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20.03.2020

VIDÉO – Coronavirus : nos 11 mesures d’urgence

Le vendredi 20 mars 2020, Jean-Luc Mélenchon était en direct sur Facebook pour annoncer la publication des 11 mesures d’urgence de la France insoumise contre le coronavirus. Il a également expliqué que les macronistes voulaient créer un «état d’urgence sanitaire» mais que sa mise en place deux grands problèmes : premièrement, le secret des conseils du comité scientifique mis en place ; deuxièmement, les menaces qui pèse sur les droits des salariés et notamment sur les 35h. Jean-Luc Mélenchon a appelé les salariés à s’organiser dans l’entreprise pour organiser eux-mêmes la production dans des conditions sanitaires viables.

Voici la retranscription de cette intervention. Seul le prononcé fait foi.

«Bonsoir,

Je vous fais ce soir un point sur la journée parlementaire comme je l’ai fait déjà hier.
Aujourd’hui, ça n’était pas mon tour de rôle : mais comme certains d’entre vous et d’autres membres du groupe, j’ai suivi toute la journée la retransmission de la commission pour suivre ce qui s’y disait.

J’avoue que les débuts étaient un peu pénibles avec le temps très long consacré à l’organisation des municipales.

Avant cela il faut que je vous dise que les choses ne se sont pas passées comme prévu : la séance plénière était programmée à 9h30 du matin, mais, le Sénat ayant travaillé toute la nuit jusqu’à 5 heures du matin, le texte est arrivé en commission à l’Assemblée nationale et à l’heure à laquelle je vous parle, il n’en est toujours pas sorti. Il arrivera donc en séance plénière demain matin, où ça sera mon tour de rôle avec d’autres. Je ferai donc mon prochain compte-rendu depuis l’Assemblée nationale.

La journée n’a pas été fameuse : il faut bien le dire. Nous sommes assez perplexes à l’heure où je vous parle. Les mesures qui sont en train d’être prises dans ce plan de mesures d’urgence sont de divers ordre : il y a d’un côté les municipales ; et de l’autre la création d’un nouveau concept appelé « état d’urgence sanitaire ».

On comprend ce que peut-être un état d’urgence sanitaire et pourquoi on pourrait en créer un lorsque nous sommes confrontés à une situation comme celle que nous vivons en ce moment. On voit bien qu’il y a besoin d’outils particuliers.

Les périodes comme celles que nous vivons poussent parfois à ne plus faire très attention au sens des mots. On dit par exemple : « on est en guerre ». Non, nous ne sommes pas en guerre. S’il s’agit de dire que nous sommes tous mobilisés, oui ; mais la guerre se fait contre un ennemi qui est conscient et organise des rapports de force.

Il ne s’agit pas ici de cela. Nous nous savons qui est le COVID-19 ; lui ne sait pas qui nous sommes et n’a pas de stratégie. Par conséquent, les moyens d’y faire face sont d’une autre nature que celle de la guerre.

Cela met en mouvement l’ensemble de nos relations sociales, la manière d’agir en commun. Vous voyez bien tous les jours ce dont on parle en ce moment : de ceux qui sortent alors qu’ils devraient être confinés ; de ceux qui sont sortis alors qu’ils préféreraient être confinés — je pense aux travailleurs de différents secteurs.

Sont donc en jeu pour l’essentiel des questions de relations sociales et d’organisation de nos relations les uns avec les autres. Réfléchissez bien à cela : souvent, on se trompe sur les mots que l’on met sur les choses.

Ce dont nous sommes victimes, c’est d’abord d’une maladie sociale : le COVID-19 n’est par lui-même rien d’autre qu’un virus. Comment a-t-il été transporté, pourquoi se propage-t-il, pourquoi provoque-t-il tant de morts ? Ce sont tout le long des questions que l’on dit sociales. Cela veut dire que c’est la manière d’organiser la production, les échanges, la façon de vivre, la façon d’organiser un réseau de soins qui sont en cause.

Les gens qui mourront du coronavirus, pour l’essentiel, sont des gens qu’on n’aura pas pu attraper ou soigner à temps. Je dis pour l’essentiel car il y aura aussi des gens dont l’organisme affaibli ne pourra pas résister à un choc de plus, comme il n’aurait pas résisté à un autre choc qu’ils auraient reçu.

