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La loi qui barricade l’université

Comme d’habitude dans la novlangue des pouvoirs libéraux, l’intitulé du projet de loi est l’exact contraire de ce qu’il prétend contenir. Celui-ci s’appelle donc « projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants ». C’est d’une loi contre la liberté de choisir ses études et pour empêcher l’accès a l’université dont il est question en réalité. Le point de départ est évidemment lié à l’actualité à laquelle la loi prétend répondre. Mais on aurait tort de croire que ce sera une loi faite sous le coup de l’émotion. Au contraire, elle contient une vision de l’université en gestation depuis déjà longtemps et dont la mise en œuvre est le fil rouge des réformes dans le secteur depuis au moins trente ans. Un projet qui avance par petits ou grands bonds successifs sans interruption depuis la loi Devaquet en 1986. À présent, le point de départ est l’indescriptible pagaille déclenchée par la procédure actuelle d’admission à l’université. Elle-même est bien sûr avant toute chose le résultat d’une imprévision délibérée à propos de l’évolution des effectifs ayant vocation à entrer en fac une fois passé le bac.

Donc, la loi se propose de faire cesser l’inepte plateforme « Admission Post-Bac (APB) » et l’insupportable tirage au sort dans les filières où trop de monde veut aller compte  tenu du nombre insuffisant de places pour accueillir les jeunes. Qui va regretter le tirage au sort ? Personne, c’est certain. Mais la nouvelle méthode propose un changement radical. C’est la fin de la liberté d’inscription en fac pour tous les bacheliers. Le bac n’est plus le premier grade universitaire. Il n’ouvre plus automatiquement la porte de l’université. Une sélection à l’entrée de la fac est créé à l’article premier. Le projet de loi étend la mise en place de quotas de réservation aux meilleurs élèves à l’ensemble des formations et non plus seulement aux formations sélectives (article 2). Il abolit le régime spécial de sécurité sociale des étudiants. Il les rattache au régime général de sécurité sociale (article 3). Il met en place une contribution sociale étudiante annuelle pour financer notamment la prévention (article 4). Enfin, il instaure la possibilité d’une « année sabbatique estudiantine ». On est donc incité à cesser les études. Bien sûr, cela se fait sans toucher de bourses. Il s’agirait de s’en aller de la fac pour mener à bien un projet professionnel ou personnel (article 5).

Voyons à présent le détail. À l’article 1 est organisée une sélection qui ne dit pas son nom pour l’accès en licence. Deux phrases fondamentales sont rayée du code de l’éducation. Les voici: « Tout candidat est libre de s’inscrire dans l’établissement de son choix » et « les dispositions relatives à la répartition entre les établissements et les formations excluent toute sélection. ». On sait donc ce qui est supprimé : la liberté de choisir ses études. Et ce qui est créé : un droit pour l’autorité de répartir les étudiants en les sélectionnant par les moyens qu’elle voudra. D’ailleurs, tous les établissements de premier cycle (licence) doivent mettre en place des « dispositifs d’accompagnement » et des « parcours personnalisés ». Fin de la liberté individuelle en matière d’études. Cela signifie que l’autorité change les conditions d’inscription. Celle-ci n’est plus ni un droit automatique ni libre.

Pour cela, l’inscription se fera par une procédure nationale de préinscription. Cela s’appelle « ParcoursSup ». Cela remplace le cirque de APB. Mais ça institutionnalise que la liberté d’inscription est morte. Après quoi l’établissement peut conditionner l’inscription du bachelier au suivi d’un parcours de remise à niveau à travers des enseignements ou une année supplémentaires. C’est-à-dire autant de dépenses supplémentaires pour un jeune bachelier. Pensons que le coût moyen pour une année est de 10 000 €  pour un jeune. Inutile de souligner que cela crée aussi des inégalités parmi les titulaires d’un même diplôme entre une licence en 3 ou 4 ans.

Le critère de proximité géographique pour s’inscrire dans une fac plutôt que dans une autre est supprimé. Aucune garantie n’existe plus pour personne concernant la localisation de ses études ou la filière qui lui est ouverte. À partir de cette disposition, le reste de l’opération s’enclenche. Les capacités d’accueil sont fixées par l’autorité académique. Lorsque le nombre de candidatures excède les capacités d’accueil, le président d’université a les mains libres pour sélectionner les étudiants dont il accepte l’inscription. De son côté l’autorité académique peut fixer un pourcentage minimal de boursiers acceptés et un pourcentage maximal de bacheliers issus d’autres académies.

