Le 14 avril qui vient sera un jour de mobilisation populaire particulier dans le cadre du mouvement social en cours. Il participera d’une façon nouvelle à cet effort d’enracinement du combat social en cours qui est désormais la tâche essentielle. Il s’agit d’une mobilisation convoquée un jour non travaillé. De la sorte, toute personne pourra donc y participer, salariée ou pas, sans perdre de salaire et sans avoir besoin de la protection d’un préavis de grève dans sa profession. Cette implication possible de tout un chacun est un des moyens par lequel nous pouvons gagner la bataille de l’opinion qui est l’enjeu du moment. Elle permet aussi de signifier que les salariés en lutte ne sont pas isolés, que leur lutte incarne bien l’intérêt général dont ils se réclament.
Désormais, de nombreuses initiatives sont annoncées pour ce jour-là. Elles ont autant d’origines et de formes qu’il y a de lieux concernés. Ici, ce sont des facultés en lutte qui appellent, ailleurs d’amples fronts de salariés, ailleurs d’autres coalitions. À Nantes, convergeront les partisans de la lutte de Notre-Dame-des-Landes en solidarité contre la guerre que leur mène le gouvernement depuis le commencement des opérations d’évacuation violente. J’ai dit dans mon discours devant l’Assemblée représentative de « la France Insoumise » pourquoi cette diversité devait être non seulement respectée mais surtout protégée et même cultivée.
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Il y a en effet une raison concrète à cela. La condition de l’élargissement de la lutte est dans sa capacité à entraîner de nouveaux secteurs de la société. Comme le but est d’enraciner le mouvement, cela suppose donc que chaque initiative se sente totalement libre, puisse aller à son rythme et dans sa propre logique. Bref : le moyen d’élargir la mobilisation est de lui permettre de récupérer toutes les forces disponibles. Et par-dessus tout d’éviter les clivages qui y seraient importés par les compétitions de partis ou de syndicats. Plus que jamais, pas question de laisser « récupérer » les mouvements sociaux, c’est à dire de leur assigner une couleur ou même une appartenance politique ou syndicale.
Pour nous, la situation et le rapport des forces au combat ne sont plus celles de septembre dernier. Cette fois-ci, nous ne sommes plus seuls, ramant en eaux basses. Tous les partis « de gauche », même le PCF, réclament un lien entre le politique et le syndical, la plupart créent, à notre exemple, des structures politiques dans les métiers. Les digues exhibées hier ont fondu. Bien sûr, ces nouveaux discours servent souvent à réemballer les anciennes pratiques désespérantes. Une des postures les plus courantes est de parler d’unité pour en réalité diviser en stigmatisant. C’est ce que j’appelle la « division unitaire ». C’est d’abord une gesticulation unitaire dont le principal but est de clouer au pilori ceux qui refusent de se plier aux trouvailles « unitaires » dont sont convenus avant les « rencontres » quelques-uns des compères qui en sont partie prenante. Je note qu’une fois faite la photo de groupe dans l’intention de ficeler ceux qui s’y trouvent et de montrer du doigt ceux qui ne s’y trouvent pas, les photographiés ne mobilisent ensuite parfois même pas leurs signataires sur le terrain.
La « division unitaire » est ensuite une pseudo « activité » purement bureaucratique qui consiste à faire croire que l’on « travaille à des initiatives » par des palabres sans fin sans qu’aucune activité de masse soit menée effectivement. Notre choix est de ne nous opposer à rien pour ne pas faciliter la tâche des médias très friands de « division à gauche ». Au pire, nous tâchons de dissuader des initiatives les plus groupusculaires et minorisantes. Notre tâche est de jeter toutes nos forces dans la mobilisation réelle, les activités de masse et la construction de formules politiques dynamiques innovantes comme celle de Marseille, regroupant syndicats partis et associations, en vue d’action immédiate et massive.
