conseil deontologie

Un rapport pour assainir la pratique des médias

Le 26 mars 2019, un rapport officiel a été remis au Ministre de la culture pour proposer la création d’un Conseil de déontologie des médias. La trajectoire de cette idée nous intéresse. Je l’ai proposée à la suite de notre programme, pour la première fois au mois de novembre 2017 après un passage sur France 2 particulièrement lourd en traquenards, montages, mensonges et trucages à mon encontre. J’avais alors lancé une pétition pour la création d’un Conseil de déontologie. Elle a recueilli près de 200 000 signatures. Les premières réactions des pontes de la corporation furent de s’insurger contre mes velléités prétendument liberticides, s’étranglant du fait que j’avais utilisé le mot « tribunal » dans un article sur ce blog alors même que l’expression vient du nom de l’institution de ce type au Canada. Mais l’idée a fait son chemin petit à petit.

À l’Assemblée nationale, les députés insoumis se sont saisis de la proposition de loi ubuesque de la majorité sur la répression des fake news. À l’aide d’amendements à cette loi, nous avons pu montrer le sérieux de notre proposition. Nous avons ainsi prouvé sa capacité à régler une partie de l’énorme problème des abus de pouvoir du système médiatique. Finalement, devant l’impact de nos argumentaires, le gouvernement a été conduit à nous annoncer en séance publique de l’Assemblée nationale la création d’une mission d’information ministérielle pour étudier le sujet. Cette mission a été créé. Dirigée par Emmanuel Hoog, ancien PDG de l’AFP. Elle a donc rendu son rapport.

Je suis largement favorable à son contenu. Il recoupe l’essentiel des propositions des Insoumis. Ce n’est pas une idée maximaliste. Loin de là. Pourtant certains secteurs très corporatistes ont largement répété ce refrain au mépris du problème des abus de pouvoir que tout le monde observe. Nos propositions reprenaient pour l’essentiel ce qui se fait ailleurs dans le monde dans ce domaine. Dès lors, le contenu du rapport Hoog est essentiellement une victoire morale pour nous. Il reprend totalement à son compte l’idée d’un Conseil de déontologie des médias dans la forme dans laquelle nous l’avons proposée. Il nous donne raison sur le besoin d’un organe dont les citoyens pourraient se saisir pour demander à ce que soient reconnues certaines pratiques médiatiques contraire à la morale civique et à la déontologie journalistique. Comme nous, il propose l’adoption d’une charte commune à toute la profession pour servir de base aux jugements.

Plus précisément, il suggère celle que nous citions dans nos amendements : la charte de Munich. Celle-ci stipule notamment qu’un journaliste doit « s’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information ». Cette charte impose aussi de « s’obliger à respecter la vie privée des personnes et la présomption d’innocence ». On imagine quelle révolution ce serait en France si ces principes étaient appliqués.

Autre sujet sur lequel nous nous retrouvons en phase avec le rapport d’Emmanuel Hoog : la composition du futur conseil. L’enjeu pour notre proposition était d’éviter l’entre-soi médiatique. C’est pourquoi nous plaidons pour que des représentants des usagers des médias siègent dans un Conseil de déontologie. Le rapport ne dit pas autre chose. Il plaide pour trois collèges : journalistes, éditeurs de presse et citoyens.

Le Conseil de déontologie dessiné par le rapport aurait d’autres missions en plus de juger des plaintes reçues. Sur la base de son travail, il pourrait établir des publications plus générales sur le fonctionnement des médias. Son expérience lui permettrait en effet d’identifier les causes qui conduisent généralement au non-respect des règles de déontologie journalistique. Ainsi, le Conseil de déontologie pourrait bien devenir un allié pour l’exigence d’une Vertu citoyenne dans les médias. Il pourrait notamment interroger la  concentration de la propriété des médias aux mains de quelques milliardaires. Mais peut-être aussi celle des chefferies et de leurs copinages. Et sans doute mettre en cause la précarité généralisée pour les « petits » des rédactions.

Ensuite, le conseil prévu par Hoog devrait aussi avoir un rôle en matière d’éducation aux médias. Nous y sommes également tout à fait favorables. Pendant les débats sur la loi sur les fake news, nous avions, conformes à la tradition des Lumières, plaidé pour l’éducation comme seul moyen d’empêcher la propagation des fausses informations.

Cependant, ces larges plages d’accord avec le rapport ne nous font pas approuver aussi tout le reste de ce qu’il contient. Ainsi quand il propose de donner au conseil de déontologie un pouvoir de « labellisation » des médias, de trier entre les bons et les mauvais. Sur cette base, les plateformes numériques comme Google et Facebook pourraient modifier leurs algorithmes pour avantager les « bons » et désavantager les « mauvais ». Nous ne pouvons soutenir une telle proposition. Elle revient à confier des opérations de censure et de surveillance de « la ligne » à des multinationales privées. C’est déjà ce que nous combattions dans le texte gouvernemental sur les « fakes news ».

La méthode proposée par le rapport diffère par contre de la nôtre. Nous avons déposé des amendements sur la création du conseil. Il s’agissait donc bien pour nous d’un acte souverain du législateur. Pour Emmanuel Hoog, la meilleure solution est la création spontanée d’une association par les médias eux-mêmes. L’argument avancé n’est pas absurde. Le Conseil de déontologie ne doit être en aucun cas une tentative de l’État pour reprendre en main la presse, la contraindre, la censurer ou influencer les opinions qu’elle accueille. Les parlementaires devraient peut-être donc se tenir à l’écart de la création de l’organe en question pour que ce point soit le plus clair possible. Pourquoi pas. Mais, dans ces conditions, il ne sera jamais créé.

Car c’est faire une erreur d’analyse sur le système médiatique. Les fautes de déontologie régulières qui s’y constatent ne sont pas des accidents. Les médias sont devenus la deuxième peau du système du fait même du régime de leur propriété. Leurs pratiques choquantes font partie d’une stratégie pour défendre l’ordre établi quand il est attaqué. Les milliardaires propriétaires des médias ne le sont pas par intérêt économique ou par passion du journalisme mais bien pour en faire des outils de combat politique. Il est peu probable qu’ils y renoncent volontairement. D’ailleurs, la remise du rapport d’Emmanuel Hoog n’a donné lieu à pratiquement aucune couverture médiatique. Pour une profession qui n’aime d’habitude rien autant que de parler d’elle, c’est significatif. Seul le SNJ a fait un communiqué pour soutenir le rapport et la création d’un Conseil de déontologie. C’est d’ailleurs à ce syndicat professionnel majoritaire que nous avions emprunté l’idée.

L’information est un sujet d’intérêt général. Une presse libre et indépendante est un pilier de la citoyenneté en République. Les représentants du peuple sont légitimes pour s’y intéresser de très près. Si aucun responsable médiatique ne se saisit du sujet, la loi doit pousser à la création d’un Conseil de déontologie. Notre groupe le sollicitera peut-être du gouvernement. En tous cas, un gouvernement Insoumis devrait y pourvoir aussi rapidement que possible. Et évidemment, nous remettrons en cause le système actuel de subvention à la presse qui est la base du fonctionnement du cercle médiatique de « l’officialité ». La résistance actuelle à la proposition de créer un tel conseil en est la preuve.

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