Samedi, j’étais dans la rue à Marseille, dans les rangs des délogée et mal-logés de la ville. La veille, le 1er février, la Fondation Abbé Pierre rendait son 24ème rapport sur l’état du mal logement dans notre pays. Des deux, je tire un sentiment d’alerte maximum. Selon les calculs de la Fondation, d’ici 2020, le secteur du logement aura subi 4 milliards d’euros de coupes budgétaires. 2,5 milliards d’euros concernent les baisses d’APL subies directement par les allocataires. En 2017, le gouvernement avait baissé de 5 euros toutes les APL. Elles ont ensuite été gelées avant que la dernière loi de finance n’entérine leur désindexation durable de l’inflation. Ainsi, en 2019, un allocataire aura perdu en moyenne 12 euros par mois par rapport à sa situation avant l’arrivée de Macron au pouvoir. Et la dégringolade va continuer en 2020. La moitié de ceux qui touchent des APL sont en dessous du seuil de pauvreté. Par ailleurs, le gouvernement est aussi allé chercher 1,5 milliards d’euros directement dans la poche des organismes de logements sociaux.
Cette dernière ponction équivaut aux deux tiers des capacités d’investissements des organismes HLM. C’est l’équivalent de 54 000 logements construits par an ou encore de 103 000 logements rénovés. Déjà, en 2018, les effets de ces coupes se sont fait sentir. En 2018, 109 000 logements sociaux ont été financés. C’est une baisse de 3,5% par rapport à l’année précédente. Et depuis 2017, la production a baissé de 12%. Ce sont des chiffres très alarmants. Une étude de la Caisse des dépôts prenant en compte les nouvelles perspectives financières des HLM est particulièrement pessimiste. Elle conclue que la production de logements sociaux passera en dessous de 100 000 en 2020 et déclinera jusqu’à 60 000 par an jusqu’en 2027. À cela, il faut ajouter que le gouvernement a inscrit dans la loi l’objectif de vendre 40 000 HLM par an, y compris au moyen de ventes en bloc à des investisseurs. Il s’agit donc bien d’une véritable liquidation de la politique sociale du logement. En attendant, 2 millions de personnes attendent l’attribution d’un logement. Encore 2 millions de familles déclarent avoir de très sérieuses difficultés pour payer leur loyer.
Évidemment, les premières victimes de cette austérité sont les plus faibles. Cette année, le focus du rapport de la fondation Abbé Pierre est sur les sortants de prison, d’hôpital psychiatrique et de l’aide sociale à l’enfance. Abandonnés à leur sort par l’État, ils finissent très souvent à la rue. Ainsi, entre un quart et un tiers des sans-abris seraient passé par l’aide sociale à l’enfance. Ce service public, qui recueille les enfants qui ne peuvent plus vivre dans leur famille d’origine et les place en famille d’accueil ou en foyer est géré par les départements. Sous l’effet des coupes dans leurs budgets, ceux-ci ont tendance à arrêter tout net toute prise en charge le jour de la majorité des enfants. Il existe pourtant des aides pour les 18-21 ans qui sortent de l’aide sociale à l’enfance, le temps qu’ils fassent des études ou réussissent une insertion professionnelle. Mais ces aides sont de plus en plus assorties de devoirs, de conditions et d’obligations de toutes sortes. Bien sûr, cette culpabilisation d’enfants sans famille cache simplement des économies budgétaires. Très macronien. Le résultat c’est bien sûr que ces enfants basculent souvent vers la pauvreté la plus extrême.
Une fois n’est pas coutume, je n’ai pas assisté cette année à Paris à la remise du rapport de la fondation. Mais j’étais dans le sujet. En effet, au même moment, je me trouvais dans le quartier de Noailles, dans ma circonscription, à la rencontre de la population marseillaise qui a subi le trauma de effondrements. Depuis que l’effondrement de deux immeubles rue d’Aubagne le 5 novembre a fait éclater aux yeux de tout le scandale de l’habitat insalubre, 1800 personnes ont été délogées parce que leur immeuble ne présentait pas les conditions minimums de sécurité. Ils ont, dans l’opération, perdu bien souvent toutes leurs affaires. Ceux qui étaient propriétaires ont toujours un crédit à rembourser. Les assurances ne veulent rien savoir. En deux mois, la mairie de Marseille n’a réussi qu’à en reloger 79 et à faire retrouver leur logement initial à 318 autres. Le reste est logé temporairement à l’hôtel, dans des conditions parfois elles-mêmes indignes. Dans cette situation le seul salut est l’auto-organisation et la solidarité des Marseillais : permanences juridiques et administratives bénévoles, aide psychologique et collecte et distribution de repas et de vêtements. Bien sûr, il y a 30 000 logements vides à Marseille. Et bien sûr, il existe dans la loi la possibilité de leur réquisition par le maire ou par le préfet.
La question de l’habitat indigne n’était pas absente du constat de la Fondation Abbé Pierre. Là aussi, elle tire la sonnette d’alarme. Car le problème ne concerne pas que Marseille mais de nombreuses villes et même campagnes. La Fondation pointe le manque d’action des pouvoirs publics. Alors qu’elle estime entre 400 00 et 600 000 le nombre de ces logements dans toute la France, soit entre 900 000 et 1,3 millions de personnes, le nombre de logements actuellement rénovés avec l’aide de l’État n’atteint que 11 000 par an. Elle affirme qu’il faudrait tripler à quintupler les moyens financiers attribués à cette politique pour arriver à un résultat satisfaisant. Mais devant la Fondation, le ministre du Logement a refusé de s’engager sur un objectif de logements à rénover. La catastrophe est commencée.