Le moment permet cette forme d’ambition. Ce point est à la base des raisonnements qui ont conduit à définir la ligne mise en application par la « France insoumise ». « Servir le peuple », dirais-je pour faire suite avec humour aux consignes maoïstes dans lequel m’inscrit le journal Le Monde une fois de mieux mal inspiré à mon sujet. Nous avons fait un bilan et nous en avons tiré les conséquences concrètes. En septembre dernier, nous avions à jouer le rôle de déclencheur. C’était le sens de la marche du 23 septembre. Nous voulions attiser le mouvement face aux ordonnances de destruction du code du travail. Mais alors, l’attention populaire n’était pas captée.
Phillipe Martinez l’exprime à sa façon quand il déclare au Monde : « la loi el Khomri, les ordonnances c’est un peu théorique. Le code du travail ne concerne pas tous les salariés ». Lui aussi ne s’en cache pas : « on a essayé de tirer les enseignements de ce qui s’est passé ». Nous partageons ce souci d’analyser à partir des réalités la ligne de conduite à tenir. De cela, le leadeur syndical tire la conclusion que « la difficulté à mobiliser c’est quand on globalise les problèmes ». Puis il dit : « il faut partir du local, faire du cousu main et essayer de faire converger des revendications locales ». Quoique cette conclusion semble totalement contradictoire avec sa prémisse, elle décrit bien le moment. Il est impossible de passer à la case convergence sans être passé par la case mobilisation catégorielle, voire locale. Mais en même temps selon nous, quand on ouvre une perspective globale, on facilite la mobilisation locale car elle entre dans une perspective qui aide à sa crédibilité.
En tout cas on ne peut agir autrement dans la sphère politique. Nous n’avons pas à être des para-syndicalistes. Notre rôle spécifique est précisément de donner le sens global que l’action ponctuelle contient. Il faut aussi que le monde syndical le comprenne et que l’on trouve les passerelles plutôt que les mises à distances de principe. Car une lourde erreur serait de croire que les salariés partagent leur cerveau en deux cases, l’une politique l’autre syndicale, au moment où ils agissent. Et une autre serait de croire que la division profonde du monde syndical n’a pas redonné à l’action politique une vocation unificatrice sans rapport avec ce qu’elle était dans le passé. « La Charte d’Amiens » interdirait la formation d’un mouvement politico-social ? C’est bien mal la lire. Elle dit le contraire. Elle a été votée pour empêcher les « sectes socialistes » (à l’époque il y a cinq partis socialistes) de diviser les salariés au moment où le syndicat les unifiait dans la visée d’une « grève générale révolutionnaire ». Cela est écrit en toutes lettres dans le texte dont se réclament tant de gens sans l’avoir peut-être lu jusqu’au bout. « La France insoumise » est un mouvement politico-social dont la vocation est d’unir dans l’action toutes les raisons d’agir !
En septembre dernier, le grenouillement hostile autour de nous était palpable. Le PS venait de s’abstenir massivement dans le vote sur la confiance au gouvernement Macron. L’équipée de Benoit Hamon quittant le PS et organisant sa prise à revers de son ancienne famille commençait seulement. La direction communiste et ses amis exprimaient beaucoup d’aigreur devant l’évolution stupéfiante du paysage de l’opposition populaire avec l’émergence législative de « La France insoumise ». À ce moment-là, donc, la division syndicale et la mise à l’écart des forces politiques de l’union populaire dominait et refroidissait tout. La « division unitaire » était méthodiquement cultivée comme le montra avec ostentation la direction PCF qui vint saluer à trois personnes la marche avant de rejoindre une maigre mobilisation « pour la paix » convoquée en solitaire…
La situation est toute autre aujourd’hui. Le mouvement social est là. Dans plusieurs professions en lutte, l’unité syndicale prévaut. On ne compte plus les scènes de fraternisation entre catégories sur les lieux de lutte. Sur le terrain l’attention populaire est totale. La lutte embrase aussi de secteurs du privé comme c’est le cas à Carrefour. Ce contexte fait devoir. La ligne d’action est de fortifier le mouvement lui-même. En ce sens, nous pouvons donner raison à Philippe Martinez pour l’évaluation qu’il fait sur ce point. La tâche n’est pas de déclencher le mouvement ni de l’attiser puisqu’il n’en est plus besoin. La tâche est d’aider à son élargissement. Ici, les appréciations ne sont plus les mêmes. Pour nous, il s’agit de surmonter les difficultés là où elles se sont montrées à la rentrée de 2017 : la division syndicale et la séparation du mouvement politique et social. C’est à cela que nous voulons répondre. L’objectif commande.
