Déclararion de Dietmar Bartsch, Jean-Luc Mélenchon et Sahra Wagenknecht sur les 55 ans du traité de l’Elysée – Texte commun de La France insoumise et de Die Linke
Français et Allemands, nous apprécions positivement tout ce que la coopération entre nos deux pays a offert à l’histoire de l’Europe après la seconde guerre mondiale. Cinquante-cinq ans après la signature du Traité de l’Élysée, cette coopération entre nos deux pays doit être renouvelée pour faire face aux nouveaux défis de notre temps. Mais pour autant, nous n’acceptons pas que cela serve de prétexte à l’instauration d’un directoire de nos deux pays décidant pour les 26 autres États membres de l’Union européenne. Nous ne pouvons accepter une coopération franco-allemande qui repose sur la mise à l’écart des autres pays et qui se donne pour objectif de dominer le reste de l’Europe. Selon nous, aucune Europe n’est possible ni souhaitable si toutes les nations n’y sont pas à égalité.
Il faut agir, il est vrai. Car un demi-siècle après la terrible période de la deuxième guerre mondiale, la coopération franco-allemande et le modèle d’intégration européenne traversent une crise grave : la dévaluation interne allemande permanente au sein de l’euro à travers des réformes du marché du travail hostiles aux travailleurs, a approfondi la fracture sociale en Allemagne et sapé la prospérité en Europe. Depuis l’introduction de l’euro, des membres fondateurs de l’Union européenne tels que la France et l’Italie ont vu leur industrie perdre 25 pour cent de sa richesse. Après la crise financière, l’Europe du Sud a subi un putsch antidémocratique, piloté par le gouvernement allemand et l’oligarchie financière, qui a conduit à la réduction des salaires, des retraites, de l’État social et des investissements publics, à la privatisation de la propriété publique et, pour les parlements, à la dépossession de leurs pouvoirs. Le chômage des jeunes a augmenté de façon dramatique et il a créé en Europe une génération perdue, qui a dû prendre contre son gré le chemin de l’émigration.
Le marché intérieur européen a été mis au service des banques et des grandes entreprises par le biais des traités européens et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne au détriment des réglementations nationales en matière de salaires, de droits sociaux et de normes environnementales. Ce modèle est de plus en plus étendu à l’échelle mondiale au moyen d’accords de protection du commerce et des investissements tels que le CETA, le TISA ou le JEFTA et d’une « justice » privée parallèle, les tribunaux d’arbitrage sous la coupe des grandes entreprises.
Les gouvernements allemand et français veulent profiter de la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne pour renforcer le complexe militaro-industriel par un réarmement permanent et pour étendre leur influence en Afrique, au Proche-Orient et en Europe orientale. Mais les guerres engendrées par les changements de régime, les guerres pour le pétrole et le gaz, l’absurde encerclement de la Russie et la dévastation économique qu’a entraîné notre politique commerciale et de voisinage ont produit la désintégration des États, facilité le recrutement du terrorisme et provoqué des vagues massives d’exil.
La chancelière fédérale Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron veulent consolider l’Europe des banques et des grands groupes, qui a favorisé l’essor des forces réactionnaires de chaque côté du Rhin. Le nouveau pacte franco-allemand pour la zone euro ordonne toujours plus de réformes structurelles, la réduction permanente des salaires, des retraites et des investissements publics, un « Agenda 2010 » à la française, au lieu du renforcement de l’économie intérieure et de la suppression de l’excédent commercial allemand. Les parlements nationaux doivent en outre être privés de leurs pouvoirs dans le domaine des traités commerciaux internationaux. Le pacte franco-allemand pour l’Union de la défense promet le réarmement au lieu du désarmement, la confrontation militaire avec la Russie, l’affaiblissement des parlements dans le contrôle de l’armée et l’exception aux règles du pacte budgétaire pour les investissements militaires.
Nous sommes unis par un désir d’une coopération toujours plus étroite entre Allemands et Français, fondée sur la liberté, l’égalité et la fraternité. Nous voulons une Allemagne européenne, et non une Europe allemande. Nous nous engageons donc – que ce soit au gouvernement ou dans l’opposition – à promouvoir les initiatives de collaboration pour le progrès et de bon voisinage entre l’Allemagne et la France. Pour nous, les bases d’un nouveau Traité de coopération franco-allemand seraient les suivantes :
- L’Allemagne doit, conformément à la loi relative à la promotion de la stabilité de 1967, s’engager dans le cadre de l’Union européenne en faveur d’un commerce extérieur équilibré, pour le bien des travailleurs en Allemagne et de ses partenaires européens, et elle doit soutenir les salaires et les investissements publics. Les excédents commerciaux chroniques de l’Allemagne ou de la France devraient être sanctionnés par un dépôt ne portant pas d’intérêt, à reverser à la Banque européenne d’Investissement pour abonder des crédits d’investissements publics.