Par conséquent, nous devons être très vigilants quant à tout ce qui concerne la façon de gérer la société : aussi bien les relations sociales que ce qui les organise, c’est à dire les relations démocratiques.

Nous avons de l’inquiétude. Nous ne sortons pas de l’œuf : nous avons de l’expérience politique et nous avons appris des choses. Je me rappelle très bien qu’au moment de ce qu’on a appelé l’état d’urgence, qui était fait d’une série de mesures de restriction des libertés de toutes sortes, on nous a dit un jour qu’étant donné que nous sommes désormais en état d’urgence permanente, on allait passer tout cela dans la loi ordinaire. C’est le gouvernement actuel qui a fait cela. On a donc finalement inscrit dans la loi ordinaire des mesures qui autrefois avaient été comme absolument attentatoires aux libertés, et on nous a dit que c’était pour combattre le terrorisme.

On a bien vu que cela ne concernait pas seulement les terroristes — je suis aimable en faisant grâce de penser qu’ils ont été aussi combattus grâce à cela — : pour l’essentiel, les interdictions de se déplacer, les gardes à vue et le reste ont surtout frappé des militants écologistes et des syndicalistes.

En le disant, je ne fais pas un procès d’avance. Mais nous connaissons la tentation de tout pouvoir, si modeste soit-il — pas seulement le pouvoir de l’État, mais aussi le pouvoir des personnes —, d’aller au bout de leur limite et même d’essayer de les franchir pour étendre le domaine de ce pouvoir. Par conséquent, il ne faut pas créer des occasions qui facilitent l’extension de pouvoirs qui seraient exorbitants.

Pour l’état d’urgence aujourd’hui, il est prévu qu’au bout de 12 jours, il en soit référé au Parlement. Pour l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement propose que cette durée soit d’un mois avant de voir le Parlement. Pourquoi ? On peut parfaitement avoir l’état d’urgence et que le Parlement se réunisse tout aussi tôt et discute. Ce n’est pas forcément pour interrompre l’état d’urgence, mais pour analyser ensemble, faire des propositions et s’écouter mutuellement.

Nous sommes tous en danger : nous avons bien compris que ça n’était pas seulement une affaire de clivage politique. Mais nous avons là une impression étrange, car tout ce que nous demandons est immédiatement repoussé.

Peut-être que certains d’entre vous ont suivi la commission et ont pu s’en rendre compte : les députés de La République en Marche, quand ils ne savent pas quoi répondre, disent qu’on verra cela avec le ministre. D’abord, pourquoi le ministre n’est-il pas là ? C’est une première question. Il pourrait, après tout, nous apporter ses réponses directement en participation à la commission. Mais mettons cela de côté : non, nous n’attendons pas le ministre. Le pouvoir est législatif. C’est aux députés de prendre des décisions.

Depuis quelques heures, chaque fois qu’il survient une difficulté, c’est à dire que des arguments arrivent donc la rationalité est évidente — je vais vous en donner un exemple —, on nous répond que tout cela sera vu en séance avec les ministres. Nous ne comprenons pas pourquoi nous verrions cela en séance avec les ministres.

Quand je vous aurai donné les éléments qui nous contrarient, vous comprendrez pourquoi, à cette étape, nous sommes très mécontents et je vous dirai la conclusion que nous en tirons, nous autres les insoumis, et sans doute ne serons-nous pas les seuls à tirer cette conclusion.

Au lieu de 12 jours, donc, le délai serait porté à un mois.

La proposition a été faite que lorsque l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le conseil scientifique, puisqu’il est créé à cette occasion, donne un avis et qu’il le donne publiquement. Ça ne serait quand même pas la révolution ! Et pourtant même ça n’est pas possible. Ils ne veulent pas : pourquoi, ils ne le savent pas, donc nous verrons avec le ministre en séance.

Cela nous aiderait quand même beaucoup, nous, les députés, si nous connaissions l’avis du conseil scientifique.

Je ne parle pas qu’en théorie : c’est ce qui s’est passé il n’y a même pas quinze jours ! Le gouvernement nous a dit : « les scientifiques nous ont dit que », et par conséquent « nous en avons déduit que ».

