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Je ne veux plus l’oublier : les amérindiens de France

Dans le temps où j’ai fait campagne en Guyane, je suis allé à la rencontre de plusieurs chefs coutumiers amérindiens. Et parmi eux la seule cheffe coutumière de Guyane. Ma stupeur d’abord ce fut le sentiment d’abandon total qui les désespèrent. Une vieille dame me dit « vous êtes le premier “blanc” officiel qui vient ici ». Quoique je ne me définisse pas moi-même comme « blanc » j’ai compris ce que cette dame a voulu me dire. De son côté, la cheffe ensuite me décrivit avec amertume les difficultés avec les jeunes. Elles sont parvenues au point où une vague de suicides parmi eux se note. Elle est même étendue dorénavant aux territoires de la côte où elle ne s’observait pas jusqu’à présent. Et fait l’objet de la sidération que l’on devine. Il y a eu un rapport sénatorial sur le sujet en 2015. C’est un souci obsédant des parentèles dans les nations amérindiennes. On dit « nations » parce que c’est ainsi qu’eux-mêmes se nomment. Chacune des nations a sa langue et son aire langagière.

Il y a six nations amérindiennes en Guyane française : Kalina’a, la plus nombreuses avec 4000 individus, Palikurs, Wayanas, Wayampis, Arawak, Tékos. Les villageois élisent leurs chefs coutumiers, un par village. Ces chefferies suivent des lignées familiales quoique cela ne s’impose ni au village ni aux individus de la lignée qui peuvent choisir de ne pas vouloir se proposer pour chef. Ici, mon propos se limite aux amérindiens. Mais il y a aussi six nations dites « Bushinengués » : Aluku, Djuka, Saramaka, Paramaka, Matawai, Kwinti. Il s’agit des descendant des esclaves en fuite. Ceux-là s’étaient constitués en village libre dans la forêt. Cette histoire admirable est une occasion de plus de se souvenir que l’histoire de l’esclavage est aussi celle de la révolte permanente des esclaves contre leur condition. Ici elle aura conduit plusieurs groupes humains à se libérer dès le XVII siècle et à s’installer sous la protection de la forêt où ils ont créé leur propre culture, en contact étroit avec les amérindiens.

Sans entrer dans le récit d’une histoire que je suis loin de maitriser à cette heure, je donne cependant des informations à mes lecteurs sur la situation actuelle. En février 2018, un « Grand Conseil Coutumier » a été mis en place en application d’un article de la loi égalité réelle outre-mer (EROM) de 2017. Cette création était une des préconisations défendues par le rapport parlementaire de 2015 contre le suicide des jeunes amérindiens en Guyane. Elle vient remplacer le Conseil consultatif des populations amérindiennes et Bushinengués. Cependant, il reste tout aussi consultatif que le précédent et on devine qu’il n’est pas si simple de faire autrement. Ce Grand Conseil Coutumier est constitué de six chefs coutumiers amérindiens et de six chefs coutumiers Bushinengués appelés « capitaines », puis deux représentants des associations amérindiennes, et deux représentants des associations Bushinengués. Enfin deux experts nommés par l’État.

Les associations représentatives des peuples amérindiens de la Guyane cherchent à obtenir du gouvernement français la reconnaissance de leurs identités comme « peuples distincts ». C’est une question lourde d’enjeux. Car la difficulté que l’on imagine est de trouver le moyen d’articuler la loi et les droits personnels, inaliénables, contenus dans nos législations, avec l’exercice du droit coutumier qui procède tout au contraire de logiques diamétralement inverse où le droit traditionnel du collectif s’impose à celui de l’individu. Pourtant, nous n’avons pas d’autres choix que d’ouvrir un chemin commun où nos droits respectifs seraient respectés.

La République peut reconnaître la pluralité des peuples sur son territoire dans certaines circonstances à vrai dire exceptionnelles. C’est ce qui a été reconnu avec les accords de Nouméa sur la Nouvelle-Calédonie. En reconnaissant le fait colonial, notre pays a rompu un mythe dans ce cas. Mais s’agissant des droits individuels, la synthèse est impossible. La République reconnaît des droits de l’homme « inaliénables ». Cela ne se marchandera jamais. Supposer que les amérindiens ou qui que ce soit puisse en être dispensé serait affirmer un mépris de leur condition humaine par laquelle tous nous sommes « semblables », et dès lors, égaux en droits. Il faut donc prendre la question par un autre bout, déconstruire les points de vue pour les transposer sur le terrain du concret, de ses demandes. En prenant par cette entrée, on peut découvrir d’amples convergences d’objectifs.

