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01.10.2020

Créolisation : «Notre futur n’est pas un passé toujours recommencé» – Tribune dans «Le Figaro»

Cette tribune a été publiée dans Le Figaro le 1er octobre 2020

FIGAROVOX/TRIBUNE – Le leader de la France Insoumise a souhaité répondre, en termes civils et argumentés, à la tribune de Raphaël Doan, normalien et agrégé de lettres, que nous avons publiée le 29 septembre, intitulée ‘‘«Créolisation» contre «assimilation»: où est le véritable universalisme?’’.

Par Jean-Luc Mélenchon

J’ai emprunté le concept de «créolisation» à la philosophie poétique d’Edouard Glissant. Cela fait débat. Tant mieux. J’ai lu la tribune publiée par Raphaël Doan sur Le Figaro Vox. Son propos me contredit radicalement. Il le fait avec l’élégance d’un raisonnement documenté. Et il reconnait que je ne suis pas partisan du communautarisme.

Justement, la créolisation est son contraire: elle suppose le mélange et la création spontanée de pratiques culturelles communes totalement nouvelles plutôt que l’illusoire enfermement de chacun des origines figées. Pour lui, l’assimilation des nouveaux arrivants à la communauté nationale passerait par l’uniformisation des pratiques. Notre futur serait notre passé toujours recommencé. Il pense aussi que cela correspond à une longue tradition française. J’affirme l’inverse.

La France est le pays qui a le plus profondément pratiqué la créolisation. Et depuis des siècles. Voyez comment nous nous sommes proclamés «gallo-romain». Les espagnols ne prétendent pas être des «iberos-romains». Pourtant ils ont donné à Rome Sénèque et plusieurs empereurs.

Chez nous, au-delà des zones romanisées, prévalait une culture celte bien différente. Rien n’atteste mieux la volonté de se mélanger. Les poètes de la Renaissance plagient sans vergogne les Latins. Ils s’en vantent. Ils inventent un mot pour le décrire: «l’innutrition». Le premier texte gaulois connu est en langue grecque, celle des colonies du sud de la France dont Marseille.

La France est le pays qui a le plus profondément pratiqué la créolisation.

Bref, les anciens peuples de notre pays ont bien pratiqué la créolisation des cultures qu’ils rencontraient. Selon moi l’idée de la rejeter ne peut venir que dans les populations purement continentales où l’exaltation ethnique est une pratique de survie collective. C’est le «volkgheist» allemand, la culture de la peuplade. Là où le droit du sang et de l’hérédité l’emporte sur le droit du sol et les circulations de populations, typiques de la vie des Cités.

Avec ses exemples, Raphaël Doan fait à mon avis des contresens historiques. Il confond la volonté des décideurs politiques avec la pratique spontanée des populations. Les uns veulent assimiler, les autres se créolisent. La créolisation c’est l’assimilation réelle. Elle est durable parce qu’elle se déploie sans projet préconçu. L’assimilation decrétée et forcée ne marche jamais. Colbert voulait franciser les indiens Iroquois? Y est-il parvenu? Non.

Doan cite les ordres du monarque absolu Louis XIV pour vivre «à la française». Cela voulait dire «en catholique». Il révoqua l’édit de Nantes et provoqua l’exil de 200 000 sujets protestants. Sa guerre contre les Cevenols et le Languedoc protestants fut gagnée. Mais les protestants le sont toujours.

Plus largement, prendre l’ancien régime comme modèle d’homogénéisation des Français est une erreur. Il s’accommoda très bien pendant des siècles de la cohabitation de centaines d’unités de mesures et de poids différentes, d’une vingtaine de langues différentes parlées sur son territoire et d’autant de droits locaux.

La créolisation c’est l’assimilation réelle.

Doan cite le rapport de Machiavel sur la France louangeur du mimétisme des Français entre eux. Je dis de même. Mais Machiavel n’a pas mis les pieds en Bretagne ou en Flandres pour comprendre de quoi on partait! Douan prend aussi pour exemple l’empire romain. Il en loue la politique d’assimilation menée selon lui au nom d’un «humanisme universel». Rien de tel ne s’est aperçu avant l’édit de Caracalla, qui consacre le droit du sol et la citoyenneté générale. Mais il n’arrive pas avant 212 de notre ère, c’est-à-dire fort tardivement dans l’histoire de l’Empire.