Nous ne sommes les fétichistes d’aucune forme d’action. D’aucune date. À la condition que les éventuelles polémiques sur les dates et les formes de l’action ne soient pas des prétextes à ne rien faire ou qu’elles deviennent des poisons polémiques rabougrissant la mobilisation. En interrogeant directement Philippe Martinez, Alexis Corbière a bien purgé l’atmosphère étrange qu’avait créé l’interview du leadeur syndical CGT : « si la date ne convient pas, alors il faut en proposer une autre et ce sera la nôtre. » On ne peut être plus clair ni plus unitaire. Mais faute de réponse l’engagement de toute la France insoumise aux côtés de l’appel de la bourse du travail avec François Ruffin et Lordon pour le 5 mai sera menée avec force et conviction. D’autant plus qu’aucune date n’est proposée en alternative. Même pour le premier mai présenté comme une alternative, rien n’est fait ni proposé. Le 5 mai est donc le seul moment de convergence proposé et il faut assurer sa réussite sans perdre de temps.
Je l’ai dit : nos choix de forme d’action sont dictés par l’objectif et celui-ci est déterminé par l’état du rapport de force à chaque étape. Je le répète : « La France insoumise » est à la fois un mouvement politique et un mouvement social. Dans le contexte actuel elle agit pour lever les obstacles à la motivation populaire (pas ceux des appareils politiques et syndicaux). Certes, le paysage des organisations politiques et syndicales face à l’exigence de fédérer les actions reste assez semblable à celui de septembre. Même ligne de « division unitaire » à la tête de maintes organisations « de gauche », même incompréhensible mise à distance et mines renfrognées au sommet de certains syndicats. Mais aussi, de l’autre côté, c’est la même diversité syndicale et politique des appelants à l’action du 5 mai. Au fond, la seule différence est notre choix : soutenir plutôt qu’appeler directement.
C’est pourquoi nous avons été convaincus par la proposition de François Ruffin au sujet de l’origine à donner à l’initiative du 5 mai : une assemblée citoyenne à la bourse du travail. La nature des prétextes invoqués ici ou là contre cette initiative montre comment les registres des diverses bureaucraties restent figés sans aucune considération pour les rapports de force réels sur le terrain ni sur les besoins de la lutte elle-même. Je note aussi que les commentateurs qui écrivent sur notre façon de faire ne tiennent aucun compte de la conscience que nous avons de notre responsabilité particulière dans la situation présente. Et du fait que nous menons une bataille de mouvement face à un enjeu qui engage la société toute entière et pas seulement les corporations concernées.
Pour nous, la partie centrale n’est pas le tapis vert des palabres « unitaires » mais le bras de fer avec la nouvelle droite que constitue Macron et qui pense réussir « jusqu’au bout ce que Sarkozy et Hollande ont commencé comme transformation de la société française. Les gens sentent que c’est l’enjeu. Dans ce contexte, à l’heure actuelle, nous sommes la référence politique d’innombrables participants à ces luttes. Sans doute pour la majorité d’entre eux. Être cette référence nous fait devoir, je le rappelle ici après avoir démontré, je l’espère, comment nous avons tiré nos conclusions. Cette journée du samedi 14 avril va montrer notre capacité créative autant que notre capacité à mobiliser en plusieurs fronts et lieux différents.
