Le 18 octobre dernier, un nouveau scandale de fraude et d’évasion fiscale a été révélé. Mais la quasi-totalité des agents du service de police affectés à la lutte contre la fraude et l’escroquerie étaient occupé a faire des perquisitions et des auditions contre « la France Insoumise ». Cette nouvelle opération de fraude à échelle continentale a un nom cryptique : les « CumEx Files ». Il s’agit de suffixes latins pour dire « avec » (cum) et « sans » (ex). En effet, l’arnaque repose sur des changements de propriétaires factices d’actions selon qu’elles soient avec ou sans le versement des dividendes.
Évidemment, il s’agit d’échapper à l’impôt. La fraude organisée sur ce principe a duré pendant 15 ans. Elle a détourné 55 milliards d’euros d’impôts de plusieurs États européens. En France, il n’y aurait eu que des montages « légaux ». On se souvient que le président de la République avait appelé cet exercice de fraude « légale » de « l’optimisation fiscale ». D’ailleurs, l’optimisation, c’est un sport qui ne se cache pas. Le très sérieux journal « Les Echos » en fait même une manchette. « 2018 : une année en or pour défiscaliser » clame le quotidien le 26 octobre, six jours seulement après la découverte de la fraude continentale par optimisation fiscale. Puis il précise : « 2018, année blanche et exceptionnelle pour créer de des déficits fonciers, toucher des dividendes, ou percevoir des revenus exceptionnels ». Et la conclusion « quels sont les meilleurs plans pour défiscaliser ? Comment éviter les pièges ? » Créer des déficits, éviter l’action du fisc, tout cela en plein jour et comme un devoir de bonne gestion. Telle est notre société. Tels sont nos médias.
À l’origine, donc, il y a une fraude de grande ampleur découverte en Allemagne en 2012. Des financiers y avaient trouvé le moyen de se faire rembourser plusieurs fois par le fisc allemand pour un même crédit d’impôt. Certains détenteurs étrangers d’action ont le droit, en Allemagne, à des remboursements d’une partie de l’impôt dont ils s’acquittent sur les dividendes. En multipliant les transactions d’actions autour de la date de versement des dividendes, les tricheurs avaient réussi à rendre impossible pour l’administration fiscale allemande d’identifier leur réel propriétaire. Il faut dire que depuis l’apparition du trading haute fréquence, la durée moyenne de détention d’une action est tombée à 22 secondes. Par ce procédé, des financiers ont réussi à se faire rembourser plusieurs fois le même impôt. Les deux États les plus touchés par ce vol en bande organisé furent l’Allemagne et le Danemark. Encore que le gouvernement allemand ait attendu 3 ans après avoir découvert le montage pour prévenir l’administration fiscale danoise. Un autre exemple de la brillante coopération dans l’Union européenne en matière de lutte contre la fraude. Et une nouvelle attestation de la pratique de l’Allemagne.
Le montage frauduleux n’est en réalité qu’un dérivé d’une pratique couramment pratiquée dans le monde de la finance, celle de « l’arbitrage dividende ». Voyons comment cela fonctionne. Exemple. Un étranger possède des actions françaises. Théoriquement, au moment où il touche ses dividendes, l’actionnaire doit s’acquitter auprès de l’État français d’un impôt de 15%. Sauf s’il est résident d’un pays avec lequel la France a une convention fiscale plus avantageuse pour le contribuable. Celles signées avec Dubaï ou le Danemark permettent par exemple d’échapper totalement à l’impôt. La technique de « l’arbitrage dividende » consiste donc à prêter ses actions à un résident, par exemple du Danemark ou de Dubaï, quelques jours avant le versement du dividende puis à faire la transaction inverse quelques jours après.
Cette pratique est totalement généralisée. Elle n’est pas illégale. Mais elle coûte 3 milliards d’euros par an à l’État français. Les plus grandes banques françaises proposent à leur client étranger d’organiser pour eux les montages. Jérôme Kerviel avait témoigné de cette pratique dès 2013 devant une commission d’enquête sénatoriale. Dans son bureau à la Société générale, 4 tradeurs travaillaient à temps plein sur ce type particulier d’évasion fiscale. L’escroquerie est donc bien connue et organisée par toutes les plus grandes banques françaises. Non seulement Jérôme Kerviel en a parlé devant des parlementaires mais l’autorité des marchés financiers a reconnu être au courant de ces transactions. Pourtant, personne n’a rien fait. Ni Macron, ni Hollande ou Sarkozy avant lui n’ont pensé à changer la loi pour rendre la pratique illégale. Évidemment, les banques n’en auraient pas voulu. Car elles ne le font pas ces transactions gratuitement. Elles prélèvent des frais sur tous ces mouvements. Ce montage illustre parfaitement ce qu’est la bulle financière : un ensemble gigantesque de transactions n’ayant aucun lien avec l’économie productive et opérant une ponction sur les peuples. Car les impôts que les uns ne paient pas le seront par les autres.
Au pouvoir, nous rendrions illégales ces pratiques immorales. Nous avons proposé des moyens pour le faire. Lors de la discussion à l’Assemblée nationale du projet de loi de lutte contre la fraude, mon collègue Éric Coquerel a défendu un amendement clef. Il s’agit de changer la définition de l’abus de droit. Actuellement, l’utilisation d’un moyen légal dans le but « exclusif » d’échapper à l’impôt est illégal. Mais il est extrêmement difficile pour l’administration fiscale de prouver le caractère exclusif de la manœuvre. Les armées d’avocats des banques et des actionnaires ont beau jeu de prouver qu’il y avait un autre objectif. Les poursuivre et récupérer leur argent serait plus simple si on remplaçait dans la loi le mot « exclusif » par « principal ». Ainsi, les tricheurs auraient beau inventer tous les bobards qu’elles veulent. S’ils ont voulu échapper à l’impôt français, ils seront condamnés. Cet amendement a été présenté un mois avant le scandale des « CumEx files ». Il aurait pu nous permettre de récupérer 3 milliards d’euros par an. L’équivalent de 70 000 fonctionnaires de plus dans les hôpitaux. Mais, à son banc, le ministre Dussopt s’est contenter de repousser notre amendement avec le seul mot « défavorable ». Et c’est « la France insoumise » qui a été traitée comme une bande de délinquants financiers.