Prenons un exemple : le foncier. Depuis quelques années, les peuples amérindiens de la Guyane cherchent à obtenir du gouvernement français des « droits territoriaux ». La France ne reconnaissant pas de droits territoriaux collectifs, les territoires amérindiens ont été classés comme domaines privés appartenant à l’État (ou propriétés dites domiennes [DOM]). Ainsi, des zones de droit d’usage existent aux abords des villages dont les villageois peuvent tirer leur subsistance. L’État a toujours un droit de regard. Les constructions ne sont pas autorisées, la chasse et la pêche y sont autorisées mais dans le strict respect des règles en vigueur sur les berges de l’Oise comme sur celles du Maroni. On devine facilement que ce n’est pas le plus simple. Car la législation sur les espèces protégées entraîne par exemple un quota pour le prélèvement de prises d’œufs de tortues. Or les indiens entendent en consommer à leur guise considérant qu’ils n’ont jamais fait de prises qui aient menacé ces espèces. Des amérindiens ont donc été condamnés pour avoir prélevé au-delà des quotas. Des plumes d’oiseaux protégées retrouvées sur des ornements ont aussi créé des polémiques avec les associations de protection des espèces.

Revenons au strict foncier. Les « accords de Guyane », conclus à la fin du mouvement « social » de 2017 en Guyane, prévoient la rétrocession de 400 000 hectares aux populations amérindiennes et « Bushinengués ». Des experts sont donc passés. Mais les terres à rétrocéder ne sont toujours pas localisées. Au demeurant, leur usage futur est controversé. Les Kalina’a souhaitent que ces terres soient gérées collectivement par un seul organisme et transformées en réserve protégée. Les autres ethnies souhaitent que ces terres soient divisées entre elles et que le choix de l’usage leur revienne. Ce n’est pas la même chose du tout. Notre candidat, Davy Rimane, se prononce pour une entité unique gérant ces terres. Il reste ainsi dans la préoccupation collectiviste qui anime la revendication initiale. Elle nous intéresse tous. Car il y a un enjeu commun. La propriété collective devra être le régime juridique des biens communs dans le régime de la règle verte des gouvernements insoumis.

C’est pourquoi nous allons à la rencontre d’une revendication essentielle des associations amérindiennes. Celles-ci demandent la ratification de la convention n°169 relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du Travail de 1989. C’est le seul instrument juridique contraignant assurant une véritable protection aux membres des peuples autochtones. Car elle consacre notamment le droit collectif à la terre, en gestion autochtone. Tous les États ont ratifié. Pas nous Français, compte tenu du principe d’indivisibilité de la République. Il n’autorise pas, en effet, à créer un statut particulier que ce soit pour les peuples autochtones ou pour des locuteurs d’une langue. Mais mieux ne vaudrait-il pas mieux admettre que la question se pose différemment sur les berges du fleuve Maroni et en Bretagne ?

Sans aller plus avant, je veux après ce coup d’œil aller à l’essentiel. Les peuples premiers des territoires français doivent être traités tout autrement qu’ils le sont à présent. Ils doivent être reconnus dans leur radicale spécificité. Celle-ci est un fait. Non un choix. Elle est le résultat d’un processus millénaire de développement séparé. Le monde entier en convient. Nous, Français, devrions montrer l’exemple plutôt que de laisser perdurer une situation en tous points inacceptable et contraire à la dignité de notre pays. Car les droits humains fondamentaux des amérindiens ne sont pas respectés. Ils n’ont accès à aucun de services de base de la société française, l’éducation de leurs enfants n’est pas assurée dans les conditions des droits de la jeune personne. Les moyens de protéger la diversité culturelle qu’ils portent leurs sont refusés. Leur survie est menacée par les conséquences de l’orpaillage qui les rendent malades et provoquent des malformations de leurs enfants. Et ainsi de suite. La protection des amérindiens de France met au défi non pas l’unité et l’indivisibilité de la République mais l’idée que nous nous faisons de notre propre civilisation au contact de ceux qui en ont une autre et ne peuvent la vivre librement. Je crois que les insoumis devraient faire de cette situation une cause de leurs combats.

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