C’était tard dans la nuit du 21 au 22 juin dernier, à Nantes, jour de la fête de la musique. Une centaine de personnes, des jeunes gens pour la plupart, faisaient donc la fête sur le quai Wilson à Nantes, sur les bords de la Loire. Loin des habitations, le son de la musique techno ne dérange personne. D’ailleurs, la soirée a lieu chaque année au même endroit depuis 20 ans, sans problème particulier. Alors que la dernière chanson, « la jeunesse emmerde le Front national » du groupe Béruriers Noirs, est jouée, les fêtards se retrouvent engloutis dans un nuage de gaz lacrymogènes. Puis les policiers présents chargent. Le très grand jeu avec renfort de grenades de désencerclement, de chiens et même d’un tir de LBD. Dans la panique, les jeunes se mettent à courir, sans savoir où ils mettent les pieds. Au moins une dizaine finit par tomber dans la Loire. Depuis on reste sans nouvelle de l’un d’entre eux, Steve Caniço, 24 ans.
Quelle est donc la raison invoquée pour une intervention d’une telle violence ? La chanson qui passait ? Non bien sûr. Voici : alors que l’ordre avait été donné de couper la musique à 4 heures, elle avait continué jusqu’à 4h30. Steve Caniço a donc disparu, peut-être noyé, pour une demi-heure de musique de trop ? Ou pour une chanson qui déplaisait aux dirigeants policiers présents ? Par la suite, les policiers ont affirmé qu’il y avait eu des jets de projectiles dans leur direction. Mais qui peut dire qu’une charge qui a conduit au moins une dizaine de personnes à se jeter dans un fleuve était « proportionnée et justifiée » ? C’est simple : les syndicats d’extrême-droite de la police nationale. Malgré le choc provoqué dans le pays par la mort plus que probable d’un homme, ils restent droits dans leurs bottes. Le syndicat Alliance juge que l’opération a été « menée de manière proportionnée en réponse aux jets de projectiles ».
Ce syndicat a déjà menacé les juges eux-mêmes de réagir si leurs collègues étaient inquiétés dans les procès qui leur sont fait après les débordements de répression violente au cours des samedis de gilets jaunes ! Pas un mot, ni une sanction de la Garde des Sceaux ni du ministre de l’Intérieur ! Il aurait donc tort de se priver des moyens du pouvoir absolu que Castaner et Belloubet lui ont concédés. De son côté, le SGP-FO commence sa déclaration sur le sujet par cette phrase : « on dégage toute responsabilité des collègues de terrain ». C’est réglé ! Ce que pourrait avoir à dire la justice sur ce point ne concerne pas ce syndicat non plus. Un syndicat très actif politiquement. Souvenons-nous que c’est celui qui avait appelé à un rassemblement au pied du local de la France insoumise, pour nous menacer en riposte à une déclaration de l’un des nôtres à propos de certaines « bavures » à répétition. Évidemment, Castaner, Belloubet et les médias liés à la police avait regardé ailleurs !
Heureusement, il n’y a pas que ce genre de réactions dans la police. Un secteur républicain existe encore qui n’accepte pas la dérive violente et milicienne que d’aucuns de leur concurrent défendent. Du coup la « disparition » de Steve Caniço n’a pu être occultée. La hiérarchie policière et le pouvoir auraient préféré étouffer. Un syndicat de police a lui-même dénoncé le caractère excessif de la charge. Ce qui a immédiatement ouvert un espace de liberté d’expression et de dénonciation. De sorte que les médias, plutôt lents quand il s’agit de dénoncer les violences des policiers qui leur « donnent » d’habitude les procès-verbaux d’auditions policières, et couvrent tous les abus, ont dû cette fois relayer le sujet. Même Médiapart, c’est notable, a fait un article allant contre la version de l’unité de police concernée.
Mais évidemment, ce sont d’abord les réseaux sociaux qui ont permis que l’on parle de cette affaire. Le hashtag « #OuEstSteve » a empêché qu’on mette la sourdine sur la très probable noyade de Steve Caniço. Mais le fait remarquable est que le 3 juillet, 85 des personnes présentes au quai Wilson ont déposé plainte contre X pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique ». Leur avocate explique qu’ils ont décidé de le faire car le procureur saisi des faits n’a pas jugé utile de le faire lui-même. Peut-être était-il occupé à d’autres activités concernant des militants politiques, syndicalistes ou écologistes dans cette région qui reste celle de tous les abus de pouvoir liés à Notre-Dame-des-Landes.
Ce nouveau drame souligne l’inquiétante évolution des méthodes de police dans notre pays et du positionnement politique des parquets. Il apparaît clairement que les techniques utilisées depuis un moment dans les banlieues populaires et depuis novembre contre le mouvement des « gilets jaunes » s’imposent maintenant comme une doctrine utilisée systématiquement, dans toutes les situations. L’utilisation disproportionnée de la violence porte atteinte, à terme, aux missions de service public de la police républicaine. La population ne doit pas avoir peur de sa police. L’une n’est pas l’ennemie de l’autre. Cette escalade va à l’encontre de la sûreté publique. Au contraire, elle renforce l’insécurité. La sanction politique infligée par Castaner à l’égard du syndicaliste Alexandre Langlois, qui est l’honneur de sa profession pour s’attacher à sa déontologie plutôt qu’à des ordres violents, est un nouveau signal de la pente dangereuse prise par la macronie en matière de police.
Quant à l’attitude des parquets sous l’autorité de Belloubet, qui semble en état d’hébétude permanente, elle semble devenue tout aussi hors norme. Incapable de se saisir d’une disparition mais prête à mobiliser avec zèle une centaine de policiers dans la perquisition d’opposants politiques, d’organiser des dizaines de garde-à-vue de militants syndicaux ou politiques, de décréter à la chaine des non-lieux pour les proches du pouvoir et de juger nuit et jour des gilets jaunes en comparution immédiate !
« #OuEstSteve » ? La question embrasse un large champ des nouvelles réalités du moment politique. Si on l’avait fait à la mort d’Adama Traoré peut-être qu’on se serait épargné les abus suivants. Que cela nous serve de leçon. « Où est passé Steve » ? Il faut que cette question devienne celle de tout le pays.