Lundi dernier, les lycéens ont découvert la plateforme « Parcours Sup », destinée à mettre en place la sélection à l’entrée à l’Université. Désormais, tout le monde a compris de quoi il s’agissait. Le gouvernement a décidé de mettre en place un numerus clausus à l’entrée des études supérieures. Il prétend que c’est la bonne réponse à la pagaille organisée du tirage au sort pour l’entrée en fac plutôt que d’adapter les moyens d’accueil des universités à la croissance démographique de la population. 153 000 étudiants supplémentaires depuis 2010, 45 000 attendus à la rentrée de 2018 et 200 000 d’ici 2024. Ce qui devrait être un atout formidable pour le pays se transforme en un inconvénient que doivent gérer ceux-là même qui ont organisé cette pénurie de places et de professeurs.
Car l’embouteillage ne tombe pas du ciel. En effet, parallèlement à la poussée démographique, la dépense publique rapportée au nombre d’étudiants n’a cessé de baisser : 10% en moins en dix ans. Le chaos a donc été délibérément organisé. Les annonces budgétaires du gouvernement pour le quinquennat à venir prolongeront cette trajectoire de désinvestissement de l’État dans la formation de la jeunesse. La sélection à l’entrée des facs est donc le moyen de respecter des objectifs budgétaires. Et c’est le moyen de faire naître un tout autre système éducatif dans le supérieur.
Dans cette affaire, l’exécutif ne s’embarrasse pas des règles de la vie démocratique normale du pays. Les procédures pour sélectionner les bacheliers se mettent en place avant même que la loi ne soit adoptée par le Parlement. En effet, pour l’instant le projet n’est passé qu’une seule fois à l’Assemblée nationale. Il faudra attendre le 7 février pour qu’il soit examiné par le Sénat. Puis une commission mixte paritaire tentera d’harmoniser les versions du texte votées par l’Assemblée et le Sénat avant de le renvoyer devant l’Assemblée. Le calendrier parlementaire va croiser celui des mobilisations. Car l’objectif du pouvoir de faire vite pour éviter une réaction des communautés universitaire et lycéenne pourrait échouer.
Le travail effectué par les députés insoumis lors du premier passage à l’Assemblée puis la campagne menée par le mouvement sur le terrain à la suite des organisations syndicales lycéennes notamment porte ses fruits : une prise de conscience commence. Depuis le début de l’année, des départements d’universités, leurs conseils d’administration ont voté des motions hostiles à la réforme. C’est le cas à l’université de Perpignan, à Montpellier 3, l’université Aix-Marseille, à Bordeaux, à Saint-Etienne, à Lille, à l’université de Bourgogne, à Lyon 3, à Nanterre, à Saint-Denis, à Créteil, à la Sorbonne. Au début de la semaine dernière, plusieurs lycées ont été bloqués à Dax, Miramas, Caen, Auxerre ou Marseille. Les étudiants à Lille ou Paris-1 ont quant à eux manifesté lors de la tenue des conseils d’administration de leurs établissements. Afin de faire converger et grandir ces mobilisations pour le moment éparses, une date de mobilisation nationale a été fixée : le 1er février.
La précipitation avec laquelle le gouvernement agit aggrave les conditions d’application de sa propre loi de sélection. Il demande à des universités exsangues de mettre en place les procédures pour examiner des milliers de vœux, sans aucun moyen supplémentaire. En tout, c’est 8 millions de dossiers qu’elles recevront – chacun des 800 000 bacheliers formulera 10 vœux. Chaque dossier contiendra les bulletins de notes, une lettre de motivation et l’avis du conseil de classe. Il faudra pour les universités les lire et les trier. Pour beaucoup, elles n’en ont pas les moyens. Depuis la loi sur l’autonomie de Sarkozy, elles sont financièrement prises à la gorge. Résultat : 10 000 enseignants de moins aujourd’hui qu’en 2010 et un salarié sur deux est en statut précaire.
Dans ces conditions, les critères de tri seront les plus simples et les plus rapides. Il est probable que les effets de réputation des lycées d’origine jouent un rôle important. Cela conduira à un tri social : les bacheliers favorisés partiront avec un avantage supplémentaire du fait que leurs lycées ont bonne réputation. La réforme du baccalauréat qui sera bientôt ouverte aggravera ce phénomène. Car il faudra avoir le bac du bon lycée dans la mesure où le contrôle continu qui va remplacer l’examen sur table n’offrira plus aucune des garanties du précédent.
Par ailleurs, le cadrage national des « attendus » par les facs sur lesquels doit se baser la sélection pour être accepté dans un de ses vœux d’affectation a lui aussi été établi dans la précipitation. Résultat : les attendus nationaux transmis aux lycées sont parfois très larges et vagues. Les universités sont invitées à les préciser localement. Il y aura donc des critères de sélection différents selon les établissements. Et donc une concurrence aggravée entre les universités. À terme, un même diplôme aura une valeur différente selon qu’il est délivré par une université ou une autre. Les universités à la meilleure réputation sélectionneront les lycéens venant des lycées à la meilleure réputation.
Le gouvernement installe donc un système qui amplifiera les inégalités entre ceux qui sont bien nés et bien logés et les autres. Les diplômes n’auront plus de valeur nationale, une « valeur » que des classements de toutes sortes viendront évaluer puisque chaque établissement aura sa mixture de bac. La conséquence ce n’est pas seulement sociale pour les personnes concernées et triées d’après des critères aussi discriminant.
Il y a plus grave encore. C’est évidemment au point d’arrivée que se noue l’enjeu. De tels diplômes à la valeur différente d’un établissement à l’autre ne pourront plus servir de base pour établir des droits collectifs comme des minima salariaux des conventions collectives comme c’est le cas actuellement. Le modèle de l’université libérale, sélective et concurrentielle est donc aussi une attaque au long court contre les droits sociaux. Une mise en cause radicale du système de l’école républicaine qui était inscrit dans une dimension plus ample ou diplôme, évaluation de la qualification et rémunération minimum négociée tenaient d’un seul tenant.