Les scientifiques avaient dit qu’il était possible d’organiser le premier tour des élections municipales ; après, d’autres scientifiques ont fait savoir qu’il s’agissait d’une très mauvaise idée et qu’ils appelaient à l’inverse à ce qu’il ne soit pas organisé.

Tout cela s’est passé samedi dernier entre 19h et le lendemain matin. Il faut être raisonnable : il faut renoncer à cette foi aveugle dans l’autorité qui sait tout depuis le haut.

Si le gouvernement, comme c’est son rôle, dit qu’il y a état d’urgence sanitaire, il est de sa responsabilité de le décréter. Nous n’avons pas l’intention de dire le contraire. Mais nous demandons à connaître l’avis des scientifiques qui a justifié cette déclaration, soit pour en être nous-mêmes convaincus, soit pour pouvoir le discuter.

Personne, même un scientifique, n’a raison parce que c’est lui : les scientifiques au moins sont humbles et ne disent pas que leur avis est le seul qui compte. Vous pouvez vous adresser à un autre, qui pourra regarder le problème sous un autre angle ou confirmera que sur ce sujet, il n’y a pas de doute à avoir.

Il est important, pour ceux qui ont à prendre des décisions, d’être informés de l’ensemble des éléments qui permettent de prendre la décision. Nous n’avons pas été touchés par la grâce parce que nous avons été élus : nous ne savons pas tout et nous ne sommes pas compétents dans tous les domaines. Ce qui doit être travaillé, c’est les moyens qui permettent à chaque personne dont c’est la responsabilité de prendre la bonne décision. Il n’y a rien de plus simple que ça : et pourtant, même ça, c’est trop.

Pour tout le reste, il en va de même. Quels sont les secteurs de l’économie qui sont jugés essentiels et ceux qui ne le sont pas ? Ce n’est pas si facile à dire : en réalité, toutes les chaînes d’activités humaines se tiennent les unes aux autres.

Nous sommes pourtant capables d’habitude de décider de ce qui s’arrête et de ce qui ne s’arrête pas, par exemple pour les jours fériés. Qu’est-ce qui doit, en dépit du jour férié, continuer ? Dans cet exemple, nous avons su le faire. Ça n’est donc pas si une chose si mystérieuse qu’il faudrait des mois et des mois pour en décider.

Nous pourrions en discuter ! Pourquoi pas organiser une rencontre nationale avec le gouvernement, les syndicats, les parlementaires, ou une autre formule, qui permettrait de discuter de cela et de décider ensemble de ce qui continue et de ce qui s’arrête, sans le laisser à la discrétion de l’entreprise, et dans l’entreprise, d’une personne. Pourquoi cette personne serait infaillible : parce qu’il est le directeur ou le DRH, il saurait tout mieux que tout le monde et n’aurait pas besoin de conseil ? Bien sûr que non.

Nous le leur avons dit gentiment dans les entreprises. Que s’est-il passé ? Il a fallu se mettre en grève pour que le chantier naval de Saint-Nazaire s’arrête. Le chantier naval est une activité importante et utile qui fabrique des paquebots. Peut-être qu’il n’y a pas, en ce moment, un besoin primordial de fabriquer des paquebots ? Étant donné qu’on ne les fait pas flotter pour ne pas devenir des clusters à coronavirus…

Cet exemple, que vous avez sous les yeux, où c’est l’action des travailleurs qui a permis que d’arrêter l’activité et de limiter ainsi la capacité de propagation du virus dans un chantier où il y a beaucoup de monde, qui rencontrent eux-mêmes beaucoup d’autres, dans leur famille, les commerces, les transports et ainsi de suite.

Ce n’est pas un caprice : ils ont rendu service à tout le monde en se comportant comme cela. Il a pourtant fallu qu’ils fassent la grève pour que l’on écoute ce qu’ils avaient à dire.

