Depuis qu’il a surgi comme modèle dominant, le capitalisme est un système économique instable. Entre la fin du dix-neuvième siècle et le milieu du vingtième siècle, il a connu une crise tous les trente ans en moyenne. Depuis lors, dans la période contemporaine, c’est une crise tous les dix ans. Elles se traduisent par une gigantesque destruction de capital et une anémie parfois prolongée de l’activité. Dans ces contextes, les filets sociaux de la protection sociale fonctionnent comme des amortisseurs contre-cycliques distribuant du pouvoir d’achat d’où l’activité peut repartir.
Dans la période contemporaine, celle du capitalisme financier, les politiques économiques visent à étendre le champ du marché en réduisant celui des services publics et de la solidarité sociale. Les secousses des crises financières se propagent donc plus profondément dans le tissu des peuples concernés. L’objectif de la finance est de marchandiser tout ce qui peut l’être. Les prestations sociales sont un ensemble juteux. Le système des retraites en particulier. En France il s’agit de 320 milliards qui transitent de la population en activité vers celle qui n’y est plus. L’objectif est de les faire transiter par une étape « capitalisation » qui est la forme sous laquelle cette somme peut entrer sur le marché financier. Pour que ce système fonctionne du point de vue du marché, il faut qu’il soit toujours rigoureusement à l’équilibre. En cas de déséquilibre, cela signifie qu’il faudrait consommer le capital pour garantir que la prestation due aux bénéficiaires soit assurée. Ce n’est pas envisageable dans une logique financière ordinaire.
Pour maintenir les comptes au strict équilibre il faut donc imaginer un système où la rentabilité du capital est assurée par la baisse des prestations servies. C’est une des fonctions premières du système de retraite par points. En 2016, en pleine campagne présidentielle, François Fillon expliquait à des patrons la retraite par points : « Le système par point en réalité ça permet une chose, qu’aucun homme politique n’avoue. Ça permet de baisser chaque année le montant des points, la valeur des points, et donc de diminuer le niveau des pensions ». Cette droite-là était moins menteuse que celle de Macron. Aujourd’hui, les petits soldats du Macronisme répètent en chœur que leur réforme ne va pas faire baisser les pensions, que la valeur du point ne baissera pas, etc. Dans l’étude d’impact fournie avec le projet de loi, le gouvernement est même allé jusqu’à truquer les cas-types présentés pour faire croire que le bilan serait favorable. Ces manipulations ont été immédiatement décryptées par le groupe de chercheurs du collectif « Nos Retraites » qui a montré que sur les 28 cas présentés dans l’étude d’impacts, 18 seront en réalité perdants et auront des pensions de retraites plus faibles dans le système imaginé par mle gouvernement.
Mais la lecture de l’article 55 du projet de loi fait craindre bien pire. En effet, cet article instaure une « règle d’or ». Le but est de déclencher des cures d’austérité immédiates lorsqu’une crise survient. Cet article dit en effet que le conseil d’administration du futur régime à points devra chaque année s’assurer que la caisse est en équilibre sur cinq années glissantes. Cela signifie que lorsqu’il y a un déficit une année, il devra être suivi dans les 4 années qui suivent de mesures pour créer des excédents. Le gouvernement précise même à quelle sauce les travailleurs et les retraités seront mangés. Les économies devront se faire soit grâce à la sous-indexation des pensions, soit au décalage de l’âge d’équilibre soit à la baisse de la valeur du point. Ces coupes pourront être validées sans passer devant le Parlement. Il suffira d’une décision du conseil d’administration validée par un décret du gouvernement.
L’article 55 du projet de loi signifie une chose simple : les retraités actuels et futurs paieront la prochaine crise financière. Car les éclatements réguliers de bulles provoqués par la financiarisation créé du chômage, et donc des rentrées de cotisations en moins dans la caisse des retraites. Je l’ai dit : jusqu’alors, les systèmes de sécurité sociale agissaient en France comme des amortisseurs en cas de crise. Le déficit temporaire du système de retraite permettait, malgré la récession, de maintenir le niveau de revenu des retraités et donc leur consommation. Désormais, la moindre montée du chômage se doublera donc de coupes dans les retraites. Ce qui renforcera les crises par la baisse de la consommation populaire. Le projet de réforme de Macron condamne notre régime de retraite à une austérité à perpétuité.
Les effets à long terme vont être plus grave qu’anticipés à cause de cette « règle d’or ». Le projet de loi prévoit déjà, sans prendre en compte les conditions économiques, un décalage de l’âge d’équilibre de 65 ans en 2037 jusqu’à 67 ans pour la génération née en 1990 et même 69 pour ceux qui naissent aujourd’hui. Mais avec des ajustements automatiques à chaque crise, la situation va se dégrader encore plus vite.