En effet, ce 14 avril voit donc plusieurs initiatives s’avancer sur la scène : à Lille, Bordeau, Montpellier et Marseille. Chacune a une couleur et une configuration particulière. Dans mon esprit, elles peuvent aider à épauler l’initiative du 5 mai. Encore une fois, rappelons que celle-ci a été décidée par l’assemblée citoyenne de la bourse du travail de Paris convoquée à l’initiative de François Ruffin, Frederic Lordon et d’une dizaine de syndicalistes. De telles assemblées sont dans la longue tradition parisienne des périodes de mobilisation populaire. Cette caractéristique est sa légitimité. Son autonomie fait partie de sa force de conviction. Nous avons été convaincus qu’une initiative citoyenne faciliterait le rassemblement des organisations et la fédération des mouvements.
La difficulté pour nous est de soutenir l’initiative sans que cet appui absorbe l’identité de son origine citoyenne. Mais d’un autre côté, il nous faut aussi être assez fortement engagé pour lui faire profiter de toute notre capacité de mobilisation et d’entraînement dans la société. Sans perdre de vue que beaucoup de choses vont avancer et se transformer d’ici au 5 mai dans l’esprit public. L’échec de l’opération de communication du président à TF1 commence un temps de vide pour lui qui peut nous être favorable au moment de déployer l’action.
C’est dans ce paysage que je veux souligner l’importance de ce qui vient de se jouer à Marseille pour ce jour du 14 avril. Peut-être le mouvement social est-il en train de produire la forme enfin trouvée de l’union populaire dont le pays a besoin.
Pour ma part, j’y vois un exemple de ce que je crois nécessaire partout. L’initiative en revient à la CGT et plus largement au mouvement syndical du département. C’est lui qui a donné sa crédibilité à cette initiative. En lançant leur appel commun, la FSU, les syndicats Solidaires, l’UNEF et les associations lycéennes ont donné un socle syndical assez solide pour rendre possible la jonction avec les organisations politiques sans risque de déséquilibre ou de confusion des genres. Cette sorte de comité de pilotage préfigure ce que pourrait être ensuite la conduite permanente des mobilisations qui vont avoir lieu dans cette séquence. Et cela sans ingérence d’aucune sorte dans la liberté de décisions et d’action de chacune des composantes comme le prouve sa mise en œuvre actuelle. Cette extrême liberté, cette logique « floue » qui dirige l’action est un concept familier pour nous qui avons centralisé le slogan « la consigne est : n’attendez pas les consignes ».
En toute hypothèse nous voici devant une forme de travail commun qui est une innovation magnifique dans le paysage cloisonné qui prévaut ailleurs et d’une façon générale. J’y vois la forme enfin trouvée de la recomposition dont l’opposition populaire a besoin pour devenir une alternative politique au pouvoir actuel. J’ai invité les dirigeants des organisations « de gauche », signataires localement, à venir défiler bras dessus, bras dessous pour afficher la précieuse façade si souvent invoquée comme un préalable indispensable à la motivation populaire. Aucun des chefs concernés ne peut venir du fait d’engagements pris antérieurement me disent-ils. Soit, je peux le comprendre facilement ! Mais on voudra bien retenir de cet épisode que si nous ne sommes pas disposés à composer pour ce qui est des élections c’est-à-dire au moment où l’on présente sa carte d’identité politique devant le peuple, nous sommes absolument et radicalement disponibles pour l’unité dans l’action.
À Lille, une configuration comparable se dessine désormais. À l’heure où j’écris ces lignes les contacts continuent entre les parties prenantes. D’ores et déjà, à l’appel d’un groupe de personnalités et de syndicats départementaux, « La France insoumise » et la fédération départementale du PCF ont intégré l’équipe de pilotage du rassemblement régional prévu pour le 14 lui aussi. L’espoir était que les syndicats et partis manquants rejoindraient bientôt la démarche ! Cela n’a pu se régler pour le 14 avril. Mais les liens et l’ambiance sont créés. La suite sera concertée et unie, on peut le penser. Et ce d’autant plus que la température sociale continuera à monter. C’est aussi de ce paramètre que dépend la forme que prendra l’initiative du 5 mai.