Le 24 octobre, le Chili fêtera le 50ème anniversaire de la victoire démocratique de Salvador Allende. Le lendemain, son peuple est convoqué aux urnes pour un référendum historique sur la convocation d’une assemblée constituante. Le Chili fait partie de ces pays entrés en révolution citoyenne à l’automne 2019. Je suis lié politiquement au peuple chilien depuis longtemps par ma participation modeste à la lutte contre la dictature. J’ai parmi mes camarades et amis de nombreux Chiliens issus de cette histoire commune. J’ai donc suivi avec enthousiasme et fraternité le retour magnifique du peuple du Chili sur la scène de sa propre histoire. Mais un intérêt intellectuel supplémentaire s’est ajouté. Celui d’étudier les évènements chiliens pour nourrir de connaissances la théorie de la Révolution citoyenne.
Le mouvement populaire là-bas a débuté le 18 octobre 2019. Son facteur déclencheur est typique de l’ère du peuple. D’abord par son apparence totalement anodine. En l’occurrence, il s’agissait d’une augmentation du prix du ticket de métro à Santiago. Il était bien sûr totalement imprévisible qu’une telle mesure déclenche le mouvement révolutionnaire le plus important pour ce pays depuis un demi-siècle. Il vient en écho du motif de déclenchement de la révolution au Venezuela à la fin des années 1990. Cette mesure vient bien sûr après une longue série de décisions de type néolibérales qui avaient martelé les esprits et agit comme le dernier grain de sable qui fait basculer d’un coup la colère populaire en énergie mobilisatrice.
La deuxième raison pour laquelle j’avais trouvé le début de cette révolution remarquable est l’objet même de l’évènement fortuit. Il s’agit d’une entrave mise à l’accès au réseau de transport. Or, dans l’ère du peuple, nous décrivons comment le peuple devient l’acteur de l’histoire. Je lui donne une définition matérielle : l’ensemble de ceux qui, au-delà de leur diversité, dépendent absolument des réseaux du collectif pour produire et reproduire leur existence matérielle. L’accès à l’eau, à la nourriture, à l’énergie, à la santé, au savoir sont tous conditionnés par l’accès à des réseaux. Et la capacité de se transporter n’est pas le moindre quand l’accès au réseau en est la condition. En France, c’est déjà un obstacle financier à la mobilité qui avait donné les gilets jaunes. Et en Équateur le mouvement de révolte contre le pouvoir actuel.
Les manifestations chiliennes débutées à l’automne 2019 sont donc pleinement inscrites dans le cycle mondial caractéristique des révolutions citoyennes. On y a repéré sa phase instituante durant laquelle le peuple prend conscience de son existence politique pour la première fois. Ses enjeux sont alors la visibilité et l’unité. D’où la présence dans les cortèges de symboles unifiants comme le drapeau national, avec le drapeau indien Mapuche en plus au Chili. Ils ont supplanté totalement les drapeaux se rapportant à des partis politiques ou des syndicats. On voyait aussi au Chili, en cette période, les masques « anonymous », devenus des symboles mondiaux de contestation du néolibéralisme. La révolution chilienne aura aussi vécu sa phase constituante avec sa revendication dégagiste à l’égard des milieux politiciens et d’argent.
Mais désormais, le référendum du 25 octobre ouvre une nouvelle étape. La plus décisive qui soit politiquement : la tenue d’une constituante. Le vote est issu d’un accord signé par tous les partis politiques en novembre 2019. Il avait été obtenu par la pression populaire. Car, après le ticket de métro, les Chiliens se sont intéressés à l’ensemble du système économique qu’ils subissent. Le capitalisme chilien est l’un des plus durs du monde. Les retraites, la santé, l’eau, les principales ressources naturelles sont privatisées. Toutes les revendications construites dans la lutte, autour de la propriété collective des biens communs et de la sécurité sociale collective se sont cristallisées dans la demande de changer la Constitution. Il faut dire que l’actuelle a été adoptée sous la dictature militaire de Pinochet et sous l’influence des « Chicago boys », ces évangélistes du libéralisme.
Deux questions sont posées au peuple chilien par voie référendaire. D’abord, sur l’opportunité de changer la Constitution. Puis sur celle de le faire par une nouvelle assemblée, constituante, spécialement élue pour cela. Il va de soi que tous les acteurs de la révolution plaident pour le « oui » dans les deux cas. Les sondages indiquent qu’ils sont largement majoritaires. Si cela se confirme, des élections seront convoquées pour le 11 avril. Puis, l’assemblée constituante se réunira pour 12 mois avant de soumettre la nouvelle Constitution à un nouveau référendum. C’est une page excitante de son histoire qu’ouvre le peuple chilien. À chaque étape, il faudra observer et apprendre. Car bientôt viendra le tour de notre peuple de se redéfinir dans un processus constituant.