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Macron roulé dans la farine de Merkel

Je n’entre pas dans les détails. Mardi 19 juin, Macron et Merkel tenaient réunion commune dans la ville allemande de Meseberg. La leçon est rude : la France ne compte plus politiquement dans l’Europe allemande. Une fois passée la communication sensationnaliste des premières heures, on peut faire un bilan réel. Macron s’est fait rouler dans la farine qui a déjà permis de frire ses prédécesseurs. Bien sûr, le premier jet médiatique français est toujours le même.  C’est toujours un triomphe du président français. Le chœur des eurolâtres attend toujours deux ou trois jours pour s’intéresser aux faits. Il sait qu’il lui faut revenir au réel. À ce moment-là commence un deuxième refrain : « c’est toujours mieux que rien ». La vérité est ailleurs, comme d’habitude.

Officiellement, il s’agissait pour les gouvernements de droite français et allemands, comme annoncé depuis de longs mois, de déterminer une position commune sur la zone euro, les questions de défense ou l’immigration, dix jours avant le prochain Conseil européen. Ainsi vont les choses en Europe : la France et l’Allemagne se réunissent avant les sommets officiels et décident pour les autres. Il va de soi que ce n’est plus qu’une apparence. Mais cette méthode ne peut conduire qu’à un renforcement de l’Europe de la rente et de la finance qui est la ligne constante de Merkel et de la droite allemande depuis 18 ans. Bien sûr, comme d’habitude, la chancelière a l’habileté de consentir un objet communicationnel pour que, de retour au pays, le président français et sa presse puissent prétendre avoir obtenu un « tournant » « une victoire » et blablabla « couple franco-allemand »… En vérité, sans aucun romantisme, madame Merkel fait méthodiquement avancer sa cause, celle du capital allemand. Rien d’autre, absolument rien d’autre. Le président français a dû remballer sa camelote sans autre forme de procès.

Cette fois-ci, la farce s’appelle le « budget de la zone euro ». C’est une invention de Macron qui semble avoir oublié que l’Union européenne dispose déjà d’un budget. Il en coûte 7 milliards d’euros aux Français, de plus qu’ils ne reçoivent ensuite de ce budget. Nous payons en effet trois fois : une fois à proportion de notre poids dans l’Union, une fois pour compenser le rabais qu’avait obtenu Thatcher pour le Royaume-Uni et une fois pour l’Allemagne qui a obtenu un rabais sur le rabais britannique ! Pas assez pour Macron, donc ? À l’origine, il proposait même d’assortir ce budget de la zone euro d’un parlement qui serait donc venu en doublon du parlement européen. Mais cette idée également défendue par Hamon et le PS a été vite mise sous cocon. Le ridicule de deux parlements est donc évité. Restait le budget. Pour quoi faire ? De quelle ampleur ? Mystère. Les réponses n’ont pas été données cette fois ci non plus. Elles ne le seront jamais car rien de tout cela n’existera jamais.

Car l’Europe est à 28. Et les autres n’en veulent pas. Ni ceux qui partagent la zone euro, ni les autres à plus forte raison. Et madame Merkel n’a rien promis d’autre que de poser la question. On imagine que les Français voudraient ce budget pour un plan de relance. Vieille antienne. Il n’en sera pas question. Par ailleurs, la lecture de la déclaration commune de Merkel et Macron laisse clairement voir la patte allemande. Le texte cadre bien la suite pour que ce budget, aussi petit soit-il, soit au service de l’Europe de la finance. Ainsi est-il spécifié que « le but est la compétitivité et la convergence ». Autrement dit, les dépenses de ce budget iront pour accompagner les politiques d’ajustement structurel que l’Allemagne impose à toute l’Europe et en particulier aux États du sud. Le concept même de relance de l’activité est exclu puisque les dépenses du budget de la zone euro devront venir « en substitution aux dépenses nationales ». Pas de dépenses supplémentaires pour relancer l’investissement et la consommation populaire, donc. Enfin, l’Allemagne a pris soin de faire préciser que le financement de ce budget devra se faire « sans transfert » des pays excédentaires vers les pays déficitaires. Pas touche aux excédents allemands. Fermez le ban !

Dans son discours d’Athènes, l’été dernier, le président français disait vouloir que ce budget soit équivalent « à plusieurs points du PIB » de la zone euro. Cela voulait dire plusieurs centaines de milliards d’euros. Par deux fois ce mois-ci, dans la presse allemande, la chancelière lui a répondu par une douche froide : « un budget à deux chiffres ». Pour finir, la déclaration commune du 19 juin n’évoque aucun montant, renvoyant cette question à la négociation entre les États pour un accord d’ici 2021. Nul doute que Merkel pourra compter sur les 8 États d’Europe du nord qui s’étaient publiquement opposés aux propositions de Macron en mars dernier pour que ce budget soit le plus petit possible. Et il sera mieux que cela : il n’existera pas. Car Merkel sait sortir du tête-à-tête avec la France pour défendre ses intérêts.

Faut-il regretter la fin de ces foucades ? On voit quelle Europe est là. Crise migratoire, nouveau coup de frein sur l’activité économique, crise du libre échangisme mondial, crise majeure sur le nucléaire iranien. Que fit « l’Europe » ? Des bavardages sur un mécano institutionnel et l’invention d’un nouveau FMI régional. Quel souffle ! Car le seul résultat concret du sommet est que la proposition allemande sur ce point est validée. Une victoire totale de Merkel et Schäuble.

Les pouvoirs du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) vont être considérablement renforcés. Cette institution opaque, non démocratique et dirigée par un Allemand, est celle qui a imposé les plans d’austérité les plus terribles dans l’Europe du sud. Sa méthode est d’imposer des prêts conditionnels aux États en crise puis de s’assurer que jamais la souveraineté populaire ne vienne freiner la purge qu’elle leur prescrit. L’idée allemande est d’en faire un instrument encore plus central de la surveillance des États en le transformant en « fond monétaire européen ». Cette proposition vient notamment de l’ancien ministre des finances de Merkel, Wolfgang Schäuble. Le texte signé par Macron mardi propose de donner au MES « la capacité à évaluer la situation économique d’ensemble des États membres » et la capacité d’intervenir préventivement, en dehors des crises financières majeures. Deux fois, la « conditionnalité » de ses prêts est rappelée. La droite allemande a gagné là une arme de destruction massive pour prolonger ad vitam aeternam les politiques de destruction des services publics, des dépenses sociales et des protections des travailleurs dans toute l’Europe. L’ordo-libéralisme est bien la doctrine officielle de l’Union Européenne.

Au final, à rebours du joli récit médiatique du président Macron, il s’agit bien d’une nouvelle capitulation d’un Président français. Le document signé par Macron renforce l’Europe que les peuples partout rejettent : promotion du libéralisme comme seule politique possible et refus de la souveraineté populaire. Même la droite la plus dure allemande semble avoir gagné sur Macron. Alors que la CSU bavaroise, sous pression de l’extrême droite AFD avait mis la pression sur Merkel, Macron s’est dit d’accord pour sous-traiter le traitement des demandeurs d’asile aux pays d’accueil et de transit extérieurs à l’Europe. Ce que révèle la réunion de Meseberg et que Macron accepte, c’est que la droite allemande la plus dure donne le la pour toute l’Europe.

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