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Les frontières de la démocratie

Avec la proclamation unilatérale d’indépendance de ses dirigeants régionaux, la Catalogne place l’État espagnol dans une situation de crise historique. Le blocage politique actuel et la mobilisation massive des partisans comme des adversaires de l’indépendance crée une situation très dangereuse aux frontières immédiates de notre pays.

Car si les voies institutionnelles de règlement de cette crise venaient à être épuisées comme on peut désormais le craindre sérieusement, l’État espagnol risque de faire ce que tout État menacé directement dans son intégrité territoriale fait habituellement : recourir à la force. Cette hypothèse, et la guerre civile qui risquerait d’en résulter, n’a rien de théorique dans l’Europe contemporaine. La Yougoslavie a montré il y a à peine vingt ans que des proclamations unilatérales d’indépendance, celles de la Croatie et de la Slovénie le 25 juin 1991, pouvaient conduire à une guerre de 10 ans (1991-2001) se soldant par 150 000 morts.

Certes nous n’en sommes pas encore là en Espagne. D’abord parce que le conflit catalan n’a pas pour l’instant été contaminé géopolitiquement par le jeu des puissances. En 1991, c’est la reconnaissance rapide des indépendances slovènes et croates par l’Allemagne qui a envenimé la crise yougoslave en l’enfonçant dans une guerre d’autant plus insoluble que toutes les puissances du continent, et même au-delà avec l’OTAN, s’en sont mêlées. Or, à ce jour, aucun État n’a reconnu l’indépendance de la Catalogne, et aucune puissance européenne ne semble tentée de le faire. L’issue du conflit catalan ne concerne pourtant pas que les Espagnols puisqu’elle pourrait précipiter des crises indépendantistes dans d’autres États où elles couvent, notamment au Royaume-Uni et en Belgique.

Comme en Yougoslavie, les causes profondes de l’éclatement de la crise catalane ne sont pas fondamentalement culturelles. Elles touchent aux bases politiques du consentement à l’autorité. Derrière des oripeaux particularistes, cette crise est en effet un des symptômes singuliers de la crise démocratique qui tourmente l’Espagne depuis des décennies. Avec une constitution héritée du franquisme, le régime de Madrid n’a pas été construit par la souveraineté populaire. Faute de consentement civique initial, la monarchie espagnole jouit ainsi d’une légitimité fragile qui l’expose plus qu’un autre régime aux vents régionalistes. Les aspirations écologiques et sociales qu’ont souvent portées les électeurs de Catalogne ont ainsi régulièrement été étouffées par des institutions que les Espagnols subissent dans leur majorité, à défaut de les avoir choisies un jour. La seule manière vraiment démocratique de surmonter le blocage actuel serait ainsi que l’Espagne ouvre un processus constituant, dont la question régionale ne serait qu’un enjeu parmi d’autres. Et qui profiterait à tout le peuple espagnol, dont les citoyen.ne.s retrouveraient ainsi un ferment positif d’unité.

Laurent Maffeïs

 

Retrouvez cet édito sur «L’Heure du Peuple»

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