melenchon minute de silence
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13.12.2018

Gilets jaunes : «Notre boussole, c’est le peuple» – Discours de motion de censure

Le 13 décembre 2018 à l’Assemblée nationale, Jean-Luc Mélenchon défendait la motion de censure contre le gouvernement déposée par les groupe « France insoumise », «Gauche démocrate et républicaine» et «Socialistes et apparentés». Voici la retranscription de son intervention.

Hier, l’Assemblée nationale a marqué sa communion unanime avec les Alsaciens, les meurtris, les morts. Cette unanimité a fait penser à d’aucuns qu’il fallait, dès lors, que tout cesse, notamment qu’il n’y ait pas de débat aujourd’hui. Ils ont tort, et je vous sais gré, monsieur le Premier ministre, de l’avoir dit hier. D’autres ont dit qu’il faudrait qu’il n’y ait plus de manifestations. Ils ont tort. La démocratie de la France n’est pas à la disposition d’un assassin. 

Après six semaines d’insurrection citoyenne, les gilets jaunes persistent dans l’action. Nous savons que leur décision est réfléchie – ils ne sont pas si différents de nous tous ici. N’ont-ils pas assez souffert pour être respectés ?

On évoque, à juste titre, pour le déplorer, à juste titre, les 187 blessés parmi les policiers et les gendarmes, qui ont émaillé ces semaines de mobilisation. Mais que cela ne nous fasse surtout pas oublier un autre décompte terrible : 865 blessés parmi les manifestants, six morts causées par des contre-manifestants, une personne dans le coma, trois personnes dont la main a été arrachée par une grenade, quatre autres ayant perdu un œil à la suite d’un tir de flash-ball.

C’est pourquoi, avec la permission du président, sur le temps de parole dont je dispose, je décide de consacrer une minute de silence pour rendre hommage aux personnes mortes dans leur engagement citoyen de gilet jaune, et je vous invite à vous joindre à moi.

(Mmes et MM. les députés se lèvent et observent une minute de silence.)

Merci, chers collègues. La patrie est témoin de son unité.

La France connaît sa plus grande insurrection populaire depuis cinquante ans. Quelle est cette société mobilisée sur les ronds-points et dans les lycées ? Ici, les jeunes de l’enseignement professionnel et de l’enseignement technologique marchent les premiers ; ce sont les plus responsabilisés, par leur avenir professionnel immédiat. Là, sur les ronds-points, ce sont les petits revenus, ceux dont la vie se résume à tâcher de survivre.

Ce peuple est notre boussole. C’est lui qui nous montre le chemin, c’est lui qui nous dit ce qui doit changer radicalement. Car survivre, ce n’est pas un projet de vie suffisant, pour ces femmes en pleine précarité, pour cet enfant sur cinq qui vit dans une famille pauvre, pour ces 4 millions de personnes qui attendent un logement digne, pour ces retraités dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté. Non, non ! Survivre n’est pas un projet de vie !

Ceux qui s’étonnent de la poursuite du mouvement, de son enracinement, ne comprennent pas une donnée essentielle. Ils préconisent de revenir à l’ordinaire, de revenir à la normale. Mais c’est la normale et l’ordinaire qui font l’insupportable de ces vies-là !

Dans ce contexte, le Président a parlé. Je dis d’abord que sa parole est vaine pour une part considérable de notre peuple, qu’il a totalement oublié dans son propos : les chômeurs, dont 50 % ne touchent d’ailleurs aucune indemnité ; les salariés à temps partiel, dont 80 % sont des femmes ; les fonctionnaires de l’État et de la territoriale, qui font notre vie quotidienne ; les retraités, dont les pensions restent gelées et soumises à la CSG. Sa parole sonne faux à nos oreilles aussi. Pourquoi feint-il d’augmenter le SMIC, alors qu’il n’en est pas question ? Pourquoi dit-il vouloir que le travail paie, quand vous répétez partout que les augmentations de salaire détruisent de l’emploi ? Ce n’est pas vrai : les bonnes paies permettent l’augmentation des dépenses indispensables aux familles et remplissent donc les carnets de commandes des entreprises !

C’est en le comprenant que le Portugal a redressé sa situation et c’est dans ce but que l’Espagne se propose d’augmenter le salaire minimum de 20 % !

En France comme dans le monde, jamais l’écart n’a été aussi violent entre, d’un côté, les revenus du capital et la richesse des très riches, en constante progression, et, de l’autre, les revenus populaires. Pourquoi ne faites-vous rien pour obliger les riches, les immensément riches, à payer leur part de l’effort commun ?

Quel est le sens des invitations que le Président adresse aux riches pour solliciter leur bon cœur ? Nous voici revenus à l’Ancien Régime, quand le roi réunissait les privilégiés pour solliciter un beau geste de leur part !

La loi de l’égalité doit s’imposer à eux comme aux autres !

La patrie est un bien commun. Tous doivent y pourvoir, à concurrence de leurs moyens.

