi aidés en assistance de vie scolaire « bénéficiaient » de contrats de… six mois reconductibles. La vie de six mois en six mois ! Et maintenant c’est fini, d’un coup, sans recours, sans solution, ni pour elles, ni pour leur famille ni pour les enfants en situation de handicap psychique ou moteur ni pour les familles de ceux-ci. Tel est le monde de Macron.

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