Une nouvelle fois, le sort du combat politique actuel se joue sur la grande scène. En Europe, c’est avec les élections pour le parlement de Strasbourg, bien sûr. Mais surtout en Espagne avec l’élection générale, et aux États-Unis avec la préparation des primaires de l’élection présidentielle. Il est certain que la partie est globale. Le contexte le surligne. C’est celui de la marche à la crise financière d’une part, et de l’imminence du choc écologique de l’autre. Bien sûr.
Mais par-dessus tout règne une violence politique désormais répandue dans tous les médias, et à partir des systèmes judiciaires comme à peu d’autres moments du passé. Le grand quotidien New York Times est déchaîné contre Sanders. Tout est bon pour tenter d’enrayer son emprise croissante, la force simple de son programme social. Les photos bouches ouvertes et poing fermé, les accusations les plus ubuesques, tout y passe. De même en Espagne. Le grand quotidien El País est déchaîné contre Podemos et contre Pablo Iglesias en particulier. Dans ce pays, des digues avaient déjà été franchies avec la publication, entre autres, des échographies de Iréné Montero leader de Podemos et compagne de Pablo Iglesias.
À présent, l’exception révulsante est devenue la règle. Il est vrai que dans ces deux pays, ce qui se joue est considérable. La bascule des États-Unis n’est pas une simple figure rhétorique. L’élection d’Obama et ses deux mandats ont eu un effet de désorientation générale du type de l’« effet Hollande » sur les consciences populaires du pays. La bascule d’une large partie des secteurs populaires vers le trumpisme vient de là. Elle a été analysé par les démocrates américains et par leurs cousins sociaux-démocrates européens dans un prisme très étroitement anti-populaire. Cela a masqué ce fait majeur que les USA à leur tour étaient déjà largement engagé dans un processus « dégagiste ». Il avait commencé avec l’élection d’Obama. Il s’est amplifié en pure exaspération après l’élection de Trump. Ce processus continue sous nos yeux avec l’incroyable côte de Bernie Sanders depuis l’annonce de son engagement dans l’élection présidentielle. Sanders est donné gagnant face à Trump. Ce seul effet d’annonce est un démultiplicateur
En Espagne, Podemos n’aurait plus la même puissance électorale nous dit-on. Mais sa puissance politique est décuplée puisque c’est de lui que dépend l’existence d’un nouveau gouvernement du PSOE. Comme il y a quelques semaines, le programme d’un tel gouvernement dépend des concessions faites à Podemos. C’est là le pire pour l’oligarchie espagnole. Elle joue donc pour que l’alternative éventuelle au retour de la droite flanquée de l’extrême droite soit dans une alliance du PSOE avec la formation centriste de droite « Ciudadanos »
Les deux situations prises en exemple, l’Espagne et les USA, n’ont pas le même impact sur le monde, cela va de soi. Mais l’examen des deux combats permet aussi de faire d’amples moissons d’expériences utiles. D’abord, notons les évolutions. Comme en France, aux USA, le système médiatique est passé de l’invisibilisation de Sanders à un harcèlement haineux continu et quasi-quotidien. La nouveauté est dans ce que cela a provoqué comme mode de réplique. Les partisans de Sanders ont compris qu’aucun arrangement ni compromis n’est possible avec la deuxième peau du système qu’est le parti médiatique. Ils optent à leur tour pour la tactique de la conflictualité qui éduque, vaccine et prépare l’avenir. Même évolution en Espagne où nos amis ont renoncé aux osmoses du passé avec les « bons copains journalistes » qu’ils accueillaient jusqu’au cœur de leur réunions les plus fermées. Depuis que ceux-là les matraquent sans relâche et sans borne, le fossé est assumé et nos amis tapent à leur tour les mains qui les battent.
Aucune stratégie de révolution citoyenne n’est tenable dans la durée sans cette conflictualité qui assume le constat que nous n’affrontons en réalité rien d’autre au quotidien que le parti médiatique. El País et New York Times sont les cousins germains associés du titre Le Monde en France. Cela suffit je crois pour que chacun de mes lecteurs sachent à quoi s’en tenir sur la violence des chocs qui nous attendent encore. On vient de le voir cette semaine encore avec la mise en scène de la pseudo-affaire Guénolé.
Mais, pour moi, le plus intéressant dans ce contexte est la similitude des difficultés stratégiques que nous rencontrons sous toutes les latitudes. Je la résume. La société libérale émiette le corps social dans la précarité et l’uberisation généralisée. Alors sa conscience de soi s’éparpille de même. Certes, le collectivisme spontané des revendications écologiques redonne du sens commun. Mais il ne suffit pas à établir la ligne de rupture pourtant vitale avec la racine des politiques libérales qui provoque l’effondrement des liens de la société. Dans ce contexte, la proposition fédératrice peine à se faire entendre et même tout simplement à émerger. Dans chacun de nos pays, toute la question se concentre sur l’étape cruciale du passage de la phase destituante à la phase constituante. Quel peut en être l’occasion ? Quel peut en être le moyen ? Quel en serait l’instrument ?