Je vous redis là ce que j’ai déjà dit à la tribune de l’Assemblée nationale. Nous avons dit, au début, qu’il faudrait que, dans chaque entreprise, les travailleurs puissent décider entre eux de la manière d’organiser la production et les échanges dans les meilleures conditions sanitaires.
Ce sont eux qui sont les meilleurs experts du fonctionnement : si nous leur demandons comment éviter ceci ou cela, comme ce sont eux qui savent comment fonctionnent les machines, comment se font les chaînes d’assemblage ou n’importe quelle autre tâche, eux sauront dire à quel endroit le danger est le plus grand et prendre les bonnes mesures.

Nous n’allons pas tout attendre d’un texte gouvernemental, ou du chef, ou du directeur, ou de je ne sais pas trop quoi. Il faut donc bien que ce soit l’intelligence collective qui permette de dire les points faibles par lesquels pourraient passer le coronavirus pour se répandre.

Je redis ici ce que j’ai déjà dit ; mais je le dis cette fois-ci beaucoup plus fermement et je l’ai fait à l’Assemblée nationale hier encore. Il faut que partout où les travailleurs sont au travail, ils s’auto-organisent, qu’ils se réunissent dans les conditions prévues de distance, et qu’ils prennent des décisions sanitaires correspondant aux besoins de la production et de l’échange auxquels ils participent. Il ne peut être question d’attendre au garde à vous ce que l’on doit faire pour protéger son existence.

L’existence de chacun est précieuse : elle compte. Le fait que les personnes qui savent si bien faire ce qu’elles font soient encore là demain, car elles n’auront pas été encore tuées par le coronavirus, compte pour toute la société. Le fait de ne pas être soi-même infecté pour ne pas le transmettre aux autres compte pour toute la société.

Il faut réaliser cela : ce n’est pas « chacun pour soi ». Ce n’est pas cela, la grande valeur. Pourtant, on nous a raconté cela pendant trois décennies : que les plus forts allaient surmonter le reste. Non : nous sommes tous interdépendants et nous dépendons tous des uns des autres. Tout ce qui n’est pas de l’entraide, tout ce qui est de l’égoïsme, ne sert à rien.

Troisième élément : n’est-il pas possible de parler de la réquisition des moyens de production ? Avec qui en parler ? Forcément avec les syndicats, avec les organisations des travailleurs, puisque ce sont eux qui connaissent la situation.

Il m’a été donné cet exemple : une usine qui fabriquait des bouteilles à oxygène, qui servent aux malades et pour réanimer, a été fermée parce que l’actionnaire a décidé de la fermer. Il s’agit d’un actionnaire britannique, on ne connaît pas les raisons pour lesquelles il a pris cette décision. Il n’y a plus d’autre usine dans le département : il n’y a que celle-là. Le syndicat CGT et les ex-salariés ont dit que si l’usine était nationalisée, ils pouvaient se remettre au travail tout de suite pour produire les bouteilles dont nous avons besoin.

Il faut donc avoir un caractère militaire et systématique à la réquisition et à la mise en mouvement des moyens de production. Il y a des moyens de production : nous savons tout fabriquer dans ce pays. Les choses que nous avons à fabriquer ne sont pas si compliquées, même s’il s’agit d’objets sophistiqués. Il n’y a qu’à demander à ceux qui savent et connaissent leur entreprise, à leur dire ce que nous attendons et vous verrez qu’ils trouveront immédiatement où les faire et dans quelle entreprise, qui, la veille encore, ne faisait pas cela.

Vous pouvez transformer certains postes de travail qui fabriquent tel type de machine à fabriquer des respirateurs, par exemple. C’est un exemple qui m’a été donné et que je vous donne à mon tour.
Nous n’en prenons pourtant pas le chemin. Ils continuent à penser qu’ils savent tout mieux que tout le monde et tout seul : ça n’est pourtant pas ce dont ils nous ont convaincu jusqu’à présent.

Il convient de rappeler qu’il y a à peine quinze jours, les plus hautes autorités de l’État disaient qu’il fallait aller au théâtre, se divertir, et ne renoncer à aucune activité sociale. Cela devrait donc les inciter à un peu de modestie et, disons, de bienveillance à l’égard des autres. Écoutez ce qu’il se dit : les gens ne disent pas que des bêtises ! Ils disent aussi des choses qui ont de l’intérêt. C’est le cas notamment du monde du travail, qui est en première ligne.

