crous lyon

Le temps des suicides socio-politiques

ll est temps de prendre conscience de la gravité d’un évènement occulté de la vie du pays. On voit bien l’impuissance politique à changer la vie autrement que pour la rendre plus dure. On voit bien le couvercle de plomb que le régime macroniste met sur toute réalité sociale qui dérange sa routine. On note sans difficulté comment le silence et le déni enferment les gens dans des impasses de souffrances. Mais voit-on qu’elles sont desormais finalement mortelles ?

Personne n’aime cette idée. Mais le suicide est désormais un fait politique. Car le refus de vivre davantage est le refus de ce que cette vie est devenue et de l’impossibilité de l’améliorer. Quand on voit comment son présent et son futur sont fermés, on est poussé à éteindre la lumière pour faire effacer le tableau. L’idéologie dominante aggrave les choses. En prétendant que chacun est l’unique responsable de son sort, chacun est renvoyé à lui-même en tout et pour tout.

Maintenant, je crois que la tentative de suicide d’un jeune étudiant à Lyon doit fonctionner comme le déclencheur d’une prise de conscience urgente à tous les niveaux du pouvoir politique. Il y a bel et bien en France une vague de suicides « socio-politiques » qui se déploie comme un phénomène significatif de notre temps. Il s’observe dans de nombreuses professions en lien direct avec les conditions d’existence et de pratique professionnelle des personnes concernées. Un paysan se suicide tous les deux jours. Dans l’éducation nationale, on a compté 58 suicides pendant la dernière année scolaire. Dans la police nationale, 54 suicides depuis le début de l’année. Les chiffres ne sont pas accessibles dans tous les métiers. Mais on a tous en mémoire ceux des personnels de santé.

Il est temps de comprendre que le problème est désormais partout. Voici quinze jours, je notais dans un post sur ce blog le rôle des suicides « socio-politique » dans les composantes du déclenchement de la révolution citoyenne au Liban. Ils ont été nombreux et souvent politiquement motivés par les malheureuses victimes. Je donnais l’exemple d’un homme qui mettait fin à ses jours parce qu’il ne pouvait plus payer les frais d’éducation de sa fille. Ce cas montre l’étendue des motivations à l’œuvre. Il est évident que le suicide d’une personne est toujours lié à une détresse globale, et nous n’en connaissons pas nécessairement tous les aspects. Pour autant, dans les raisons de rejeter la vie, on ne peut on ne peut dédaigner l’importance des conditions sociales d’existence insupportables, ou de l’absence de perspectives pour soi ou les siens. Souvent les suicidés de ce type laissent des messages clairs derrière eux. On ne peut les balayer d’un revers de main.

La répétition de ce scénario est une alerte très grave sur le niveau de tension sociale dans lequel le Macronisme a fait basculer le pays. Le gouvernement a tort de refuser de recevoir le message politique de l’étudiant. Il avait déjà utilisé la même tactique avec Christine Renon, la directrice d’école maternelle de Pantin, qui s’est donnée la mort le 23 septembre dernier. À présent et pour la première fois, une réaction collective s’exprime. Évidemment, les commentaires médiatiques portent davantage sur la forme que sur les raisons d’agir des jeunes qui se sont mobilisés. Le jeune étudiant de Lyon, s’est immolé par le feu devant le CROUS de cette ville. Le geste reprend celui de Mohamed Bouazizi, le marchand de légumes tunisien qui a provoqué la chute de Ben Ali. Et dans l’histoire longue, ce fut celui de l’étudiant Jan Palach en Tchécoslovaquie contre l’intervention soviétique.

L’étudiant de Lyon a laissé un mot qui explique son geste par sa condition sociale. Et il désigne les responsables de celle-ci. Dans cette lettre, il parle de la bourse, qu’il a perdue, il dit que viser le CROUS c’est viser le gouvernement, il nomme « Hollande, Macron et l’UE ». Pourtant les porte-paroles du régime refusent de regarder cette réalité. « Mettre fin à ses jours n’est jamais un acte politique » ose Gabriel Attal pour répondre à Danièle Obono à l’Assemblée nationale. Les moines bouddhistes de la lutte contre la guerre du Vietnam, Jan Palach en Tchécoslovaquie et combien d’autres ne le savaient pas. Les députés robots de « La République en Marche » se sont levés pour acclamer cette stupide répartie. Il est probable qu’aucun d’eux ne connaissent quoi que ce soit à ces suicides politiques du passé. Leur ignorance crasse est un des problèmes récurrents de la vie de cette Assemblée.