- L’Allemagne et la France devraient prendre l’initiative d’une conférence européenne sur la dette et prélever un impôt sur la fortune auprès des millionnaires, suivant l’exemple de la péréquation des charges opérée en Allemagne après la Deuxième Guerre mondiale. Le pacte budgétaire doit être suspendu et, en attendant une modification des traités européens, les investissements publics doivent être exclus des critères de Maastricht en matière de déficit.
- La Banque centrale européenne et/ou la Bundesbank et la Banque de France devraient financer des investissements stratégiques communs à concurrence de deux pour cent du produit intérieur brut – par exemple dans la recherche, l’éducation, la lutte contre le changement climatique et contre le chômage des jeunes. À cette fin, et en attendant une nécessaire modification des traités européens et des statuts de la BCE, les banques de développement de l’Allemagne et de la France pourraient émettre des emprunts communs, qui seraient achetés par la BCE ou les banques centrales.
- L’Allemagne et la France devraient ancrer dans une déclaration le principe du salaire égal pour un travail égal et la primauté des normes salariales, sociales et environnementales nationales face aux libertés du marché intérieur et à la jurisprudence de la Cour de justice européenne. Cela suppose notamment de cesser d’appliquer dans les deux Etats la directive sur les travailleurs détachés. Le salaire minimum en Allemagne et en France doit être harmonisé à moyenne échéance pour atteindre 60 pour cent du salaire moyen national.
- L’Allemagne et la France doivent agir pour l’instauration d’une clause de non-régression des droits sociaux et environnementaux dans le cadre de nouveaux traités européens.
- L’Allemagne et la France doivent s’accorder sur le taux plancher d’imposition sur les bénéfices des entreprises et prélèvent un impôt à la source sur tous les versements internes aux grands groupes, tels que dividendes, intérêts ou droits de licence, qui sont taxés à des taux réduits dans des paradis fiscaux, proches ou éloignés. Ensemble nos deux pays doivent mettre un taux de TVA réduit commun sur les biens de première nécessité.
- L’Allemagne est la France doivent mettre en œuvre des actions conjointes y compris coercitives contre les paradis fiscaux, même s’ils sont des Etats membres de l’Union européenne
- L’Allemagne et la France refusent tout nouvel accord commercial et d’investissement si celui-ci conduit à la privatisation et la libéralisation des services publics et municipaux, à l’affaiblissement des salaires, de l’État social, de l’environnement et de la protection des consommateurs. Nous excluons toute justice spéciale réservée aux grandes entreprises.
- L’Allemagne et la France se fixent des objectifs mutuels en matière de désarmement, s’engagent pour un arrêt immédiat des exportations d’armes vers les zones de crise et pour le renforcement du dialogue sur la sécurité avec la Russie dans le cadre de l’OSCE.
- À l’instar du conseil des ministres franco-allemand, les parlements d’Allemagne et de France doivent échanger régulièrement au sein d’une commission commune, et les chanceliers allemands et présidents français doivent présenter une déclaration gouvernementale sur les sommets franco-allemands.
- Nous nous engageons à augmenter de manière significative les moyens en faveur des échanges entre jeunes français et allemands, du développement des cours de langue allemande ou française dans nos systèmes scolaires, des initiatives culturelles franco-allemandes et de la chaîne de télévision ARTE. Les jeunes domiciliés en Allemagne ou en France devraient pouvoir bénéficier, à leur majorité, d’une année de transport en train gratuit dans l’autre pays.
- La France et l’Allemagne s’engagent à coopérer pour la sortie conjointe et coopérative de l’énergie nucléaire et des énergies fossiles. L’industrie nucléaire française doit cesser de menacer l’Europe, et les mines de lignite allemandes doivent cesser d’empoisonner l’Europe. Nous souhaitons la coopération la plus renforcée pour atteindre l’objectif de 100% d’énergies renouvelables.
- La France et l’Allemagne s’engagent à respecter le droit d’asile et à le faire respecter dans l’Union européenne. Les deux pays s’engagent à agir sur les causes de migrations forcées, qui provoquent la misère, l’exploitation et la mort. A cette fin, ils rejettent les accords de libre-échange entre l’Union européenne et les pays tiers, réitèrent l’urgence d’une action pour contrer le changement climatique, et condamnent les opérations de déstabilisation militaire, qui sont à la source des migrations de masse. Ils appellent à une conférence annuelle des migrations sous égide de l’ONU.
- La France et l’Allemagne devraient mettre au point ensemble un plan de sortie des pesticides dans le domaine agricole, définir des normes rigoureuses contre la souffrance animale et les élevages intensifs indignes, prononcer un moratoire sur l’extractivisme dans leurs pays respectifs et agir pour éradiquer l’obsolescence programmée
- Les deux parties s’engagent à soutenir à l’ONU un tribunal international de justice économique pour juger les crimes financiers transnationaux (fraude fiscale internationale, spéculation, corruption) et un tribunal international de justice environnementale
- Dans cet esprit, nous souhaitons l’adoption de nouveaux traités européens, soumis à référendum dans tous les États membres de l’Union européenne, et nous voulons avant cela mettre en œuvre les initiatives ci-dessus par la voie du travail commun franco-allemand et de la coopération renforcée.