Dans cette partie du texte de la loi, il est prévu des ordonnances. Nous, nous n’aimons pas les ordonnances, car elles consistent à dire que sur tel sujet, le gouvernement décidera par ordonnance. Cela signifie qu’il n’y a plus de travail législatif et de réflexion commune : c’est une personne, dans un bureau, même pas le ministre, qui écrit, puis on leur amène toutes prêtes les ordonnances, qu’ils regardent, discutent peut-être avec leur parti ou leurs proches conseillers politiques — et encore, dans le meilleur des cas, quand il ne suffit pas d’un coup de tampon pour marquer l’accord.

Nous ne pouvons pas être d’accord avec cette façon de fonctionner : les ordonnances ne peuvent pas devenir le mode ordinaire de gouvernement de ce pays, ou alors il faut rétablir la royauté directement. C’est surtout idiot, car cela ne met pas, encore une fois, l’intelligence collective en mouvement.

Dans ces ordonnances, il existe quelques raisons de se méfier. Une nouvelle fois, c’est au code du travail que l’on se prend.

Faisons preuve de bienveillance : nous comprenons que dans certaines conditions, les limites que l’on met, par exemple, au nombre d’heures, doivent être reconsidérées ; que, dans la limite du maximum horaire qui est en Europe, hélas, de 48 heures, nous pourrions étendre le temps de travail dans les entreprises : je suppose que cela vise à ne pas payer des heures supplémentaires, ce qui n’est pas très correct.

Nous ne pouvons pas accepter qu’on remette en cause les 35 heures, c’est à dire le nombre d’heures au-delà duquel cela donne lieu à des heures supplémentaires. Les heures que l’on passe au travail doivent être payées : si vous voulez que les gens restent nuit et jour au travail, cela coûte, d’abord à eux beaucoup, et il est normal que la collectivité mette la main à la poche.

Il est aussi question de congés. Le congés est un droit personnel : les gens sont actuellement confinés, pas en congés. Les congés ne consistent pas à s’enfermer chez soi, quand bien même beaucoup de gens ne partent jamais en congés et doivent rester chez eux.

Il y aurait là la possibilité de décréter que, jusqu’à 10 jours, ce serait seulement l’autorité — le directeur ou le patron — qui déciderait que vous êtes en congés. Cela ferait donc 10 jours de congés de moins : c’est cela que cela signifie. Comme l’a dit une sénatrice Les Républicains : « il va falloir travailler plus après, peut-être au mois de juillet, peut-être au moins d’août ». Que se figurent-ils ? Que les gens se la coulent douce en ce moment ?
Nous ne pouvons pas accepter cela. Je ne me vois pas voter, ou donner mon accord, à des choses pareilles.

Hier, il a fallu voter sur les mesures financières. De toutes celles que nous avons proposées, pas une n’a été retenue.

Certaines étaient un peu symboliques. Puisqu’ils nous disaient que ce qui est décidé là est pour une période symbolique, nous avons proposé que, pour une période limitée, par exemple cette année, nous rétablissions l’impôt sur la fortune, puisque l’État a besoin d’argent.

Nous pourrions également supprimer la taxe complaisante qui a été inventée sur les transactions financières et qui permet aux gens qui en bénéficient de ne pas les faire figurer dans leurs revenus comme vous ou moi qui devons déclarer nos payes.

Cela aurait montré que tout le monde met la main à la poche face au danger, et que chacun selon ses moyens contribue à l’effort commun. Ce n’aurait pas non plus été une révolution. Pourtant, ça non plus n’est pas accepté.

Voilà donc ce que je voulais dire en ce qui concerne les insoumis. Nous nous sommes concertés entre nous ce soir : pour l’instant, nous ne pouvons pas accepter ce texte comme il est. Le gouvernement a dit non à tout ce que nous avons demandé : les moyens de suivi parlementaire, les moyens de la concertation des syndicats, les moyens d’intervention des travailleurs dans l’entreprise…

Demain, il y aura la séance plénière. Peut-être que le gouvernement va nuancer son attitude et comprendra qu’il faut faire preuve d’ouverture d’esprit, qu’il faut écouter ce que nous disons, que nous ne faisons pas cela pour ennuyer, mais au contraire pour rendre les mesures concrètes plus efficaces qu’elles ne le sont aujourd’hui.