L’autre aspect de leur comportement est leur ignorance totale des conditions de vie des gens et leur désintérêt pour celles-ci. Une ignorance de classe. Souvenons-nous. Nous les avions prévenu, dès juillet 2017 que cinq euros d’APL ce n’était pas rien, pas négligeable, pour des millions de gens dans le pays. Alexis Corbière avait à l’époque amené des courses alimentaires pour cinq euros. Les députés de la majorité l’avait accueilli avec des moqueries et des quolibets. Le gouvernement avait hurlé contre notre « démagogie ». Mais 800 000 étudiants touchent les APL et donc ont subi cette première coupe. D’autres coupes sont venues ensuite. Et pour le budget de l’année prochaine, le gouvernement veut encore économiser 1,2 milliard d’euros sur cette aide si précieuse pour tant de précaires dans le pays.

Pour rester sur la situation des étudiants, rappelons nous qu’en décembre 2017, nous avons eu à l’Assemblée le débat sur la loi sur l’université. Avec celle-ci, Macron a imposé la sélection à l’entrée de l’université et le désormais honni « Parcoursup ». Nous avions alors tenté d’imposer le débat sur la précarité de la condition sociale des étudiants. Ce thème n’a jamais pu percer. La caste médiatique s’était concentrée sur tout ce qui n’était pas social dans la démarche des macronistes.

Il me parait donc important de redessiner le problème qui est posé au pays dans toute son ampleur. Un étudiant sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté. 55% déclarent ne pas avoir assez de revenus pour couvrir leurs besoins mensuels. De fait, on en croise de plus en plus dans les associations caritatives qui viennent chercher à manger. L’Observatoire de la vie étudiante (OVE) compte que la moitié des étudiants doivent avoir une activité salariée pendant l’année universitaire. Parfois à plein temps. L’échelon maximal de la bourse est de 550 euros par mois. Dans sa lettre d’adieu, l’étudiant lyonnais écrit à propos de la bourse de 450 euros par mois qu’il touchait l’an dernier et qu’il avait perdue : « de toute façon, est-ce suffisant pour vivre ? ». Le résultat de cette situation est déplorable. Sur le plan individuel, 8% des étudiants ont déjà pensé au suicide.

Sur le plan collectif, le pays n’a rien à gagner du malheur de sa jeunesse. Il pousse à l’échec, à l’abandon en cours de route ou bien au renoncement pur et simple à poursuivre des études supérieures. Depuis trois générations, la proportion d’une génération qui accède aux études supérieures stagne un peu en dessous de 45%. C’est une catastrophe pour nous, les Français, qui ne pouvons compter que sur le niveau d’éducation de notre peuple comme richesse.

Les insoumis proposent de lutter contre la pauvreté dans le milieu étudiant par la création d’une allocation d’autonomie. Pendant la dernière campagne présidentielle, nous en avions fixé le montant à 800 euros par mois. Son but est de permettre aux fils et filles du peuple d’aller le plus loin possible dans leurs études. Raison pour laquelle nous proposions le pré-recrutement pour les carrières dans l’Éducation nationale et la médecine. La Nation a besoin que les enfants d’ouvriers et d’employés ne s’empêchent pas d’être médecins ou professeurs parce que cela parait impossible financièrement. Là encore, nous ne croyons pas que le « marché » de l’éducation ait une main invisible capable de produire l’effet attendu par un pays comme le nôtre. Loin de réussir la production des milliers de soignants, d’ingénieurs et d’ouvriers hautement qualifiés dont nous avons besoin, il va raréfier cette « ressource humaine » (pour parler dans leur langue). Loin de « libérer les énergies » le marché les rabougrit. Jusqu’à la mort ?

DERNIERS ARTICLES

Rechercher