Pourquoi refusez-vous de rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, alors que le pays en a tant besoin ?
Pourquoi avoir demandé à ceux qui le pouvaient le moins d’en acquitter la contrepartie, provoquant une insurrection qui aura duré cinq semaines ?
Pourquoi refuser la création de l’impôt universel, lequel neutraliserait l’émigration fiscale des voyous qui se soustraient à l’effort commun ?
Pourquoi détruire encore tant de postes de contrôle dans les services du fisc et de la douane, quand la fraude fiscale représente déjà 100 milliards par an ? Si nous les avions, le budget de l’État ne serait pas en déficit et personne n’aurait besoin d’inventer des solutions aussi rocambolesques que celles que l’on a vu imaginer pour couper dans les dépenses publiques.

Et maintenant, comment comptez-vous payer les manques à gagner consécutifs aux décisions que vous venez de prendre ? Par de nouvelles coupes budgétaires ? Par moins de services publics ? Par moins d’argent pour la transition écologique ? Ah ! On n’en parle plus, de celle-là : elle ne figure même pas dans la liste des cinq débats proposés !

Où comptez-vous trouver les milliards dont on a besoin ? Car la transition écologique de notre mode de production et d’échange reste un impératif absolu. La France a pris des engagements à la COP 21. Pensez-vous que le budget actuel suive la ligne de dépense prévue ? Pour tenir nos engagements, il faut trouver 70 milliards d’investissement par an. Or 40 milliards seulement sont réalisés pour le moment, dont 20 milliards par l’État, et le retard accumulé depuis 2016 atteint 90 milliards. Ces milliards, ce sont des dizaines de milliers de postes de travail, de salaires, d’intelligence mise en œuvre, de mieux vivre. Où trouver cet argent si les fortunes sont encouragées à placer dans la bulle financière plutôt que dans l’investissement, et si l’impôt ne les met jamais à contribution ? Où les trouver si l’État s’appauvrit volontairement sans cesse ?

La maladie qui accable notre pays, c’est l’inégalité, le « deux poids, deux mesures » permanent sur tous les sujets, la classe moyenne qui porte sur son dos tout le fardeau, la pauvreté qui s’étend dorénavant à 9 millions de personnes.

Nous avons besoin d’abolir d’urgence les privilèges fiscaux, tous les privilèges fiscaux !

Nous avons besoin d’une révolution fiscale, d’un bon coup de balai sur 80 % des niches fiscales, qui ne profitent qu’aux 10 % les plus riches du pays. Nous avons besoin d’un nouveau partage de la richesse, qui ne soit plus la confiscation actuelle au profit de quelques-uns.

Nous avons besoin d’en finir avec le dumping fiscal qu’organise la Commission européenne. Oui, monsieur le Premier ministre, si les taxes augmentent partout en Europe, c’est parce que l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur les revenus sont soumis à un dumping social : dans toute l’Europe, c’est la course permanente et universelle à la baisse. Elle est voulue et organisée, et ne laisse comme débouché que la taxation qui, elle, est nécessairement injuste. Ici encore la Commission européenne est coupable ; l’Europe actuelle est coupable.

Le moment actuel est éminemment politique. Il pose une fois de plus dans le pays la question des conditions de la prise de décision dans la République, particulièrement dans le cadre de la Ve République. D’ailleurs, nos concitoyens, qui s’étaient d’abord réunis sur les ronds-points pour parler de surtaxes, se sont retrouvés à parler de tout le reste, ce qui est bien normal, en particulier de la question démocratique.

La monarchie présidentielle a fait son temps. L’âge moderne nous demande de concilier la stabilité institutionnelle, absolument indispensable et sans laquelle aucune nation ne saurait vivre, avec la capacité permanente d’intervention populaire. Cette contradiction apparente peut se résoudre. C’est pourquoi monte des gilets jaunes la revendication d’un droit à référendum d’initiative populaire. Nous croyons que celui-ci doit inclure le référendum permettant d’abroger une loi, d’en proposer une, et le droit de révoquer un élu, quel qu’il soit, du Président de la République au conseiller municipal.

Je n’achèverai pas sans dire quelle fierté nous ressentons devant ce que le peuple de notre pays dit au monde. Voici de nouveau la France des rébellions qui parle à chacun. Son message est entendu sous toutes les latitudes : en Pologne, en Bulgarie, en Belgique, aux Pays-Bas, en Israël, en Égypte, en Irak et dans combien d’autres endroits encore, on voit des gilets jaunes arborés dans les luttes populaires. La jeunesse et les gilets jaunes de France continuent leurs actions. Ce sont, j’en conviens, des actions destituantes. Elles mettent en cause la hiérarchie des normes, la hiérarchie des pouvoirs et les autorités en place, proposant, en guise de contenu, une alternative.

Nous prenons notre part à cette action, là où nous sommes, là où nous croyons que se situe l’essentiel, c’est-à-dire dans la démarche parlementaire.

C’est pourquoi nous vous censurons : parce que c’est le plus court chemin vers le retour aux urnes que la démocratie exigerait dans n’importe quel autre pays, vers la dissolution qui rendrait au peuple son droit de choisir.

Le peuple, en toute situation, est à nos yeux la solution à tous les problèmes.

Le peuple, en toute circonstance, est le seul souverain dont nous reconnaissons l’autorité.

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