police

21.10.2019

Pompiers, Ibrahima : jusqu’où et jusqu’à quand ?

On se souvient du pataquès médiatique orchestré à partir d’un mot – « barbare » – volé dans une conversation et mis en scène hors contexte. Il s’agissait des méthodes de la répression des manifestations contre le changement climatique ou celles des gilets jaunes. Castaner l’éborgneur avait même honteusement utilisé cette énième campagne médiatique pour m’accuser d’avoir traité de « barbares » les malheureux policiers assassinés à la préfecture de police. Depuis lors, chacun a pu voir combien j’avais eu tort…  La répression de la manifestation bon enfant des pompiers a prouvé que l’usage des forces de police était proportionné et respectueux de la dignité des personnes dévouées aux autres comme le sont des pompiers ? Un pompier en pleurs (et pas à cause des lacrymos) disait devant l’Assemblée nationale : « je ne les aurais jamais cru capables de ça ».  Maintenant il le sait. Un pompier éborgné comme un gilet jaune en a donné la preuve.

Des milliers de gens le savent après des milliers d’autres. Et avant la prochaine manif où des milliers d’autres vont l’apprendre ou le comprendre à leur tour. Jour après jour le consentement à l’autorité recule dans le pays du fait des pratiques de ceux qui sont censé l’incarner. Dans tous les métiers des gens font valoir leur opposition aux conditions dans lesquelles s’exerce leur profession. On l’a vu récemment encore à la SNCF. Mais tout le monde voit bien que ce n’est pas le cas dans la police. Au contraire, le syndicalisme d’extrême droite semble s’acharner à faire taire la moindre critique à l’intérieur de la profession comme dans la cité et jusqu’aux parlementaires comme ce fut le cas avec la manifestation au siège des insoumis après la campagne de presse sur mes mots volés. Alors, l’esprit public est miné de l’intérieur par un délitement qui semble sans fin. En voici encore un exemple des plus cruels.

Dimanche 13 octobre a eu lieu à Villiers-le-Bel un rassemblement en mémoire du jeune Ibrahima B. Ibrahima, originaire de la ville de Sarcelles dans le Val d’Oise, 22 ans, est mort le 6 octobre dans un accident de moto dans le cadre d’un « contrôle de police ». Les manifestants étaient accompagnés par le député Éric Coquerel au nom des Insoumis, seul mouvement politique représenté au Parlement à avoir fait le déplacement. On excusera les absents. En vérité, ils ne devaient pas croire possible ce qui s’est passé.  Car dès le début la volonté des responsables de la Police et du Parquet semble avoir été, surtout et avant tout, de cacher les circonstances exactes de la mort d’Ibrahima à sa famille, ses proches et l’opinion publique.

Voyez plutôt. Le soir du décès du jeune homme, la préfecture de police du Val d’Oise publie un communiqué sur l’accident. On y lit une histoire qui s’avèrera être un tissu de mensonges officiels. Un véhicule de police ainsi que plusieurs fonctionnaires étaient installés sur le bord de la route pour effectuer des contrôles. Un motard serait arrivé à une vitesse élevée. Les policiers auraient fait signe pour qu’il ralentisse mais au lieu de ça, le conducteur aurait dévié sur le trottoir et foncé dans un poteau. Malgré les premiers soins prodigués par les policiers présents, il meurt quelques heures plus tard. Responsabilité de la police : zéro. Version officielle : le motard s’est jeté de lui-même sur le poteau pour éviter un contrôle.

Une fois de plus le sentiment d’impunité aura aggravé la faute initiale. Car cette version est rapidement contredite par des témoins de la scène, que ce soient des habitants des immeubles alentour ou un conducteur au volant de sa voiture derrière le jeune Ibrahima. Eux racontent qu’en entendant la moto arriver, les policiers auraient bloqué la route avec leur fourgon. C’est en essayant d’éviter la collision avec le véhicule de police qu’il aurait dévié vers le poteau. Évidemment, ça change tout. Dans cette version, les policiers auraient soupçonné le jeune homme de délit de fuite avant même d’avoir essayé de l’arrêter. Ce préjugé les aurait conduits à mettre en place un dangereux barrage routier provoquant la mort du conducteur de la moto.

Un autre élément tend à montrer une volonté de dénaturer la vérité au détriment de la justice due aux proches de la victime. Le communiqué de la préfecture le soir de la mort d’Ibrahima affirmait que celui-ci conduisait une « moto volée ». Or, c’était un mensonge pur et simple. L’homme était le propriétaire de son véhicule. La preuve en a été apportée depuis par sa famille. Pourquoi cette volonté de salir la réputation d’un mort ? Brouiller l’attention du public ? Ibrahima était titulaire d’un diplôme de technicien bac+2. Il gérait sa vie comme un honnête garçon bien pourvu pour son avenir. Ce n’était pas un voleur de mobylette. D’aucuns ont voulu le faire croire pour atténuer la violence de leurs actes. La lenteur du procureur à lancer les enquêtes est un autre signe. Entre le dimanche et le jeudi, il n’a pas ouvert d’information judiciaire, malgré les demandes répétées de la famille. Le jeudi 10 octobre, il a enfin annoncé le faire mais au dimanche 13 au soir, il n’y avait toujours pas de juge d’instruction nommé. Une nonchalance qui n’est pas neutre. Ce qui signifie concrètement que la famille et son avocat n’ont pas accès aux pièces du dossier : rapport d’autopsie, bandes de la vidéo-surveillance etc.

Cette histoire a peut-être l’air d’un fait divers mais elle ne l’est pas. Il y a mort d’homme. Le droit à la sûreté, garanti par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, exige que les citoyens n’aient pas peur de mourir du fait de l’action de la police, qu’ils s’appellent Steve, Zineb ou Ibrahima. Nous en sommes pourtant là. Quand cela arrive, le devoir de l’État républicain est de traiter avec respect et dignité les proches des victimes qui demandent la vérité. Les enfants des quartiers populaires, comme les jeunes ou les gilets jaunes, ne doivent pas être traité comme des ennemis par la police et la justice républicaines. C’est pourtant ce qui se passe ici encore. Alors à Villiers-le-Bel, à Sarcelles et dans de nombreuses villes, le lien de confiance est rompu parce que les habitants sont traités en ennemis par ces institutions. Ils sont des citoyens français. Ils sont le peuple souverain et ceux qui incarnent les institutions ne doivent pas croire qu’ils le sont à leur place. « Il avait le droit de participer à la construction de la France » disait au rassemblement, dimanche, le grand-frère d’Ibrahima. Quels mots plus dignes et beaux pouvaient-on prononcer ? Ceux qui sont responsables de sa mort devraient les méditer.

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