Je n’aime pas les grands mots avec lesquels on essaye de me ficeler, moi et mes camarades. Un jour c’est la guerre ; le lendemain c’est l’union sacrée…

Nous, nous n’agissons pas de manière aveuglée. Nous sommes en responsabilité solidaire : nous sommes vigilants, nous maintenons notre esprit critique, et nous savons qu’il est nécessaire de faire des concessions pour ne pas rendre le travail de gouverner plus difficile. J’espère que le jour où nous gouvernons, ce qui se produira, les autres auront les mêmes attitudes à notre égard.

Hier, nous leur avons dit que nous trouvions que ce qu’ils font ne convenait pas, mais que nous ne voulions rien bloquer : puisque des mesures sont prises, puisque de l’argent est décidé, nous votons leur texte.

Mais demain, il ne faut pas espérer nous faire lever la main pour décider que les congés ne seront plus désormais décidés par les gens ; que la durée du travail pourra être celle que l’autorité décide ; etc.

On me dit : écoutez, M. Mélenchon, tout cela est provisoire, pour une période brève, jusqu’au 21 avril. Cela pourrait durer d’abord si le confinement durait. Je connais cet argument : il nous a déjà été servi. L’état d’urgence, aussi, était au début provisoire pour quelques semaines. Puis on nous a dit que cela fonctionnait tellement bien qu’il fallait maintenant l’inscrire dans la loi ordinaire. Puisque vous êtes capables de le faire de façon extraordinaire, vous serez demain capables de le faire de façon ordinaire.

Pour nous, c’est non. Nous ne sommes pas d’accord pour que cela se passe ainsi. Si vous voulez changer les horaires de travail et les règles du jeu de la vie dans l’entreprise, il faut que cela soit fait en discussion avec le personnel et avec le syndicat. Quand le syndicat existe, on peut discuter avec le syndicat ; mais on peut aussi discuter avec tout le personnel : donc là où il n’y a pas de syndicat, on discute quand même avec le personnel.

Dans la période qui vient, les mesures doivent soulager le rapport social. S’il n’y avait pas pas le droit de licencier dans cette période, cela faciliterait la discussion : tout le monde pourrait se mettre d’accord. Les gens ne sont pas de mauvaise volonté : il ne faut pas croire que les gens sont des tire-au-flanc prêts à utiliser toutes les situations.

Je vous le dis : comme cela est là, tout cela ne peut pas coller. Il ne faut pas que la situation permette une nouvelle fois de réduire les droits démocratiques, les droits sociaux qui n’ont pas été acquis par désinvolture ou, comme ils disent, par « générosité », mais parce qu’ils correspondent à des réalités sociales et à la juste récompense de ceux qui se donnent du mal au travail.

Je termine avec deux éléments.

La première, c’est que nous commençons à fatiguer d’entendre répété continuellement que les masques sont distribués, alors qu’il revient du terrain que ça n’est pas vrai, et que, quand il y en a, il ne s’agit pas des bons.

Là aussi, le gouvernement doit tirer tout cela au clair. Le gouvernement dit une chose ; nous nous abstenons de critiquer pour ne pas rendre la manœuvre plus compliquée encore. Résultat : les gens voient bien que ça n’est pas vrai. Il se glisse donc dans cet espace toute sorte de théories complotistes.

De même concernant les tests. Certains nous disent que nous avons trop insisté et que nous ferions peur aux gens. Nous ne voulons pas faire peur aux gens.

Premièrement, l’Organisation mondiale de la santé a dit qu’il fallait tester tant qu’on pouvait, le plus possible, pour repérer qui est contaminés.

On nous dit qu’il faut recommencer sans arrêt : recommençons donc sans arrêt et voyons qui est contaminés, ce qui permet de les isoler et de réduire ainsi, d’une part, la durée durant laquelle tout le reste de la population va être confinée et, d’autre part, la propagation de la contamination.

Toute la journée d’hier, j’ai demandé pourquoi l’Organisation mondiale de la santé dit qu’il faut tester partout ; alors que le gouvernement nous répond — vous l’avez entendu hier comme moi de la part du gouvernement et du Premier ministre, avant qu’ils ne répondent plus — que ça n’est pas strictement indispensable. Si : cela est strictement indispensable.