Surtout, comment prêter à une société esclavagiste des intentions humanistes universalistes? L’égalité entre les êtres humains et leur liberté, fondement de l’universalisme humaniste y est niée radicalement.

Oublions ces exemples. Raphaël Doan défend bec et ongle «l’assimilation». Mais à quoi? Il doit répondre à cette question. Quelle est la culture de départ à laquelle chacun est censé «s’assimiler»? La poser c’est déjà se rendre compte de son impasse. Les cultures, au sens des modes de vie, des arts, de la cuisine, de la manière d’exprimer la politesse, le respect ou au contraire la frustration, ne sont pas des blocs homogènes aux frontières facilement identifiables.

L’ensemble de pratiques sociales que nous nommons «culture» est en constante évolution. Elle est toujours le produit de contacts pacifiques ou violent, entre les nations, les peuples, les civilisations. Or, le concept d’assimilation ne peut se faire que par rapport à des référents stables. C’est toujours, en dernière instance, la langue et la religion. Cela se fait alors au prix d’une addition de violences. La Monarchie catholique a persécuté les juifs de toutes les manières. Puis, elle a mené une guerre civile, ouverte ou larvée, contre les protestants pendant presque trois siècles.

Faisons confiance a la créolisation comme manière pacifique, tranquille, joyeuse, de nous imprégner les uns des autres et de faire peuple ensemble.

Chaque fois l’assimilation a été le prétexte. Tournons la page! A présent je vois pointer du doigt les musulmans. Cela ne peut rien donner de bon pour notre peuple. Faisons plutôt confiance a la créolisation comme manière pacifique, tranquille, joyeuse, de nous imprégner les uns des autres et de faire peuple ensemble.

Ce n’est pas une vue de l’esprit. C’est en cours. Raphaël Doan est aveugle sur la créolisation réelle. Pense-t-il que la culture française soit autre chose que le résultat d’un processus de cette nature? Nous avons la créolisation sur le bout de la langue avec 850 mots empruntés à l’italien, 400 mots espagnols, 400 mots arabes, 100 mots russes mais aussi avec des mots hébreux, persans, chinois ou hindi?

Prétend-il que la cuisine française soit autre chose qu’une addition de cuisines populaires régionales travaillées et transformées par les migrations internes et le brassage? Désormais, la France est le pays d’Europe qui consomme le plus de pizzas et le plat préféré des Français est le couscous! Je ne parle pas de la chanson populaire marquée depuis le début du vingtième siècle jusqu’à la scène rap contemporaine par les influences mélangées des différentes vagues migratoires.

L’auteur ne tient non plus aucun compte de la créolisation réelle et active dans les outre-mer. Là, loin d’avoir morcelé une société qui l’était radicalement au départ, elle a plutôt rassemblé en mélangeant. Quoi de commun au départ entre les esclaves de différentes parties d’Afrique et les colons français? La servitude forcée les séparait et les maitres voulaient que les esclaves ne puissent se confondre, bien que les allures et couleurs de peau signalent un métissage dangereux pour le système esclavagiste.

La créolisation ne créé pas du morcellement.

La liberté et le métissage, ont rendu possible la créolisation. Ce sont maintenant des sociétés culturellement cohérentes. Elles sont la preuve que, contrairement à ce qu’affirme Raphaël Douan, la créolisation ne créé pas du morcellement.

Depuis 1789, le peuple français n’a plus besoin de la religion ou l’ethnie pour assurer son unité. Ce sont ses luttes politiques et sociales, ses causes communes pour la liberté, l’égalité et la fraternité qui le construisent en tant que peuple «un et indivisible». Cette unité s’incarne dans la communauté légale et le droit du sol. On peut alors faire France de tout bois.

La créolisation ne menace pas notre unité contrairement à l’émiettement promis par les lois d’Emmanuel Macron et la sécession des riches. Un code du travail par entreprise, bientôt une loi par commune, la minorité musulmane stigmatisée: voilà plutôt ce qui risque de morceler la France.

Alors la créolisation généralisée nous offrira ce fort sentiment d’appartenance commun dont nous aurons besoin. Ce sera ligne de résistance de l’identité française contre la différence des droits. Raphaël Doan et moi nous serons alors d’accord. L’unité de la France c’est celle de son peuple et celui-ci la construit chaque jour dans la cuisine et les mots d’amour.

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