Que deviennent ceux qui n’ont été acceptés nulle part ? Le recteur propose une formation à ces bacheliers. Le recteur ! Sur quelles bases, d’après quels critères ? Le recteur tout seul dans son bureau ? Non bien sûr. Ce serait impossible. Donc ce sera une commission qui le fera. On se pince ! L’argument massue du gouvernement est que ce système permet de mettre fin à l’odieux système du tirage au sort. Mais il s’agit bien d’une méthode de sélection en profondeur qui modifie complétement les conditions d’accès a l’université, la nature du baccalauréat et le sens de la liberté individuelle pour construire sa vie.

En résumé, soit le candidat est accepté (« oui ») ; soit pour être accepté il doit suivre un parcours de formation (« oui, si ») ; soit pour les filières « en tension », le président de l’Université peut évaluer les acquis de l’étudiant, refuser l’inscription (le « non » qui ne dit pas son nom) et lui en imposer une à prendre ou à laisser (le oui sans choix).

À présent, voyons ce que nous savons de ce « ParcoursSup » qui est censé organiser en amont le parcours du jeune. Il sera mis en place dès le 15 janvier 2018. Le lycéen fera 10 vœux (au lieu de 24). Il ne les classe plus lui-même et il ne les situe plus puisque le critère géographique est supprimé. Des « attendus pour réussir » sont définis dans un cadre national. Mais ils sont également « adaptés » par chaque établissement. Au lycée, le conseil de classe émet un avis sur l’élève au second trimestre. Deux professeurs principaux auront pour rôle de guider les élèves dans leur orientation. L’élève reçoit les réponses au mois de mai pour l’ensemble de ses vœux. Il aura un temps limité pour répondre afin de permettre de connaître le plus vite possible le nombre de place disponible réellement dans les divers établissement et branches.

Naturellement, le groupe « La France insoumise » va voter contre ce modèle d’accès sélectif à l’entrée de l’université. Nous allons amender article par article. D’abord, dans la logique de notre refus, nous proposerons l’annulation de chaque article. Puis nous attaquerons chacune des dispositions qui construisent le nouveau modèle. Par exemple nous proposerons de rendre non obligatoire l’accompagnement pédagogique et le parcours de formation personnalisé qui servent de prétexte à l’orientation forcée. Et nous demanderons que soit précisé que le parcours de formation personnalisé ne peut entraîner une année de formation supplémentaire. Et surtout que soit rendue obligatoire la proposition par le recteur d’une formation dans une filière conforme aux choix du bachelier dont tous les vœux ont été rejetés et cela dans l’académie dont il est issu.

Mais par contre, nous proposerons de créer un accompagnement pédagogique pour les étudiants issus de certaines filières comme celles de l’enseignement professionnel où certaines techniques propres à l’enseignement supérieur ne sont pas enseignée dans le secondaire. Par exemple la prise de notes.

Je n’entre pas ici dans le détail de chacun des cinq articles de la loi. Notre ligne est le refus de la logique qui l’anime dans un projet global dont on voit l’objectif. C’est la construction d’un marché de l’éducation. Celui-ci est déjà largement préfiguré à travers la concurrence entre les établissement dans l’enseignement supérieur et la « gouvernance » autonome de celles-ci. À présent, en sélectionnant à l’entrée de l’université, on passe de la gestion des moyens disponibles à celle du public pris en charge. Ce n’est pas seulement une question de régulation des flux pour éviter la trombose de APB. C’est un processus de choix du public accueilli. Le recrutement dans les établissements va donc dépendre de nombreux critères dont les établissements ne pourront ignorer qu’ils serviront à évaluer leur performance et donc le niveau des tarifs d’inscription qu’ils pourront réclamer.

Mais pour que le système soit complet, il faut évidemment que l’articulation se fasse avec le parcours dans l’enseignement secondaire. L’instauration d’un bac différent d’un lycée à l’autre du fait du contrôle continu va dans ce sens une nouvelle fois de la concurrence des établissements par le classement sur la base des résultats. Du coup, celui-ci devra lui aussi organiser les conditions d’accès en son sein. On doit s’attendre pour finir a l’instauration d’un cliquet d’admission dans la suite du parcours au-delà de la scolarité obligatoire à 16 ans, au niveau de la classe de troisième et de la fin du parcours en collège. Ce plan avance à grand bonds depuis la loi Sarkozy sur l’université votée quasi dès son élection. Le choix tactique a été de changer « la gouvernance » des établissements devenus largement autonomes. Le raisonnement est que l’aval commande l’amont dans une filière. Et c’est cette contagion de la méthode libérale dans la gestion de l’éducation dont nous sommes témoins depuis lors. Et cette loi prépare une déflagration d’inégalités dont l’onde de choc va se propager dans l’enseignement secondaire et jusqu’au collège.

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