Aujourd’hui, nous savons pourquoi. J’ai passé ma journée à leur demander de nous dire pourquoi, d’entendre leurs raisons de décider que ce qu’a dit l’Organisation mondiale de la santé ne s’applique pas.

On connaît maintenant la réponse : c’est que nous n’avons pas assez de tests ; et que nous ne sommes pas capables d’en produire assez vite. Il faut donc en produire le plus vite possible dans les plus grandes quantités possibles. La France dispose des usines, des moyens, des personnels capables de mettre en route des chaînes de production, accélérées nuit et jour s’il faut, pour en produire des millions ou des dizaines de millions.

Il ne faut pas essayer d’impressionner les gens avec des chiffres comme ceux que j’ai entendus hier selon lesquels la France dispose de huit millions de masques. D’accord, cela fait beaucoup de masques : mais combien de temps durent-ils ? Combien en faut-il ? En faut-il 8 millions ? Avec 8 millions, cela fait 18 masques par semaine pour les personnels soignants : cela ne suffit pas.

Il faut bien comprendre : ce n’est pas qu’une affaire d’admiration et d’empathie. Il y a de l’empathie et de l’admiration pour le personnel soignant. Mais il faut bien comprendre que si eux tombent à leur tour malades, alors nous serons encore plus en danger que nous le sommes. Nous avons un besoin vital de leur bonne santé et de leur protection, en plus de la sympathie que leur personne nous inspire. Continuons donc à les applaudir à 20 heures.

Dernier élément sur lequel je veux m’exprimer : je vous l’ai dit hier, nous autres les insoumis, nous proposons nos amendements en fonction d’un plan. Certains m’ont demandé ce qu’était mon plan, où il était et s’ils pouvaient l’avoir.

Nous l’avons donc mis noir sur blanc, sur le site de la France Insoumise ainsi que sur notre plateforme multimédia L’Insoumission, où vous disposerez du document si vous souhaitez voir sur quelle base nous travaillons et ce que cela vaut.

Nous, les insoumis, nous nous donnons comme consigne de travailler dans l’état d’esprit de dire : si nous dirigions le pays maintenant, comment nous y prendrions-nous ? Ce document le prouve. Tout à l’heure, Adrien Quatennens, le coordinateur du mouvement, s’exprimera sur le sujet.

Je voulais vous dire tout ça pour rendre compte de la journée. Beaucoup d’entre vous sont confinés : j’espère que vous avez trouvé des occupations qui vous permettent de ne pas être tout le temps le nez sur l’angoisse.

J’en profite pour dire — cela est peut-être plus facile pour moi que pour d’autres de le dire — que, même si l’angoisse est là, il convient de la fonder, de l’écarter, de se pousser pour que nous puissions vivre, respirer, sourire.
Il faut donc avoir une méthode de combat de l’angoisse et de la peur dans le confinement. Cette méthode, c’est celle que vous voulez, mais c’est le parti pris d’allumer des petites flammes de joie.

Je sais que lorsqu’on est seuls, et si on est déjà malade d’autre chose, ce que je dis là n’est pas très évident. Mais je m’adresse au grand nombre, car je voudrais vous dire que nous n’avancerons pas la peur au ventre : on ne fait rien comme cela.

Je sais que, du matin au soir, on dit aux gens que tout le monde va mourir. Tout le monde ne va pas mourir : prenons nos précautions, restons chez nous, faisons ce que l’on nous dit, respectons les consignes, évitons les inutiles polémiques, tâchons d’être bienveillants avec les gens qui nous entourent. Je trouve magnifique ce que je vois se déclencher dans tout le pays, partout : l’entraide à la base commence à se mettre en place.

Bien sûr, certains individus se comportent mal : mais il ne faut pas toujours regarder ce qui va mal. Il faut aussi regarder ce qui va bien : la générosité qui est dans la société, la joie de vivre qu’elle peut contenir et qui nous aide à passer un jour après l’autre pour accomplir notre vie d’être humain à la recherche de ces petits bouts de bonheur qui rendent la vie un exercice intéressant.

À demain. »

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